S'organiser face au mensonge
Comment s’organiser collectivement dans un contexte de désinformation et de manipulation des faits?
Par Chloé Rousset | Juillet 2022
Ce dossier a été réalisé et mis à jour en mars 2022 grâce à la participation de Camille Rochard, Mourad Djemal, Mathilde Briend, Sarah Mouline et Chloé Rousset. Un grand merci à elleux!
Loin d’être fini, ce dossier pose quelques premières pierres d’un sujet immense et d’une grande actualité. Il sera complété au fil du temps et des envies. Pour participer à ce dossier et aux prochains, n’hésitez pas à nous contacter !
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L’édito
S’organiser face au mensonge
Chapitre 1
S’organiser face aux idées de l’extrême droite
Chapitre 2
S’organiser face aux déni des violences de l’Etat
Edito S'organiser face au mensonge
Dans un contexte français marqué par la pandémie COVID-19 et la remise en question des données scientifiques, la campagne présidentielle, la montée électorale de l’extrême droite et la diffusion d’idées basées sur le rejet et la peur, la question des mensonges et de la désinformation est omniprésente. En filigrane se pose la question de la confiance : à qui faire confiance, à quelles sources se fier, pourquoi, à quelles conditions ? Mensonge et vérité sont des objets politiques à part entière.
Fabrique des mensonges et désinformation
A travers plusieurs célèbres études de cas, le documentaire « La fabrique de l’ignorance », paru en 2020, étudie la manière dont la science a déjà été instrumentalisée par des industries (du tabac, des pesticides etc) afin de générer des controverses et égarer l’opinion publique sur ses dangers.
Le documentaire « Propagande, les nouveaux manipulateur », d’Alexandra Jousset et Philippe Lagnier, paru en 202, s’intéresse à la manière dont des mouvements nationalistes populistes (aux Etats-Unis, Inde, Brésil et Italie) utilisent les réseaux sociaux pour propager des discours de haine et de mensonge.
Le mensonge est une altération de la vérité, qui vise à servir des intérêts particuliers, financiers ou encore politiques. Dans un tel contexte, comment s’organiser face aux mensonges ? Face à des acteur·ices qui ne partagent pas toutes les informations, qui manipulent des faits et des chiffres ou qui les nient ?
Comprendre la stratégie de nos adversaires
Nos articles « Roger Stone, l’homme qui a fabriqué Donald Trump » et « Dominic Cummings : l’artisan du Brexit et ses tactiques » s’intéressent aux stratégies mises en place par ces organisateurs de l’ombre, notamment via l’utilisation et la manipulation des « big data ».
Plutôt que de réfléchir de manière théorique aux impacts du mensonge dans nos combats pour la justice sociale et écologique, ce dossier propose d’aborder le sujet depuis l’angle de l’organisation collective et des récits de lutte inspirants.
Comment s’organiser collectivement pour regagner du terrain face à ces stratégies de désinformation et de manipulation, à défaut de gagner la guerre culturelle et politique à court terme ? Dans un tel contexte, quels sont les freins à l’organisation collective ? Comment faire pour tenir, que ce soit matériellement, psychologiquement, émotionnellement, individuellement ou collectivement, face à des acteur·ices qui nient l’objet même de nos luttes ? Ce sont finalement des enjeux qui traversent la plupart de nos luttes.
Réfléchir à s’organiser face aux mensonges implique de penser aussi en termes d’éducation populaire. Face à la stratégie de désinformation, construire une opinion fondée demande du temps, des compétences mais aussi l’accès à différentes sources de confiance. In fine c’est la question de la place de l’autodéfense intellectuelle qui se pose : au sein de nos groupes, dans les espaces que nous fréquentons et dans la société en général. Car débusquer une information fausse met infiniment plus de temps que de la créer. Cette autodéfense implique du temps long et de construire de la confiance. Et donc du pouvoir collectif, nécessaire pour s’organiser.
Si l’éducation populaire vise à combattre les effets de l’hégémonie culturelle capitaliste sur l’émancipation intellectuelle des individus, alors éducation populaire et organisation collective fonctionnent main dans la main.
Chapitre 1 S'organiser face aux idées de l'extrême droite
Comment s’armer intellectuellement face aux discours qui propagent des idées racistes et discriminantes ? Comment s’organiser collectivement face à des acteur·ices qui manipulent les faits et les chiffres sans vergogne pour promouvoir leurs idéologies basées sur le rejet ?
L’extrême droite est une vaste famille politique, comprenant des mouvements, des organisations et des partis politiques. Loin d’être homogène, ayant évoluée au cours du temps, ses fondements idéologiques sont basés sur le nationalisme (la préférence nationale), la xénophobie et le rejet de l’immigration, ainsi que l’autoritarisme. Afin de gagner la sympathie de l’opinion publique, les acteur·ices de l’extrême droite s’appuient notamment sur la manipulation des chiffres et des faits ainsi que sur la remise en cause d’évènements historiques (révisionnisme). Le mensonge est donc un instrument central de leur stratégie politique.
