S’(auto)-organiser face aux violences policières, entretien avec Fatou Dieng
Entretien réalisé par Sarah Mouline et Chloé Rousset.
Retranscription réalisée par Chloé Rousset en mars 2022.
Relecture par Mathilde Briend.
Depuis 2007 et l’assassinat de Lamine Dieng par des policiers à Paris, le comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng se bat pour obtenir reconnaissance et réparation. Le comité n’a d’autre choix que de s’auto-organiser face au refus de l’Etat français de reconnaître les violences et crimes policiers. Fatou Dieng, sœur de Lamine, revient avec nous sur la montée en puissance du mouvement contre ces violences et crimes en France. Elle nous raconte la genèse du collectif Vies Volées ainsi que la constitution du Réseau d’Entraide Justice et Vérité. Depuis 2011, Vies Volées organise, avec d’autres comités de familles endeuillées et des collectifs de victimes blessées, des marches nationales contre les violences et crimes policiers, qui ont pris une ampleur de plus en plus grande. Ce lent et long travail d’organisation collective, cherchant à tisser des liens de solidarité forts et à défendre le principe d’auto-organisation des premièr·es concerné·es, n’est pas sans difficultés.
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Depuis 2007 et l’assassinat de Lamine Dieng par des policiers à Paris, le comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng se bat pour obtenir reconnaissance et réparation. Le comité n’a d’autre choix que de s’auto-organiser face au refus de l’Etat français de reconnaître les violences et crimes policiers. Fatou Dieng, sœur de Lamine, revient avec nous sur la montée en puissance du mouvement contre ces violences et crimes en France. Elle nous raconte la genèse du collectif Vies Volées ainsi que la constitution du Réseau d’Entraide Justice et Vérité. Depuis 2011, Vies Volées organise, avec d’autres comités de familles endeuillées et des collectifs de victimes blessées, des marches nationales contre les violences et crimes policiers, qui ont pris une ampleur de plus en plus grande. Ce lent et long travail d’organisation collective, cherchant à tisser des liens de solidarité forts et à défendre le principe d’auto-organisation des premièr·es concerné·es, n’est pas sans difficultés.
Bonjour Fatou, un grand merci de prendre ce temps pour notre échange ! Pour commencer, pourrais-tu te présenter ?
Bonjour, je m’appelle Fatou Dieng,du Comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng, membre du collectif Vies Volées et du Réseau d’Entraide Justice et Vérité. Je suis la sœur de Lamine Dieng, qui a été tué le 17 juin 2007 par clé d’étranglement et plaquage ventral par des policiers à Paris, dans le 20e. Depuis cette date, je milite pour la vérité et la justice contre les violences d’Etat.
Avec les soutiens du comité « Vérité et Justice pour Lamine Dieng », ma famille s’est battue pendant 13 ans pour démentir les mensonges, révéler la vérité et rendre justice à Lamine. Comme dans de nombreuses affaires, nous avons fait face à plusieurs non-lieux, des “circulez, il n’y a rien à voir, rien ne s’est passé”. Nous ne croyons pas à ce discours mensonger, pourtant relayé par les grands médias. A les écouter, Lamine était un jeune drogué responsable de sa propre mort. L’instruction a duré 10 ans. En 2018, nous avons déposé un dossier à la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), sachant qu’il faut user de tous les recours au niveau national avant de pouvoir faire cette démarche. En juin 2020, pour clore les poursuites à son encontre, face à cette Cour, l’Etat français a finalement accepté de verser une indemnisation, fixée par la CEDH, à la famille Lamine Dieng, reconnaissant ainsi sa culpabilité. Je précise que les assassins de Lamine sont toujours en service.
Hommage à Lamine – crédits : Comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng
Peux-tu m’en dire un peu plus sur le collectif Vies Volées ? Comment s’est-il constitué ?
Vies Volées est un collectif de familles victimes de crimes policiers, créé en 2010 par ma sœur Ramata 1. C’était 3 ans après l’assassinat de notre frère. L’objectif était de briser l’isolement et d’unir les familles. Car quand on est victime directe de violence policière ou famille de victime, c’est très compliqué de lutter, on est comme face à un mur, invisible et seul·e face à sa souffrance et face à l’Etat. Cette union des premièr·es concerné·es est vitale pour rester debout et continuer à lutter.
