Politiser le soutien émotionnel et psychologique : entretien avec Camille du réseau Soutien et Rétablissement
Entretien réalisé par Elijah Martin et Camille Marronnier.
Retranscription réalisée avec le soutien de Chloé Rousset.
Depuis plusieurs années, le réseau transnational Soutien et Rétablissement cherche à redonner de l’importance aux enjeux de soin émotionnel et psychologique dans le monde militant. Trop peu reconnu et valorisé, la non prise en compte de ces enjeux a des impacts très concrets sur la vie des personnes qui font face à des situations de stress élevé et sur nos mouvements. Comment lutter sur le temps long et trouver de la joie et de la puissance dans nos luttes si nous ne prenons pas au sérieux ces questions de soutien émotionnel et psychologique ? Dans cet article, plusieurs personnes du réseau (réunies sous le nom de “Camille”) nous racontent l’importance de cet enjeu et le travail qu’iels mènent patiemment. Ce travail et ces réflexions font de nombreux ponts avec le travail d’organisation collective.
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Bonjour, merci de prendre ce temps avec nous! Pouvez-vous commencer par nous expliquer comment s’est créé le réseau Soutien & Rétablissement?
Bonjour! Soutien et Rétablissement (S&R) a commencé de manière informelle entre 2013 et 2015, avec le travail d’une militante néerlandaise qui s’est formée aux questions de résilience et d’activisme durable ainsi qu’aux liens entre trauma, répression et oppressions systémiques. Elle a commencé par réaliser des interventions de « premiers secours émotionnels » lors d’actions d’envergure (contre sommet de l’OTAN par exemple). Puisqu’il existe des équipes faisant un travail d’intervention médicale (les « médics) et légale (les « legal team ») pendant des actions, pourquoi ne pas faire de même avec le soin psychologique et émotionnel ? Puis en 2018 est organisée la première formation Soutien et Rétablissement, aux Pays-Bas, avec des ateliers sur les enjeux d’anti-répression, de trauma, de résistance à la douleur et de résistance psychologique. Une équipe se met en place, surtout composée de militant.es des Pays-Bas et d’Europe du nord, venant pour la plupart du monde de la désobéissance civile. Iels partagent le même constat, à savoir le manque de prise en compte des enjeux de soin émotionnel et psychologique dans les mouvements militants. Face à des situations de stress élevé, nous ne savions pas prendre soin de nous et trop de personnes finissent par quitter le monde militant (et continuent de le faire), épuisé.es et dégouté.es. Se pose donc rapidement un double objectif : arriver à la fois à apporter du soutien individualisé, mais aussi et surtout parvenir à changer notre culture militante, afin que le soin en devienne partie intégrante (dimension psychologique et émotionnelle, lutte contre la culture du burn out et contre les oppressions).
Pourquoi est-ce si important à vos yeux?
Pour plusieurs raisons. Le stress fait partie de la vie de tout le monde, c’est donc aussi le cas chez les militant.es. Quand nous nous organisons, quand nous faisons des actions, quand nous nous projetons dans le futur, quand nous gérons des problèmes personnels ou collectifs… Nous gérons ce stress de plein de manières différentes, en fonction de nos expériences passées – qu’elles soient individuelles et collectives, qu’il s’agisse de nos histoires familiales passées et présentes, des oppressions auxquelles nous faisons face et des stratégies que nous avons mis en place pour y répondre au cours de notre vie… Le fait de vivre des épisodes de stress élevé – par exemple quand on est dans des conditions de précarité ou de vulnérabilité ou quand on fait face à la répression – a des conséquences sur nos vies personnelles et sur la vie du collectif. Et pourtant, nous avons très peu d’informations pour le comprendre et le gérer ! Pire, nous considérons que les conséquences de ce stress ne sont pas des choses importantes. Nous sommes constamment dans la réaction, et non dans l’anticipation. C’est épuisant et cela a des répercussions très concrètes sur nos mouvements, puisqu’on se crame et qu’on perpétue une culture du burn out.
En plus, quand ces enjeux de soutien émotionnel et psychologique sont pris en compte au sein d’un groupe, ce sont trop souvent les mêmes personnes qui s’en occupent, à savoir les personnes assignées femmes, les personnes LGBTQIA+, les personnes racisées, tandis que les autres vont faire le travail visible et valorisé (la communication, la stratégie, les actions). Cela doit changer et doit être politisé.
