Repenser le syndicalisme

ou comment revenir aux gestes fondamentaux de l’organisation collective en contexte syndical pour gagner en puissance et mener de nouveaux combats

Par Jean-Michel Knutsen | Février 2022

Le monde syndical est la « maison mère » de l’organisation collective. C’est de là que sont nées les grandes stratégies qui ont permis à la société civile française de se structurer pour mener des luttes sociales tout au long du XXème siècle.

Pourtant, ce même monde syndical est aujourd’hui en crise, et les syndicalistes s’inspirent de leurs racines pour expérimenter de nouvelles façons de s’organiser.

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Chapitre 1 Revenir aux sources du syndicalisme d'action directe Fernand Pelloutier, les bourses du Travail et la grève générale

L’organisation collective est au coeur de l’histoire syndicale. Revenir aux sources, c’est retrouver les stratégies et les gestes militants qui ont donné toute leurs forces aux mouvements ouvriers du XXème siècle.

L’une de nos principales inspirations aujourd’hui pour repenser les méthodes d’organisation syndicale est Fernand Pelloutier, qui a à la fois théorisé la Grève Générale et milité pour une vision locale de l’engagement syndical.

Qui était Fernand Pelloutier ?

Militant libertaire et secrétaire général de la Fédération nationale des Bourses du Travail de 1897 à 1901, Fernand Pelloutier a marqué l’histoire du monde ouvrier.

Dans un contexte où les syndicats avaient d’avantage une doctrine réformiste qui s’accomodait des arrangements avec les partis politiques, il défendit un syndicalisme d’action directe. D’après lui, les ouvrier·es ne pouvaient espérer négocier à armes égales avec leurs patrons. Pour s’émanciper, les syndicalistes devaient construire un rapport de force suffisant pour complètement renverser l’ordre économique capitaliste. Et le point de bascule de ce renversement, c’était la Grève Générale.

« Nous avons propagé, fortifié nos syndicats, nos Bourses du travail, et nous y avons appris qu’ils pouvaient devenir un excellent moyen de révolution »

L’originalité de la pensée de Pelloutier sur la Grève Générale, c’est qu’elle n’est pas empreinte de romantisme révolutionnaire. Il ne s’agit pas d’une insurrection spontanée ni d’un soulèvement hasardeux :

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La Grève Générale, ça se prépare : il est nécessaire de structurer le mouvement ouvrier grâce à un fin maillage de cellules syndicales ;

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L’éducation populaire est un ingrédient-clé de cette préparation : pour Pelloutier, ce qui manque avant tout aux ouvrier·es pour s’organiser, c’est « la science de leur malheur » ;

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Le rôle du syndicalisme à échelon local : au-delà du syndicalisme de branche (par industrie), les syndiqué·e·s doivent pouvoir se retrouver, débattre et échanger là où ils/elles vivent.

Pour approfondir ces idées, on vous recommande chaudement le documentaire « Histoire de la Grève Générale, de la Commune au Front Populaire », accessible sur le site des Mutins de la Pangée.

Le documentaire s’appuie notamment sur l’ouvrage « Déposséder les possédants – La grève générale aux temps héroïques du
syndicalisme révolutionnaire (1895-1906). Textes rassemblés et présentés par Miguel Chueca (2008) ».

Comment construire ce mouvement ouvrier sur la durée, en s’appuyant à la fois sur l’éducation populaire et les convergences locales ? Pour Pelloutier  il faut s’appuyer sur une institution nouvelle : les Bourses du Travail.

Les Bourses du Travail, creuset de la Grève Générale

Nées en 1887, les Bourses du Travail sont, comme leur nom l’indique, des sortes de « Pôle Emploi » où l’on vient chercher du travail. Mais rapidement, les syndicats s’approprient ces nouveaux lieux et en font de véritables écoles de l’engagement. Outre des bibliothèques et des formations syndicales, les travailleur·euses y trouvent des locaux dédiés aux comités de grève et à la diffusion des idées révolutionnaires (journaux, tracts).

Lorsque Pelloutier devient secrétaire général de ce mouvement, il en voit tout le potentiel. De tels centres de résistance peuvent jouer un rôle structurant dans une future Grève Générale.

Solidaires : les Bourses du travail, par Rolande Trempé, Paris, Scandéditions, Collection Histoire Points, 1993, 119 p.

En à peine 6 ans, Pelloutier multiplie le nombre de Bourses sur le territoire français, et il milite activement pour y enrichir les activités. Certes, au départ, ce sont surtout les artisan·es qui fréquentent ces lieux nouveaux. Mais le succès des Bourses en fait des lieux de plus en plus accueillants pour tous les corps de métier,et de véritables foyers de grèves partout où elles s’implantent.

Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action directe, Jacques Julliard, Paris, Editions du Seuil, Collection Histoire Points, 1985, 295 p.

Pelloutier meurt en 1901, malade et épuisé , à l’âge de 34 ans. Mais il laisse dans le monde ouvrier un héritage indélébile qui peut, aujourd’hui encore, inspirer nos tactiques syndicales.

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Chapitre 2 La force du syndicalisme local Syndicats inter-entreprises et coalitions locales

Aujourd’hui le monde syndical est avant tout structuré par « profession » et « corps de métier ». Mais cette logique de branche, qui pouvait avoir du sens dans un monde dominé par les grandes industries, peut-être aujourd’hui questionnée au profit de rapprochements locaux et interprofessionels.

