Roger Stone : L’homme qui a fabriqué Donald Trump

par | 3/02/19

Synthèse du texte

À l’image d’Alinsky, Stone est d’un pragmatisme conséquentialiste et radical. Dans une ère où dire la vérité ou lutter pour la juste cause ne suffit plus à convaincre, Stone manipule les opinions, nie ses machinations en bloc et prépare des coups bas pour accéder à des positions respectables. Loin d’employer l’organisation collective pour la justice sociale, Roger Stone en emploie une forme “maléfique” depuis 1972 afin de radicaliser le parti Républicain. Et sa stratégie fonctionne puisqu’il est derrière l’accession au pouvoir de Trump, sur qui il mise depuis les années 80.

De temps en temps, la plateforme Netflix nous gratifie d’un documentaire lunaire, à la fois complètement déjanté et pourtant rivé à la réalité de notre époque.

C’est ainsi qu’en Mars 2017 le géant de l’Internet met en ligne un film documentaire réalisé par Daniel DiMauro et Dylan Bank, dont le titre ne parle à personne dans le public francophone : « Get Me Roger Stone » (« Allez me chercher Roger Stone »). Pourtant, il s’agit d’une véritable pépite qui contient de nombreuses pistes de réflexion sur l’organisation collective et la façon dont, depuis 30 ans, la droite américaine a radicalisé ses méthodes et son discours jusqu’à faire élire Donald Trump à la maison blanche.

 

Qui est Roger Stone ?

En 1972, l’équipe de campagne de Richard Nixon contacte un jeune militant républicain qui, malgré son jeune âge (à peine 20 ans) a déjà su attirer l’attention de ses aînés du parti.

Convoqué au QG de campagne, il se voit donner la mission de faire chuter un rival de Nixon dans la course aux primaires : Pete McCloskey.

Richard Nixon en campagne.

Richard Nixon en campagne. [Crédit : US National Archives]

Roger Stone se rend alors dans le New Hampshire, où se trouve McCloskey. Et il emporte avec lui un grand bocal rempli de petite monnaie. Une fois sur place, il se fait passer pour un militant de la Young Socialist Alliance (de tendance démocrate) et offre le bocal de monnaie aux supporters de McCloskey, en précisant bien qu’il s’agit d’une contribution pour sa campagne contre Nixon.

Petit détail : il demande un reçu à l’équipe de McCloskey, qui lui donne volontiers. Le piège se referme : ce petit reçu prouve que la campagne de McCloskey est directement financée par les socialistes. Fier de sa tromperie, Roger Stone envoit sa pièce à conviction au plus grand journal du New Hampshire (le Manchester Union Leader), qui la publie aussitôt. Il n’en faut pas plus pour débuter un scandale. Nixon accuse publiquement McCloskey d’être un républicain mou, à la solde des démocrates et des socialistes. La réputation de McCloskey en est durablement entachée. Nixon gagne la primaire haut la main, et Roger Stone entre dans le cercle fermé des hommes de main du Président.

Il vouera désormais sa carrière à monter des coups politiques pour des élus véreux (ce qui n’est sans rappeller une autre production Netflix).

Cependant, les coups fourrés sont chose commune en politique, et les livres d’Histoire en sont remplis. Qu’est-ce qui fait de Roger Stone une figure à part entière ?

 

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Les règles de la manipulation

Non content d’avoir des pratiques malhonnêtes, Roger Stone en est fier. Car après tout, il gagne, non ? Faisant ainsi passer son cynisme pour du pragmatisme, il aime à dire que c’est la bêtise de ses adversaires (et non son propre manque de morale) qui est à blâmer. « C’est le jeu » aime-t-il répéter.

Là où d’autres que lui voient les manipulations politiques comme un passage obligé vers des positions plus respectables, Roger Stone s’en fait plutôt une spécialité, un domaine dont il devient maître, jusqu’à en théoriser la pratique dans ce qu’il appelle lui-même les « Roger Stone’s Rules ». En voici quelques unes :

« Always praise ’em before you hit ’em. »

(Faites leur toujours des compliments avant de les attaquer.)