« Parce que ce n’est pas toujours facile… »– crédits : S&R
Pourquoi ces enjeux ne sont-ils pas plus connus dans les milieux militants ?
Parce que ce n’est pas rentable, ni performatif. Dans nos sociétés occidentales, le fait de prendre soin des autres n’est pas valorisé, ou bien ce n’est pas vu comme étant un enjeu politique. Cela se limite au développement personnel et individualiste, très compatible avec les objectifs de rentabilité et productivité. Comme on l’évoquait, dans trop de milieux militants, on retrouve une division du travail : les personnes qui vont prendre soin sont à l’intersection des oppressions de classe, de race, de genre. Il s’agit de femmes, de personnes queer, de personnes racisées etc. Tandis que les tâches plus reconnues, tel que les questions de stratégie, de porte-parolat, d’action vont plus être prises en charge par des hommes cis-genre et des personnes blanches par exemple. Le soin n’est jamais une priorité. Une partie du monde militant est très emprunt de l’idée qu’il faut réaliser des actions, que c’est ça l’objectif politique, que c’est ça être radical. Si on se brûle, c’est pour la cause! Ce qui importe c’est le résultat, soit on a réussi, soit on a échoué, peu importe ce qui est laissé de côté.
Les conséquences de ce mythe sont terribles : on se donne des objectifs énormes, on n’arrive pas à célébrer des petites choses (car il n’y a que l’objectif final qui compte), il n’y a pas beaucoup de joie et encore moins de soin. On a l’impression que cette culture de la performance de l’action est moins forte dans certains courants militants, par exemple les courants queer et féministe. L’idée du collectif y est plus forte : à la fin d’une action on doit être tou.tes encore debout et si on a perdu des membres en route, alors l’action ne peut pas être considérée comme réussie. Le groupe et les liens passent avant le reste. C’est un enjeu fondamental de retrouver la culture du faire ensemble, de prendre soin les un.es des autres, et c’est lié notre manière de faire face aux conflits, aux traumatismes etc.
Enfin, ces questions de soutien psychologique et émotionnel sont encore très cloisonnées et peu accessibles, connues très majoritairement uniquement par les professionnel.les, les psychologues et psychiatres. Il y a vraiment un enjeu à se réapproprier ces savoirs, de les rendre accessibles et de les diffuser.
Là-dessus justement, pouvez-vous nous expliquer un peu à quels types de réactions on peut faire face quand on vit un événement stressant ?
Dans nos formations et notre pratique, on distingue trois types de réactions. Il y a d’abord le fait de refaire l’expérience de l’expérience. On a des flashbacks, on fait des cauchemards, c’est comme si on ne pouvait pas lâcher l’expérience. Ensuite, on peut aussi avoir pour réaction l’évitement ou la suppression. On va chercher à éviter les lieux, les personnes qui pourraient nous rappeler cet évènement, on a du mal à en parler, on fait tout pour ne pas y penser (par exemple se surcharger de travail, ou encore avoir une consommation élevée ou fréquente de drogue ou d’alcool). Enfin, on peut faire face à une amplification des émotions, qui peut affecter notre sommeil, nos prises de décisions, nos rapports aux autres, notre vie quotidienne. Ces réactions sont normales. Le corps et le cerveau ne sont pas habitués à vivre ces évènements et ont besoin d’espace pour y faire face et les absorber. De nombreuses personnes passées par là se sont rétablies après quelques semaines. Il s’agit d’être patient.e avec soi-même, ce qui n’est pas facile dans un contexte où il faut tout le temps donner son maximum pour le groupe et les causes qu’on défend…
Crédits : S&R
Quels sont les conseils que vous donnez aux personnes qui font face à ces réactions?
Reconnaître ces réactions et les nommer, les normaliser, ne pas être trop exigeant.e avec soi, ne pas s’auto-culpabiliser de ne pas aller bien, se donner du temps de traverser cet épisode… Ca, c’est quand on vit les conséquences d’un épisode de stress élevé. Mais nous cherchons aussi beaucoup à faire de la prévention, à partager au maximum les connaissances qu’on a sur le sujet, afin que tout le monde s’en empare. Pour ça, on s’inspire beaucoup du travail de la psychiatre états-unienne Judith Hermann et son livre “Trauma and recovery” notamment. Parmis les conseils qu’on donne, il y a le fait de :
- stabiliser les bases (sommeil, soins médicaux, espace, activités de routine et rythme quotidien)
- prendre du temps pour soi
- prendre du temps avec les autres
- faire choses créatives
- mettre son cerveau au travail (résoudre des problèmes, utiliser ses compétences, apprendre de nouvelles choses…)
- donner de la place à la spiritualité
- se connecter avec son environnement et/ou la nature
Tout le monde n’a pas besoin au même niveau de ces choses. Certaines personnes vont avoir un grand besoin de prendre du temps pour soi, d’autres d’être au contact de la nature ou de leurs proches, d’autres de faire des choses créatives… Il n’y a pas de hiérarchie ou de généralisation, l’idée est vraiment de proposer aux personnes un éventail de propositions, qu’elles identifient ce dont elles ont besoin et de les accompagner à donner de l’espace pour ces choses là. Car trop souvent, nous n’en avons pas même conscience.