Pour entrevoir l’avenir du syndicalisme, on peut s’inspirer de nouvelles pratiques qui portent de nouvelles victoires.

Qu’est-ce qu’un syndicat inter-entreprises ?

Un syndicat inter-entreprises est un syndicat qui regroupe des travailleurs·euses de plusieurs entreprises différentes d’un même bassin d’emploi, ainsi que des étudiant·e·s, des chômeurs·euses et des retraité·e·s.

L’intérêt d’un tel syndicat est de permettre à des salarié·e·s de petites structures (comme un petit supermarché, une auto-école ou une pharmacie) de se tenir les coudes et se soutenir lors des mobilisations et des grèves.

C’est aussi l’assurance pour chaque syndiqué·e de pouvoir appartenir à un syndicat, même quand il n’existe pas de syndicat dans son entreprise. Le syndicat inter-entreprise est alors comme un lieu de rencontre, une « maison commune » pour les syndiqué·e·s d’une même localité.

Un exemple ? La création du SIEMMVE (syndicat interentreprises pour Malakoff, Montrouge, Vanves et environs) qui a permi à des travailleurs·euses d’un Monoprix d’être soutenu·e·s dans leur grève par des camarades d’autres entreprises.

Pour découvrir l’histoire de ce syndicat hors-normes, nous vous proposons cet entretien avec Nawel Benchlika, dont le mot d’ordre est « Pas de syndiqué·e·s sans syndicat ! ».

De telles expérimentations sont vouées à se multiplier, mais les freins à leur mise en oeuvre sont encore très importants. Et pour imaginer à quoi pourraient ressembler des efforts de convergence des luttes de grande ampleur, il faut se tourner vers d’autres pays.

Les coalitions syndicales locales

Est-il possible d’imaginer qu’un jour, en France, la CGT, FO, la CNT et la CFDT s’unissent localement pour mener des campagnes de grande ampleur ?

Difficilement. Et pourtant, c’est déjà le cas dans d’autres pays du monde, et notamment aux Etats-Unis, où la campagne Fight for 15 a rassemblé des syndicalistes de tous bords et de toutes professions pour lutter pour l’augmentation des bas salaires.

Uni·e·s derrière une même revendication : « 15 dollars de l’heure », des syndicalistes ont pu mener des campagnes exceptionnelles qui ont fait plier les institutions politiques et le patronnat.

Nous vous invitons à découvrir l’impressionant témoignage de Lumir Lapray, qui a participé à la campagne « Fight for 15 » de Los Angeles.

La campagne « Fight for 15 » n’est qu’un exemple de ce renouveau syndical, et il nous reste de nombreux autres mouvements à découvrir à travers le monde !

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Chapitre 3 La grève comme test de structure Utiliser la grève comme instrument d'organisation

A quoi sert la grève ? Aujourd’hui largement critiquée, elle reste pourtant le premier outil des travailleur·euses pour faire valloir leurs droits. Comment se réapproprier la grève, et en faire d’avantage un instrument d’organisation que de mobilisation ?

Le résultat de la grève n’est plus seulement les nouveaux droits acquis. C’est aussi la solidarité renforcée entre camarades organisé·e·s.

Un test de structure, c’est quoi ?

Un test de structure est une mobilisation planifiée dans le but de tester la force d’un groupe militant.

Par exemple, un collectif peut décider de lancer une pétition, pour mesurer sa capacité à obtenir un large soutien populaire. De même, une association peut organiser une manifestation, pour compter le nombre de personnes qu’elle est en capacité de mobiliser.

Dans le contexte syndical, une grève peut être un moyen de mesurer combien de personnes, au sein de l’entreprise, sont prêtes à s’opposer directement au patron.

Pour approfondir cette définition, vous pouvez découvrir l’article que nous avons rédigé sur la pratique des tests de structure et leur usage dans le monde militant.

Mener un test de structure permet de cartographier les forces et les faiblesses de son organisation. Où manque-t-il de la solidarité ? Les revendications sont-elles vraiment partagées par tout le monde ? Comment aider les membres du groupe à dépasser leurs peurs et à se protéger contre la répression ?

La pratique de la grève comme test de structure est très ancienne. Mais aujourd’hui on retrouve sa formulation la plus radicale chez la militante syndicale Jane McAlevey, notamment dans sa thèse (accessible gratuitement et en intégralité ici).

La stratégie des petites victoires

Chaque test de structure est l’opportunité d’obtenir une petite victoire, qui est comme un marchepied vers la suivante.

Plutôt que d’avoir des revendications démesurées que l’on ne peut pas réellement obtenir, on calibre ses revendications en fonction des forces en présences. Au fur et à mesure que le rapport de force se solidifie pour les travailleur·euses, les revendications peuvent grandir en conséquence.

Un parfait exemple de cette stratégie est la façon dont les militantes de la CGT-HPE ont mené une série de grèves victorieuses au sein de l’hôtel Hyatt à Paris :

Ecoutez l’entretien de Nora Khalil, déléguée syndicale CGT, qui a partagé son expérience dans un épisode de podcast intitulé « Grève, casseroles et sous-traitance« .

Reconnaître, soutenir et mettre en réseau les organisateurs·ices

Nous défendons l’idée qu’il faut, dans les associations, les syndicats et les collectifs, former et reconnaître les militant·es en charge des questions de structuration et de construction du pouvoir collectif sur le long terme.

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