La BD « Aux portes du Palais », (2021, Mediapart et H. Bourhis), s’intéresse aux dynamiques et stratégies qui ont encouragé la montée en puissance des idées d’extrême droite en France. Une bonne manière de comprendre le contexte actuel, lutter contre le fatalisme et développer des stratégies d’actions.
Le contexte des dernières années en France (et ailleurs dans le monde, notamment en Europe), est marqué par une présence accrue de l’extrême droite. Cette montée en puissance des acteur·ices de l’extrême droite passe par leur ascension électorale, par le relai de leurs idées dans la sphère médiatique et virtuelle (les réseaux sociaux notamment), ainsi que par de nombreuses actions, plus ou moins violentes, de groupes se revendiquant de cette famille politique, à l’encontre d’organisation et de militant·es défendant la justice et la solidarité. Malgré leur diversité, les acteur·ices prônant des idées d’extrêmes droites cherchent à s’organiser et à se structurer, que ce soit au niveau local, national et transnational.
Vous souhaitez raconter les efforts d’organisation collective réalisés dans des pays qui font face à des gouvernements d’extrême droite ? Ou encore des luttes passées qui se sont organisées pour contrer des groupes et idées d’extrême droite ? Cela peut prendre la forme de traduction, d’entretiens, d’article, de vidéo, de débats, d’arpentage… N’hésitez pas à nous écrire !
Face à ces menaces et violences, faire front commun est central. Les stratégies d’actions et les efforts de structuration sont multiples, portés par des collectifs, des associations, des syndicats, des coalitions.
Cela passe par exemple par un travail soutenu d’analyse de leurs langage et arguments, ainsi que par des efforts d’éducation populaire. En effet, les mots constituent un outil d’emprise et de manipulation redoutable sur les individus, c’est donc également un terrain de bataille politique. Mobiliser l’intelligence collective pour lutter contre ce langage demande des efforts d’organisation collective et de l’endurance, car cela s’inscrit sur le temps long. Ce travail d’analyse implique de chercher à comprendre ses adversaires, leurs arguments, leurs stratégies, afin de les contrecarrer.
Le collectif français La Horde a réalisé une cartographie des forces de l’extrême droite, en collaboration avec le site antifasciste REFLEXes. Cet outil propose des repères, forts utiles pour les efforts d’organisation collective !
Envie de découvrir et de vous approprier les outils de cartographie du pouvoir ? Nous proposons un atelier en ligne d’une heure trente tous les deux mois sur le sujet ! Toutes les informations ici
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Dénoncer les contre-vérités vient en complémentarité d’autres actions d’organisation collective, par exemple:
- se soutenir face à la répression et aux agressions, qui ont des impacts différents selon la couleur de peau, les papiers, la classe sociale, l’identité de genre etc. ;
- occuper l’espace public pour faire masse, lors de commémoration par exemple ;
- organiser des contre-rassemblements lors de rencontres ou conférence de l’extrême droite, afin de dénoncer l’hypocrisie et la dangerosité de la prétendue « normalisation » de leurs mouvements ;
- lutter contre les tentatives d’entrisme de l’extrême droite, par exemple dans les syndicats.
Loin d’être nouveaux, ces efforts visant à faire front commun et à se structurer sont fondamentaux et peuvent nous apprendre beaucoup en terme d’expérience.
Dans cet entretien, Sébastien nous raconte comment le monde syndical s’organise pour lutter contre les discours et les actions de l’extrême droite, en particulier dans le monde du travail. Membre de VISA, Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes, il nous raconte la création de l’association, sa stratégie, sa structuration et ses différents champs d’action – en particulier leurs formations, ayant pour objectif d’outiller les participant·es et les soutenir dans la mise en place d’action de riposte.
Chapitre 2 S'organiser face au déni des violences de l'Etat
Comment s’organiser pour obtenir justice face à des acteur·rices politiques qui nient l’existence même de l’objet de la lutte ? Interroger ces enjeux par l’angle de l’organisation collective nous invite à explorer les questions de structuration, de mutualisation d’outils et de ressources, d’éducation populaire politique, de soin communautaire et psychologique ainsi que de mémoire et transmission.
Mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis, combats des comités Justice et Vérité en France, luttes juridiques des personnes blessées et mutilées lors des manifestations gilets jaunes… Si l’(auto)-organisation contre les violences et crimes de l’Etat n’est pas quelque chose de nouveau, ce sujet n’est devenu visible dans les médias et l’opinion publique en France que depuis quelques années. Aujourd’hui, l’impunité dont bénéficient les acteur·rices de ces violences ainsi que les racines racistes de ces actions sont plus largement dénoncées. Ce résultat est notamment le fruit d’un patient travail d’organisation collective de la part des personnes directement impactées par ces violences et de leurs allié·es.