Flyer « Soutien et rétablissement »
Pour en savoir plus sur ces sujets, S&R a réalisé une brochure qui peut être imprimées : elle est à retrouver ici (lien pdf).
Pourquoi parlez-vous de soutien psychologique ET émotionnel ? Quelle différence?
Sur le fond, on ne fait pas de différence entre soutien émotionnel et psychologique, mais les mots ont leur importance et nous voulons éviter de médicaliser ces questions. Lorsqu’on parle d’un.e patient.e, d’un.e thérapeute, d’une personne malade, cela introduit un rapport de pouvoir qui peut être stigmatisant pour les personnes qui vivent des “trauma”. On préfère donc parler de soutien psychologique ET émotionnel, qui nous parait être une expression plus accessible.
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Nous organisons un atelier d'arpentage pour lire le texte collectivement le 19/12/24 !
Nous avons aussi cru comprendre que vous n’êtes pas des psychologues.
Effectivement, nous ne sommes pas des professionnel.les de la santé. Nous n’avons pas fait d’études supérieures et n’avons pas de diplôme dans ce champ. Certain.es des membres le sont, mais ce n’est pas la majorité et ce n’est pas un critère pour participer au travail du réseau. On se voit plutôt comme des personnes animant des espaces afin que d’autres trouvent les ressources en elles-mêmes. En réalité, nous n’inventons pas grand chose! Nous ne sommes pas des expert.es de la résilience: comme beaucoup de monde, on s’est nous-même ramassé.e et on s’est demandé.e comment se relever, individuellement et collectivement. Selon nous, le savoir se crée beaucoup en allant voir ce qui a été fait ailleurs et en discutant. Souvent, notre présence suffit déjà à délier la parole sur ce qui ne va pas, ce qui va, ce qui est soutenant dans le processus… Ce sont les personnes vivant ces réactions qui sont les mieux placer pour trouver des solutions, et c’est pour ça qu’on veut lutter contre l’aspect descendant du savoir.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les formations que vous proposez?
Avec ces formations, on veut que les gens repartent avec une meilleure compréhension des manifestations que peut prendre le stress, des réactions que cela peut engendrer chez les personnes qui les vivent et des manières de les accompagner. On explique aussi comment réaliser des interventions collectives durant des évènements, notamment des actions (qu’il s’agisse d’action de désobéissance civile, de festivals militants, de camp autogérés etc).
Pour cela, on va chercher à faire ressortir ce que le groupe sait déjà, à visibiliser ce qui est déjà en place et à voir comment renforcer ces actions et connaissances. On souhaite aussi visibiliser la charge du soin : qui le fait ? comment ? En général, les personnes qui viennent à nos formations travaillent déjà sur les questions de soin individuel et collectif, elles ont donc des choses à partager, qu’il s’agisse de partage d’expérience, de techniques pour gérer le stress, de réflexions… Encore une fois nous ne sommes pas des professionnel.les et nous considérons que nous avons plein de choses à apprendre, à déconstruire et à reconstruire collectivement.
Ce n’est pas toujours facile d’accompagner les émotions des participant.es, il y a donc un enjeu central à chercher à construire un cadre qui soit le plus sécurisant possible. Cela va passer par un soin donné à l’espace physique dans lequel on se réunit, par la confidentialité, par le fait d’apprendre à reconnaître ses propres limites et les affirmer… Ensuite, on annonce dès le début que certaines choses ne vont pas être confortables. On apporte une grande attention aux réactions des personnes et aux signaux qui vont indiquer que nous devons ralentir le rythme, renforcer le cadre de sécurité, proposer des espaces de respiration et de réflexion…
Crédits : Organisez-Vous!
Et concernant vos interventions?