Au fil des années, nos collectifs sont rentrés en lien avec d’autres groupes de familles de victimes tuées, de victimes blessées et mutilées, des collectifs antiracistes, antifascistes et contre les violences et crimes d’Etat. Durant plus de 10 ans, au fil des rencontres et des échanges, nous avons tissé des liens de solidarité, de soutien mutuel sur les questions logistiques, juridiques, financières… nous avons organisé des évènements communs, comme les commémorations, les marches, les ateliers d’autodéfense, des projections, des débats et rencontres.
Début 2021, pour afficher cette volonté d’union et vraiment officialiser cette solidarité, nous avons décidé ensemble de nommer ce réseau existant en Réseau d’Entraide Vérité et Justice, dont le comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng et le collectif Vies Volées en sont membres.
Quelques ressources :
- Le site internet du collectif Vies Volée
- Le documentaire « Dire à Lamine », un film du collectif Cases Rebelles, 2020
Est-ce que tu étais déjà militante au début du collectif ?
Ah non, je ne l’étais pas ! Dans ma famille, nous ne militions pas du tout. Mais nous connaissions ces comportements de la police, leur violence et crimes face à des personnes non blanches. C’est à la mort de Lamine que nous avons commencé à nous engager dans la lutte.
Vous avez donc dû apprendre directement sur le terrain, dans un contexte où, j’ai l’impression, la question des violences policières était bien moins connue par l’opinion publique…
C’est sûr qu’à l’époque c’était compliqué ! En 2007, ces sujets n’étaient pas du tout médiatisés, je dirais même que c’était le déni complet, l’ignorance. Et tant que ces violences étaient exercées sur les habitant·es des quartiers populaires, sur des personnes précarisées, discriminées, des personnes non blanches, ça n’inquiétait personne et encore moins l’opinion publique. Ces violences étaient “normales et banalisées”, on parlait d’ailleurs de « bavures » à l’époque. Le premier combat était déjà de renommer ces actes en “violences et crimes”et faire entendre notre version des faits. Bien peu de médias en parlaient à l’époque… Si ce n’est quelques médias indépendants – je pense à La Télé Libre, FPP, l’Envolée Journal par exemple – via lesquels nous pouvions nous exprimer, faire des interviews, lancer des appels à témoin, des appels à se mobiliser, des appels à dons….
Même au niveau des avocat·es c’était compliqué ! Mettre en cause des policier·es, c’était pour ces avocat·es batailler contre l’Etat. Tou·tes n’avaient pas les épaules pour porter ces dossiers.
Aujourd’hui, c’est un sujet dont les médias s’emparent et parlent bien plus. Les gens sont plus conscients de ces violences et constatent l’impunité des agent·es assermenté·es. Les mouvements sociaux et notamment les Gilets Jaunes en 2018 où permis de fortement médiatiser et visibiliser ces enjeux, à l’échelle nationale et internationale. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux et la solidarité, les victimes arrivent à se mettre en lien plus facilement avec d’autres collectifs de victimes et s’approprier plus d’outils. Elles ont plus de courage aussi, osent porter plainte de plus en plus contre des agent·es assermenté·es, des magistrat·es ou encore des médecins expert·es ou des médias.
Est-ce que vous avez pu trouver du soutien dans votre combat à l’époque ?
Oui, nous avons été soutenu·es par des associations de quartier, des habitant·es du quartier, des militant·es de terrain, notamment le MIB2 et la BAN3. Ces groupes se sont mobilisés pour nous soutenir et nous conseiller : savoir quelles démarches suivre, ce qui a déjà été fait, ce que nous pourrions essayer. Leur objectif était d’encourager notre autonomie d’organisation et la mobilisation locale.
Les soutiens, les conseils et nos propres recherches nous ont permis aussi de prospecter les avocat·es. Il fallait s’assurer que l’avocat·e soit pénaliste et qu’il ou elle allait collaborer et agir de manière transparente avec la famille. Par exemple, pour nous, il était primordial que l’avocat·e ne soit pas la seule personne à connaître le dossier. Nous voulions aussi nous l’approprier, le décortiquer, l’étudier. Ma sœur aînée Ramata, qui a porté la lutte avec acharnement et ténacité, a fait ce travail éprouvant tant physiquement que moralement. C’est le conseil que nous continuons à donner aux familles endeuillées et victimes blessées : connaître le dossier de A à Z. Certes c’est une souffrance de plus, mais nécessaire. Nous étions conscient·es des nombreux dossiers gérés par les avocat·es et nous ne voulions pas que le meurtre de Lamine tombe dans l’oubli et soit invisibilisé. Aujourd’hui il y a bien plus d’avocat·es militant·es qu’en 2007.