Les « violences de l’Etat » regroupent toutes sortes de violences justifiées au nom du « maintien de l’ordre public ». Il s’agit à la fois des violences policières (techniques d’interpellation dangereuses, utilisation d’armes létales, contrôle au faciès, difficulté de porter plainte et d’avoir recours à la justice avec les « non-lieux », discriminations racistes etc), mais aussi des violences de l’Etat commises dans le monde carcéral, celles commises à l’encontre des personnes sans-papiers et exilées, etc.
Face à la montée en puissance de ce mouvement, les décideur·ses politiques se retrouvent forcé·es à prendre position, quitte à affirmer encore plus leur déni de cette réalité, ou bien à justifier l’usage de ces violences. Il s’agirait d’évènements isolés, de bavures, de légitime défense face à des individus jugés menaçants.
Qu’est-ce qui rend certains corps « menaçants », sources de danger, et donc justifiant l’usage de la violence à leur encontre ? Quels sont les individus jugés légitimes à se défendre et à avoir recours à la violence et ceux qui ne le sont pas ? Comment s’organiser et se défendre dans un contexte qui nie ce droit ? C’est à ces questions qu’essaie de répondre Elsa Dorlin dans son ouvrage « Se défendre, une philosophie de la violence » (2018). Pour ce faire, elle analyse notamment les pratiques de ju-jitsu des suffragistes anglaises, les patrouilles des groupes queer aux Etats-Unis ou encore les résistances des esclaves contre l’ordre colonial en Amérique du Nord.
Vous voulez faire une fiche de lecture sur cet ouvrage ? Contactez-nous ! Pour nous écrire, c’est par ici !
Comment s’organiser dans ce contexte de déni et face aux mensonges des classes politiques ? Depuis de nombreuses années, les familles des victimes de violences policières notamment s’auto-organisent afin d’obtenir justice et vérité en France. Au sein des Comités pour la Vérité et la Justice, (dont un des plus médiatisé est le Comité pour Adama), ces personnes dénoncent les version officielle et remettent en question l’impunité dont bénéficient des responsables. Il s’agit à la fois d’obtenir justice, reconnaissance et réparation pour la mort d’un·e proche, mais aussi de délégitimer le discours officiel qui nie ces réalités.
Nous vous invitons à lire notre entretien avec Fatou Dieng, qui nous raconte en détail la montée en puissance et la structuration du mouvement contre les violences policières en France, depuis son expérience et son combat en tant que famille de victime.
La montée en puissance de ce sujet en France est aussi due à la force du mouvement « Black Lives Matter » aux Etats-Unis – aujourd’hui présent dans de nombreux autres pays. Né en 2013, ce mouvement a pris une immense ampleur suite à la mort de l’afro-étatsunien George Floyd, lors d’une interpellation à Minneapolis, en 2019. Ces mobilisations, qui s’appuient sur des efforts d’auto-organisation poussés, ont donné une dimension transnationale à la lutte en France et ont aidé à mettre la question du « racisme systémique » et de l’intersectionnalité des discriminations au centre du débat.
Comment ce mouvement a-t-il débuté ? Comment s’organise-t-il ? A quels défis a-t-il dû faire face pour continuer son ascension et intégrer de plus en plus de personnes ? Quelle est la stratégie du mouvement pour obtenir le démantèlement de la police et de ses sources de financement ?
Il existe encore peu de ressources sur ce sujet en français. Si vous avez envie de vous pencher sur le sujet, rejoignez le projet de l’Université populaire des luttes!
En filigrane se pose la question de la mémoire et de la transmission des mouvements sociaux. En effet pour s’organiser sur le long terme, il est nécessaire de s’appuyer sur des expériences passées, faute de quoi nous sommes condamné·es à sans cesse réinventer l’eau chaude. Ces enjeux sont d’autant plus importants afin de contrer un discours politique et médiatique qui nie l’objet même des luttes. Il s’agit donc de patiemment rassembler, compter, rédiger, stocker, diffuser, partager les faits et les récits de lutte. Et c’est d’ailleurs justement ce que cherche à faire l’Université Populaire des Luttes !
Quelques ressources pour approfondir la mémoire de la lutte contre les violences policières :
« 100 portraits contre l’Etat policier », du collectif Cases Rebelles
Le travail de la plateforme Enquête Critique et de Bastamag
Reconnaître, soutenir et mettre en réseau les organisateurs·ices
Nous défendons l’idée qu’il faut, dans les associations, les syndicats et les collectifs, former et reconnaître les militant·es en charge des questions de structuration et de construction du pouvoir collectif sur le long terme.
L'Université Populaire des Luttes
Traduire, rechercher, mettre en page et faire vivre notre communauté de bénévoles permet de garder en mémoire les récits de luttes, sources inépuisables d’espoirs et d’inspirations tactiques et stratégiques.
Dans un système politique prédateur dont l’un des objectifs est de nous priver de nos repères militants historiques, les moyens de financer ce travail de mémoire sont rares.
Pour nous aider à garder cette université populaire des luttes accessible gratuitement et contribuer à renforcer nos luttes et nos solidarités, faites un don !