Sur ce sujet, cela dépend beaucoup des demandes que l’on a. Parfois, on va intervenir dans le cadre d’une action, en faisant du travail en amont, pendant et après.
En amont, on va essayer d’amener les questions de soutien émotionnel et psychologique chez les participant.es. Concrètement, on va par exemple proposer des espaces de formation ou d’échange assez courts, histoire que les personnes aient quelques bases. Il nous arrive aussi de proposer des entraînements à l’interrogatoire, aux situations d’arrestation, aux situations de stress et de douleur, ou encore des ateliers d’écoute pendant 2h.
Ensuite, pendant les actions, on va proposer une base arrière qui permet aux personnes de venir discuter avec nous, de se reposer, de trouver des ressources. Quand on est aussi assez nombreux.ses, on va aussi nous-même participer aux actions afin d’être en soutien aux personnes qui peuvent par exemple faire des crises de panique, faire face à la répression etc.
Et enfin il y a l’après : on dit souvent aux groupes militants de ne pas faire d’évaluation à chaud après une action durant laquelle les personnes auraient vécu des épisodes stressants. Le fait de reparler de ce qui s’est passé peut avoir pour conséquence de rajouter du stress aux gens et au groupe. Certaines vont peut-être exprimer de la rancœur, de la peur, de la culpabilité… et venir renforcer le stress déjà présent ou en créer chez des personnes qui avaient bien vécu l’action. Ces temps d’évaluation sont importants mais ils sont plus utiles quelques jours après l’action lorsqu’on a pu prendre le temps de les préparer. Par contre, on aime bien proposer de faire un suivi des personnes avec qui on a échangé, en fonction de nos disponibilités et limites personnelles.
Est-ce que vous pouvez nous donner des exemples d’intervention que vous avez réalisé?
Oui, par exemple, une fois on est intervenu.es dans le cadre d’une action de désobéissance civile à Bruxelles. Cette action était très structurée, plusieurs collectifs y participaient. Nous sommes intervenu.es avant l’action : on a pris la parole pour se présenter, expliquer le travail qu’on réalise, ce à quoi on peut être utile, comment les personnes peuvent nous reconnaître et comment les personnes peuvent nous solliciter avant, pendant et après l’action. On parle de notre flyer qui explique les différentes types de réactions auxquelles on peut faire face quand on vit des expériences stressantes. On explique aussi l’importance d’être sûr.e de vouloir participer à ce genre d’action (“as-tu vraiment envie d’être là ?”).
Ensuite, on propose un espace dans lequel on accompagne les participant.es à se poser certaines questions. Est-ce que la personne y va seul.e ? Est-ce qu’elle a un.e binôme, ou mieux encore, un groupe de soutien ? En cas de problème, qui peut-on contacter ? Est-ce que les personnes vivent parfois des crises de panique, ont besoin de médicaments ? De quoi ont-elles besoin quand elles sont en stress ? Est-ce qu’elles ont un endroit où aller après ? Ont-elles prévu du temps pour se reposer et respirer dans les prochains jours ? Est-ce que les personnes ont besoin d’aide pour se rappeler de respecter les limites qu’elles se sont données ? Ces moments sont précieux, car cela permet aux personnes de faire un point avec elles-mêmes et d’échanger avec leur groupe et/ou binôme.
« Si je ne peux pas me régénérer, ce n’est pas ma révolution » – Crédits : S&R
C’est quoi des groupes affinitaires?
Il s’agit d’un groupe de personnes (disons entre 5 et 10 personnes) qui va choisir de s’organiser ensemble dans le cadre d’une action (une manifestation, une occupation, une action de désobéissance civile) – donc c’est différent d’un groupe de travail. Chaque groupe affinitaire est composé, dans l’idéal, de binômes. Le groupe affinitaire peut se construire sur plusieurs critères : l’interconnaissance, les objectifs personnels dans le cadre de l’action, les limites de chacun.es etc. Par exemple, si le fait de voir des policièr.es me crée un stress très élevé, je ne vais probablement pas être dans un groupe affinitaire avec des personnes qui n’ont pas peur de se retrouver face à des policièr.es. C’est donc à la fois un outil très intéressant pour l’auto-organisation d’actions décentralisées (tous les groupes partagent un même niveau d’information mais peuvent choisir ce que iels font) et de soin collectif (on prend le temps de discuter de nos besoins, nos limites, nos envies etc). Ainsi, personne n’est censé être isolé. On observe ces dernières années une culture grandissante de l’organisation d’action passant par des groupes de soutien/groupe affinitaire.