Crédits : collectif Vies Volées
Donc en plus du combat juridique que vous meniez, vous avez aussi commencé à organiser des événements de commémoration ainsi que des marches nationales avec le collectif Vies Volées. Ça en fait du travail ! Est-ce que tu peux nous en dire plus sur ces marches nationales ?
Oui effectivement, à partir de 2011 le collectif Vies Volées a commencé à organiser des marches contre les violences policières à Paris, avec d’autres collectifs de familles endeuillées et victimes blessées. Ce fut une réponse à l’appel du Collectif Opposé à la Brutalité Policière (COPB) de Montréal. Mi-mars est devenu un moment de convergence de toutes les personnes victimes de violences et de crimes d’État.
Au fil des années, les marches ont pris différents noms, pas toujours initiées par les mêmes collectifs. Mais depuis 2018, avec le soutien et la participation du Collectif Vies Volées, ce sont majoritairement les mêmes collectifs de familles et de victimes qui organisent cette journée, en association avec des collectifs de personnes exilées et sans-papiers, antiracistes, antifascistes et de collectifs en lutte contre les violences d’État.
Le 20 mars 2021, c’est le Réseau d’Entraide Vérité et Justice qui a pris le relais en appelant à la 10e édition de la marche contre le racisme systémique, les violences policières, pénitentiaires et judiciaires.
Crédits : collectif Vies Volées
Cet article de l'Université Populaire des Luttes
Effectivement, la marche du 20 mars 2021 contre le racisme et les violences policières, pénitentiaires et judiciaires a réuni plusieurs milliers de personnes rien qu’à Paris. Elle a aussi eu un fort écho médiatique. Qu’est-ce qui t’a particulièrement marquée dans son organisation ?
Cette marche est le résultat des nombreux liens qu’on a réussi à construire depuis 2007, travail long et patient. La préparation de la marche de 2020 par le lancement de la pétition “Laissez Nous Respirer”, avec plusieurs signataires, publiée dans l’Humanité et relayée par d’autres médias, nous a été bien utile. Avec la pandémie, nous n’avions pas pu faire de marche en 2020, l’envie était donc forte d’en faire une en 2021 ! Les liens créés ont permis de s’organiser avec la Marche des solidarités, qui réunit des collectifs de personnes sans-papiers et des personnes migrantes et qui organisent aussi des marches depuis 10 ans. L’auto-organisation était au centre du processus. On s’est appuyé sur l’expérience qu’on avait depuis longtemps, celles des unes et des autres, les contacts et les personnes ressources. Ces moments sont forts aussi parce qu’on se forme et qu’on apprend ensemble.
Crédits : Réseau d’Entraide Justice et Vérité
Chez Organisez-Vous, on voit ce genre d’action comme des « tests de structure », qui permettent de solidifier l’engagement des membres d’une communauté. Le processus d’organisation est central, parce que ça permet d’apprendre ensemble et de tisser de la confiance.
Oui, c’est sûr que ça tisse de la confiance. Et que cette confiance, on l’acquiert par l’expérience, sur le terrain, à l’épreuve du temps. Et non pas par de belles paroles.
J’ai vu qu’une campagne « anti racisme et solidarité » a été lancée à l’initiative de la Marche des Solidarités, le 18 décembre 2021, à l’occasion de la marche traditionnelle des personnes migrant·es. Est-ce que vous y participez ?
Des collectifs du Réseau d’Entraide Vérité et Justice participent à cette campagne, comme le comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng, le collectif Justice et Vérité pour Babacar Gueye et l’Action Antifasciste Paris-Banlieue. Mais le Réseau lui-même ne s’est pas encore engagé. Nous attendons de plus nous structurer afin de prendre une décision collective.
Cette campagne est à l’initiative des collectifs de la Marche des solidarités (des collectifs de coordination des personnes sans-papiers, exilées et migrantes) avec qui nous organisons la 11e éditions de la marche du 19 mars 2022.
Le comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng, comme d’autres collectif a toujours fait le lien entre la lutte contre les violences policières et la lutte des personnes sans-papiers, à cause de notre histoire. Je pense aussi que nous partageons le principe de l’auto-organisation, vouloir mettre les premièr·es concerné·es au centre. Ce que j’espère, c’est que cela reste un des piliers de cette campagne.
A quelles conditions serait-il possible de s’organiser avec ces groupes de personnes non concernées ?