« Admit nothing, deny everything, launch counterattack. »

(N’admettez rien, niez tout en bloc, lancez une contre-attaque.)

“Lay low, play dumb, keep moving.”

(Faites profil bas, jouez les imbéciles, restez en mouvement.)

Ces règles auraient quelque chose de ridicule si elles ne s’étaient pas révélées aussi efficaces lors de la dernière campagne présidentielle américaine, dont tous les rivaux de Trump ont largement fait les frais.

Portrait de Donald Trump

Donald Trump. [Crédit : Gage Skidmore]

Le documentaire nous apprend d’ailleurs que c’est Roger Stones lui-même qui, dans les années 80, avait contacté Trump pour le convaincre de se lancer en politique. Stone avait senti chez lui l’appétit de victoire et surtout l’absence totale de scrupules si commune dans le monde des affaires.

 

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Et le community organizing dans tout ça ?

Même si « Get Me Roger Stone » est avant tout un documentaire sur la politique politicienne, qui ne parle pas directement de l’organisation des citoyens, on peut y trouver de très nombreux objets de réflexions qui résonnent particulièrement dans le contexte français. En voici quelques uns :

 

1. La victoire de Trump se prépare depuis plusieurs décennies.

Roger Stone est un de ces « organisateurs maléfiques » qui pratiquent une forme d’organisation collective pour promouvoir des pratiques de domination plutôt que la justice sociale. En effet, en suivant son parcours, on s’aperçoit Stone fait partie d’une génération de Républicains ultra-conservateurs qui, dès les années 1970, s’étaient donné comme objectif de prendre le pouvoir au sein de leur parti, y gagner la bataille idéologique et enfin accéder à des positions de responsabilité leur permettant de transformer leurs idées en législation. De Reagan à Trump, en passant par Bush (père et fils), l’histoire de Stone est en même temps l’histoire d’un effort d’organisation qui a réussi : celui de la radicalisation du parti Républicain.

 

2. Roger Stone ressemble étrangement à Saul Alinsky.

Au visionnage du documentaire, certaines similarités entre les deux hommes sont frappantes : un malin plaisir à se faire haïr (la haine d’autrui étant présentée comme un signe d’efficacité), une conception radicale du pragmatisme (qui reprend largement à son compte le dicton d’après lequel « la fin justifie les moyens »), une volonté d’édicter des règles « choc » de l’action collective ou encore une propension à bâtir son propre mythe. En ce sens, Roger Stone est une sorte de reflet difforme et grotesque de Saul Alinsky. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Roger Stone et Saul Alinsky ont tous deux inspirés le mouvement ultra-conservateur de la Tea Party. La proximité entre les deux figures sonne comme un avertissement aux apprentis organisateurs-trices qui, fasciné-e-s par Alinsky, n’en auraient retenu que l’attitude mais pas l’esprit.

Portrait de Roger Stone.

Roger Stone. [Crédit : DonkeyHotey]

3. Comprendre ce que peut être l’action collective dans le monde de la « post-vérité ».

Ses victoires, Stones les doit souvent à l’ingénuité de ses adversaires qui, assurés du bien fondé de leur cause, considéraient que dire la vérité ou se comporter de façon exemplaire suffirait à les faire gagner. Cela ne signifie pas qu’il faille mentir ou être malhonnête, ni même qu’il faille baisser les bras face à un adversaire cruel et déloyal. Mais il est aujourd’hui important de reconnaître que nous évoluons dans un espace public où le simple fait de dire la vérité n’a presque plus de valeur et où les actions de sensibilisation ont de moins en moins d’impact. Comprendre Roger Stone, c’est un premier pas vers le dépassement de cette situation.

En savoir plus sur l'auteur·ice
Formé au Royaume-Uni par les association Citizens UK et Migrants Organise, Jean-Michel Knutsen a organisé la création d’une coalition citoyenne d’ampleur régionale dans le comté de l’Essex (1,5 millions d’habitants). De retour en France, il a fondé l’association Organisez-Vous! en 2018, afin de mener des projets de recherche et d’expérimentation sur les méthodes d’organisation collective.
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