Est-ce que vous pouvez nous donner d’autres exemples d’outils ou de pratiques que vous utilisez en formation?
Un des socles du travail de Soutien et Rétablissement, c’est de travailler la pratique de l’écoute active. Cela n’a rien de nouveau, cet outil est très présent dans les mouvements féministes et queer depuis longtemps. Cela peut paraître bizarre et basique de s’entraîner à écouter l’histoire d’une personne sans l’interrompre et pourtant, cela demande beaucoup d’entraînement ! Il s’agit d’apprendre à écouter, à entrer en empathie avec autrui. Et il s’agit aussi en parallèle d’arriver à identifier des informations qui nous indiquent ce que la personne vit, de faire miroir et de nommer les choses, pour que la personne en prenne conscience.
On utilise aussi beaucoup d’outils très utiles qui viennent de l’éducation directe (aussi appelé éducation populaire en France), par exemple celui des différentes zones de confort. L’idée de cet outil, c’est que pour apprendre, il faut réussir à sortir de sa zone de confort, naviguer dans sa zone d’inconfort, sans pour autant tomber dans sa zone de panique ! Là-dessus, on s’inspire beaucoup des ressources du réseau anglais “Seeds for Change”.
Concernant la gestion du stress, nous proposons des techniques et nous invitons aussi les participant.es à nous en faire découvrir : la méditation, les massages, la danse, le théâtre, le dessin, le collage… Toutes ces pratiques, ce sont des petits plus qui vont nourrir l’espace de formation et accompagner les personnes à gérer leurs propres émotions, et à apprendre à accompagner des personnes qui vivent des situations de stress élevé. C’est d’ailleurs la même chose dans le cadre d’entretien individuel visant à soutenir une personne qui ne va pas bien ! On accorde une importance centrale au cadre d’échange et on cherche à encourager la personne à exprimer ses émotions, pas uniquement avec la parole mais de plein de manière différente, selon ce qui la met à l’aise. L’important c’est qu’elle choisisse ce qui lui convient le mieux et jusqu’où elle souhaite aller.
Un dernier outil intéressant consiste à différencier plusieurs niveaux lorsque l’on parle d’objectifs, de résultats, de travail à effectuer : le niveau personnel, interpersonnel, organisationnel, du mouvement. Ces différentes manière de voir les choses permettent de prendre du recul sur ses pratiques, d’encourager la réflexion et le partage et de parler ensuite des émotions, de la gestion des conflits ….
Quelques ressources
- Le théâtre forum est une méthodologie développée par le pédagogue brésilien Augusto Boal dans la deuxième partie du 20e siècle et utilisant le théâtre comme laboratoire d’émancipation et de révolution social. De nombreuses compagnies existent en France et font vivre ces pratiques, par exemple la compagnie du Théâtre de l’opprimé
- Le réseau S&R a compilé quelques techniques visant à réduire son niveau de stress en cas de coup dur, document à retrouver ici!
- Le documentaire « Radical Resilience », sorti en 2020, s’intéresse aux conséquences de la culture du burn-out sur nos mouvements.
Super, merci ! Et après vos interventions, est-ce que vous observez des changements dans les groupes ?
Souvent, les personnes qui nous demandent d’intervenir sont des personnes qui cherchent déjà à faire ce travail de soin et de soutien au sein de leur collectif. Mais elles sont isolées et manquent elles-mêmes de soutien. On vient donc les aider pour que le groupe s’empare collectivement de ces questions, qu’il y ait une plus grande conscience des enjeux de soutien émotionnel et psychologique. Et pour montrer à quel point ce sont des enjeux politiques!
Parler du soin émotionnel et psychologique peut être une porte d’entrée pour parler de rapports de pouvoir au sein d’un groupe, d’intersectionnalité, de répartition des charges de travail etc. Cela oblige à poser des questions parfois difficiles : comment sont prises en compte les questions de soin émotionnels et psychologiques? Quelles conséquences ont le fait de ne pas les prendre en compte? Qui travaille sur le sujet? Pourquoi cette répartition? Comment venir renforcer ce travail?
En général quand on commence à parler de ces enjeux et à en discuter collectivement, cela permet aux personnes de mettre des mots sur des choses, de prendre acte de certains comportements et réactions qu’on a pu avoir ou que d’autres ont eu, et les gens voient rapidement la force que ça peut avoir. Cela peut parfois permettre aux personnes de revenir dans le mouvement. Une personne qui aurait passé trois mois sans être capable de sortir de chez elle peut découvrir que cette réaction est potentiellement normale, que c’est ce dont elle avait besoin pour y faire face, et qu’elle peut revenir, à la hauteur de ses envies, de son énergie et de ses limites. Pour nous c’est puissant pour penser les luttes sur le temps long.