Si elles agissent en tant qu’alliées et respectent le principe d’auto-organisation des personnes concernées. C’est-à-dire qu’elles ne prennent pas les rôles de meneur·ses, de porte-paroles etc. Qu’elles se placent en soutien et laissent l’espace aux personnes dont les paroles, témoignages et revendications sont trop souvent silencées.
Tu as parlé à plusieurs reprises de l’importance de l’auto-organisation. Qu’est-ce que cela signifie pour toi?
L’auto-organisation pour moi signifie, l’indépendance, l’autonomie, la liberté de réfléchir et trouver des solutions ensemble, de construire et s’organiser en définissant nos besoins, sans solliciter d’aide institutionnelle, s’organiser par soi même ou collectivement. Sans ce principe et la force que ça nous a donné, nous n’aurions jamais été entendu·es.
Ces dernières années, et surtout l’été dernier, le Réseau d’Entraide Vérité et Justice a fait de belles rencontres, notamment avec des personnes venant d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine comme le Mexique avec les zapatistes… Toutes ces rencontres et échanges nous montrent que l’impunité est omniprésente dans nos sociétés. Ce qui varie c’est le niveau de répression. Et nous avons pu constater à quel point l’auto-organisation est fondamentale, car tu ne peux simplement pas compter sur l’État. Alors on cherche à se rassembler et créer du lien entre personnes directement concernées par ces violences et répressions de l’État à se soutenir et à porter des fronts de lutte communs.
Les zapatistes?
Les zapatistes auxquel·les fait référence Fatou Dieng sont des autochtones mayas, vivant dans le Sud du Mexique, au Chiapas. Elles et ils sont connu·es pour leur processus d’auto-gouvernement populaire, rendu possible
notamment par la lutte menée par l’organisation EZLN (l’Armée Zapatiste de Libération Nationale) contre le gouvernement mexicain afin de défendre l’autonomie du territoire depuis les années 90. Durant l’été et le printemps 2021, environ 150 zapatistes ont fait le voyage jusqu’en Europe afin d’aller à la rencontre des territoires et des populations en luttes dans le continent. Une délégation a notamment sillonné la France, participant à des rencontres transnationales réunissant des militant·es de tous horizons.
Vous faites ce travail de soutien et d’organisation via Vies Volées et le Réseau d’Entraide Vérité et Justice notamment, comme tu l’as évoqué. Peux-tu nous en dire plus sur ce dernier ?
Le Réseau d’Entraide Vérité et Justice regroupe un ensemble de collectifs de familles de victimes tuées par la police, la gendarmerie et la prison, de familles qui ont perdu un proche suite à des disparitions forcées et de personnes blessées et mutilées par les forces de l’ordre, des collectifs antiracistes, antifascistes et contre les violences et crimes d’État. Ces collectifs viennent de différentes régions. Après tout, Paris n’a pas le monopole des violences d’État!
On le voit comme un outil, qui nous permet de mutualiser nos moyens, nos ressources, renforcer nos luttes et parler d’une seule voix. Le Réseau est composé de familles ou victimes qui sont en lien avec nous depuis 10 ans, d’autres qui rentrent dans ce monde depuis 6 mois. C’est une force mais aussi une difficulté, car nous n’avons pas forcément les mêmes expériences politiques.
Peux-tu nous donner un exemple?
Sur la question de lien avec les décideur·ses politiques par exemple. Vies Volées affirme ne pas vouloir s’organiser avec ces personnes, car nous ne voulons pas prendre le risque que notre lutte soit récupérée par des partis et des politiques. Ce positionnement découle de notre expérience. Or pour un collectif récemment créé, ce positionnement n’est pas forcément si évident.
Exposition à la parole errantes. Crédits : La Meute-Jaya
Et du coup, comment faites-vous pour vous organiser collectivement avec ces différentes expériences au sein du Réseau ?
Ce n’est pas toujours facile. Nous essayons de nous mettre au même niveau. Chacun·e apporte son expérience, son vécu. Il y a beaucoup d’échanges, de bienveillance et d’écoute. Par exemple, si une famille veut aller parler avec des décideur·ses politiques, nous allons lui raconter notre expérience, la mettre en garde, mais pas l’en empêcher. S’organiser ensemble, ça implique qu’on prenne le temps de s’écouter, de se connaître et de se respecter. Et cela implique aussi qu’on reconnaisse que même si nos expériences et stratégies diffèrent, nous avons des objectifs et intérêts communs, des revendications communes et que nous sommes plus fort·es ensemble que séparément. Nous sommes en train de formaliser ça par la rédaction d’une charte collective. Si on prend l’exemple de nos revendications, elles sont le résultat d’un travail de collecte auprès de chaque collectif et coordination membre, pour s’assurer de ne laisser personne de côté. Ensuite nous compilons et reformulons. Fondamentalement ce qui nous unit, c’est notre volonté commune de mettre fin au racisme et aux violences de l’État, qu’il s’agisse de la police, de la prison, de la justice etc.