Et puis on voit bien qu’un groupe va mieux traverser les crises quand les questions de soin et de lien de solidarité sont pris en compte. Cela tient dans le fait de ne pas se voir uniquement pour travailler, mais aussi pour le plaisir de passer du temps ensemble: partager des repas, des balades, faire du sport ensemble, faire la fête, habiter avec d’autres personnes… Si une crise traverse le groupe ou l’un de ces membres (maladie, perte d’un travail etc), c’est alors plus facile de traverser la période compliquée.
C’est aussi quelque chose dans lequel nous croyons beaucoup, à travers l’idée de “culture relationnelle” ! Et vous, comment est-ce que vous fonctionnez entre vous?
Nous sommes plutôt un réseau transnational. Pour entrer dans le réseau, c’est bien de suivre une formation qui est donnée. Ensuite c’est l’auto-organisation à partir des demandes qui sont reçues. Le réseau reçoit la demande d’être présent.es pendant un camp, une manifestation, des actions sur plusieurs jours, ou encore de venir intervenir au sein d’un groupe. En fonction des disponibilités (notamment géographiques!) de chacun.e, on s’organise pour s’y rendre et proposer des choses, sachant que tout ce travail est entièrement bénévole et à prix libre. Etant donné qu’on est dans plusieurs pays, on s’organise avant tout en anglais, et ensuite on a plusieurs outils en ligne pour échanger, se partager des réflexions et des ressources, s’organiser. Le reste est assez informel ! Globalement, on manque de monde par rapport aux sollicitations.
Et pour prendre soin de vous, comment faites-vous ?
Ca c’est une vaste question ! D’autant plus que nous sommes plutôt un réseau éparpillé et pas toujours très structuré. On cherche à prendre du temps pour s’écouter entre nous, se soutenir, se répartir la charge mentale. On essaye de se rappeler les choses qu’on est en capacité de faire et celles qu’on ne peut faire faire, de nommer nos limites et de les respecter, sans tomber dans de la culpabilité et de l’épuisement. On cherche aussi à faire en sorte que nos réunions ne soient pas uniquement axées sur l’efficacité, mais aussi sur le soin à soi et au groupe. Par exemple, si une personne arrive en larmes à une réunion, on acte que c’est plus important d’être en soutien de cette personne plutôt que de faire ce qui était initialement prévu. Nous ne voulons pas faire semblant que ces émotions et réactions ne nous touchent pas.
Est-ce que vous connaissez d’autres réseaux ou initiatives travaillant sur ces enjeux en France?
Il existe de nombreuses initiatives. En France comme dans d’autres pays, le projet Icarius 1fut très intéressant. Ensuite, il existe plein d’initiatives plus informelles et moins structurées, qui vont prendre la forme d’espaces de ressources et de partage des pratiques sur les questions de soutien émotionnel et psychologique, notamment les squats, les ZAD (Zone à défendre), les lieux collectifs militants des mouvements féministes et queer… Pour autant cela reste marginal et trop souvent, on retrouve le fait que les personnes qui prennent en charge ces questions sont encore et toujours les personnes qui sont assignées femmes, et/ou LGBTQIA+, et/ou racisées etc.. Il faut vraiment que cela change.
Un grand merci pour tout ça! Est-ce que vous souhaitez rajouter d’autres choses?
Peut être souligner le fait que plein de personnes font déjà un travail de soin et de soutien dans les groupes, de manière plus ou moins consciente, de manière plus ou moins reconnue. On a tendance à penser qu’on ne fait jamais assez, on voudrait faire plus pour aider les gens qui vont mal, car les résultats sont peu visibles et non immédiats. On voudrait rappeler que c’est normal de ressentir cette impression de ne jamais faire assez, ou assez bien. Cette culpabilité nous empoisonne, et elle puise ses sources dans une société qui considère que le soin n’est pas une chose qui a de la valeur. Changer des rapports de force au sein d’un groupe et l’amener à changer prend beaucoup de temps et d’énergie! On essaie aussi d’être en soutien à ces personnes, en les aidant à se rendre compte de la quantité de travail qu’elles font déjà (et à le célébrer), et à les aider à doser leur énergie.
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