Je rajouterai aussi que les différences d’expérience politique ne doivent pas, à nos yeux, signifier que les familles qui sont arrivées il y a 6 mois n’ont pas des choses à nous apprendre, au contraire. Nous apportons notre expérience concernant notre vécu et nous continuons à apprendre ensemble. Nous ne sommes pas là pour éduquer mais pour s’éduquer ensemble.
Extrait des revendications
Dans son « appel du réseau d’entraide Vérité et Justice avec les familles des victimes, des blessé.es et des mutilées STOP A L’IMPUNITE », le réseau défend plusieurs types de revendications (contre le déni des droits humains, contre l’impunité et le déni de justice, contre le dénigrement et les violences faites aux sans-papiers. En voici un extrait :
« CONTRE L’IMPUNITÉ ET LE DÉNI DE JUSTICE
- Créer un organe indépendant pour enquêter sur les plaintes contre les forces de l’ordre et les surveillants pénitentiaires, et pour garantir l’indépendance des expertises scientifiques nécessaires.
- Dépayser systématiquement l’instruction des plaintes contre les forces de l’ordre et les surveillants pénitentiaires.
- Mettre en place une assistance psychologique systématique pour les victimes et leurs proches et la gratuité des soins nécessaires.
- Garantir la prise en charge complète, par la Sécurité sociale et les mutuelles, des soins et traitements médicaux nécessaires consécutifs à des violences d’État.
- Garantir l’audition par le magistrat instructeur de tous les témoins identifiés, leur remettre une copie de leurs auditions et leur mise sous protection.
- Garantir l’accès à tous les enregistrements audios et vidéos disponibles.
- Encadrer et engager la responsabilité des médecins intervenant dans des procédures judiciaires. »
Ça me fait penser à l’éducation populaire ! Pour nous, il n’y pas de combat possible sans éducation populaire.
Oui tout à fait surtout lorsque l’oppresseur est l’État. En juin 2021, pour la 14e année commémorative de Lamine Dieng, nous avons organisé, sous un format autre que les marches, une journée d’ateliers de formation et d’autodéfense collective, à la Parole Errante, à Montreuil. Plusieurs collectifs du Réseau d’Entraide Vérité et Justice y ont participé. Nous avons organisé des débats sur les violences policières, pénitentiaires (sur les conditions de détention en milieu carcéral), judiciaires et psychologiques ainsi que des ateliers… Par exemple, nous avons fait un atelier de prévention sur comment faire face à une garde à vue. Une de mes sœurs a animé un atelier sur le « copwatching », c’est-à-dire comment filmer la police sans se mettre en danger. Et aussi sur la fabrique du non-lieu ainsi que des interventions autour des enjeux judiciaires. Le but était vraiment de se retrouver, de resserrer nos liens, d’apprendre ensemble à nous défendre sur le plan juridique et psychologique ainsi que de s’outiller collectivement pour ressortir plus fort·es.
Ateliers de formation et de discussion
- Copwatching
- Théâtre-forum « Se défendre »
- La fabrique du non-lieu
- Violences psychologiques
- Violences pénitentiaires
- Sérigraphie (venez avec vos t-shirts)
- Cantine
- Graff
- Initiation à la boxe par l’ASPA
- Collage photo avec l’aide du collectif Bon pied, bon œil
- Exposition photo
- Coin enfants
Peux-tu nous en dire plus sur ce que vous faites concernant les enjeux de santé mentale ? J’ai l’impression que c’est souvent un sujet délaissé dans le monde militant.
On s’est rendu compte qu’on parle souvent des violences policières et pénitentiaires, mais peu des impacts psychologiques que ça a. Les familles endeuillées et les victimes blessées se retrouvent abandonnées à leur sort, sans soutien sur cet aspect. Pour nous, la famille de Lamine, même si cela fait déjà 14 ans, la douleur est toujours présente. On n’en guérit jamais. Les familles et les victimes de violences policières et pénitentiaires ne sont pas considérées spontanément comme des victimes “ordinaires”, il n’y a aucune bienveillance institutionnelle, elles n’ont pas de prise en charge psychologique, et doivent faire la démarche par elles-mêmes. Et souvent les personnes qui ont fait ce chemin en sont sorties déçues, ayant l’impression d’être face à des professionnel·les qui les jugent, sans compter le coût de ces suivis additionné aux frais judiciaires et/ou frais médicaux pour les victimes blessées et mutilées. Face à ces difficultés d’accès à la santé mentale, avec le collectif Cases Rebelles, l’Assemblée des blessés, Vies Volées et d’autres militant·es, nous avons commencé il y a 3 ans, un travail de recensement sur la santé mentale et le soin. L’idée est de définir nos propres besoins, comment les mettre en place et d’être en lien avec des professionnel·les de confiance de la santé mentale qui nous aident à mettre des mots sur ce que nous traversons plutôt que de nous juger. Et s’il s’avère que ce sont des personnes de confiance, alors nous les conseillons aux victimes ou familles de victimes, sur demande.
Cases Rebelles
Créé en France en 2010, le collectif Cases Rebelles est un « collectif noir anti-autoritaire composé actuellement exclusivement de femmes queers et trans » et se revendiquant d’une approche « PanAfroRévolutionnaire ». Cases Rebelles « participe/co-organise des évènements politiques et culturels, produit des articles, ainsi qu’une podcast mensuel autour des histoires, cultures et luttes des peuples noirs. »
Lire l’entretien de Fatou Dieng par Cases Rebelles : « Consulter, on ne se l’est jamais autorisé »
Quelles sont vos perspectives pour les prochains mois ?
On va continuer à se structurer au sein du Réseau d’Entraide Justice et Vérité. En matière de charte interne mais aussi en matière d’outils de communication vers l’extérieur par exemple. Nous allons aussi continuer à se soutenir mutuellement entre familles et victimes dans l’organisation des commémorations et des marches nationales du 19 mars 2022 contre les violences d’État et le racisme systémique et de fin mai contre les violences pénitentiaires. Il faut aussi qu’on trouve des sous, parce que tout ce travail nécessite des financements : les transports, la logistique… Pour nous, l’autonomie est une nécessité, l’indépendance signifie ne pas faire de demande de subvention, ne pas dépendre des institutions. Du coup nous fonctionnons via des cagnottes, qu’on essaie de relayer au maximum auprès des organisations et des personnes qui nous soutiennent. Cela est possible car nous avons un vaste soutien, qui s’est construit au fil des années. Le Réseau va aussi continuer à avancer sur son positionnement, qui soutenir etc.
Crédits : Marche des Solidarités
Est-ce que tu veux nous raconter une dernière anecdote ?
Souvent des personnes viennent nous remercier. Cela me gêne, comme si tout ce travail était celui d’une seule personne ! En réalité c’est le résultat d’un travail collectif, des familles de victimes, des victimes blessées elles-mêmes, ainsi que la force des combats passés. Nous sommes dans une perspective de transmission des luttes, nous n’avons rien inventé, nous sommes dans une continuité.
Je pense aussi à la gêne que je ressens quand on vient me dire qu’on est fort·e, en tant que famille victime des violences et crimes policiers. Nous avons décidé de lutter malgré toutes les difficultés, nous n’avons pas d’autres choix que de rester fort.e. Ce combat, on le mène en mémoire de notre frère tué et des victimes des violences de l’Etat. On cherche à informer, prévenir, accompagner, transmettre nos vécus, et notamment préparer les familles de victimes au pire. Car c’est un combat très dur, dans lequel on va entendre des horreurs. C’est une lutte difficile, longue et ingrate, dans laquelle on peut laisser sa peau : quand on rentre dedans, on ne sait pas quand on en ressort. Et nous savons que nous n’obtiendrons pas justice à hauteur des crimes qui ont été commis.
Et puis des fois il y a des petites victoires qu’on célèbre. Par exemple en novembre 2021 a eu lieu le procès de Mélanie, une gilet jaune, membre de l’association “les mutilé.es pour l’exemple”. Elle a été blessée aux cervicales par un commandant CRS, lors d’une manifestation en avril 2019. Son agresseur a été relaxé, mais c’est déjà une victoire à nos yeux. En effet, les procès sont très rares, notamment pour les familles de victimes tuées. Je ne l’oublierai jamais. Un moment, l’avocat de ce commandant a dit que c’était éprouvant que de plus en plus de membres des forces de l’ordre soient traînés devant les tribunaux. Cette parole était à mes yeux une victoire. Ce n’est pas parce qu’il a été relaxé qu’il n’est pas coupable.
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