Archives sonores : 5 philosophes politiques à (re-)découvrir

par | 24/03/20

Synthèse du texte

Cet article nous présente 5 philosophes pertinent·es au contexte militant. Que vous soyez novice ou expérimenté·e, vous y trouverez des ressources audio adéquates à votre soif de découverte.

  • Karl Marx qui nous permet de réintroduire le volet social et anticapitaliste au sein de toutes nos luttes occidentales modernes ;
  • Jacques Rancière s’attarde sur notre quotidien politique plutôt que de s’attaquer aux grands systèmes ;
  • Baruch Spinoza est un penseur de la politique, dont les écrits assez coriaces ont tendance à être dénaturés par ses adeptes modernes ;
  • Michel Foucault est particulièrement intéressant pour sa notion de pouvoir, de mécanismes de pouvoir et les “régimes de savoir” qui les produisent ;
  • Hannah Arendt est la philosophe à même de nous aider à penser notre rapport à la rébellion de par sa recherche sur le totalitarisme et l’action.

En ce mois de mars 2020, l’actualité m’encourage à bousculer le calendrier éditorial d’Organisez-Vous, et à vous proposer un contenu différent, qui s’inscrit dans la temporalité et l’espace mental dans lequel nous sommes tous plongés.

 

L’état de confinement est un état d’exception, une parenthèse qui s’ouvre dans nos vies, et pendant laquelle beaucoup d’éléments superflus de notre quotidien ont disparu. Certes, il reste l’urgent et le nécessaire, qui nous accaparent à leur manière et touchent différemment chacun d’entre nous selon notre profession et le rôle que nous jouons dans cette crise. Mais dans les marges de ce maelström, le temps s’arrête, ou plutôt s’étire lentement, et nous laisse en tête-à-tête avec nos questions les plus profondes et les plus difficiles.

 

C’est pourquoi je pense que, chacun à sa manière, cette situation hors-norme peut nous encourager à nous accorder, selon le temps dont on dispose, un moment de philosophie dans notre vie. Par « moment de philosophie », j’entends simplement un après-midi, un week-end, ou même une semaine pendant laquelle on consacre son attention et son énergie à la découverte de systèmes philosophiques exigeants qui pouvaient de prime abord sembler inaccessibles.

 

[Crédit : Alfons Morales]

Cette opportunité est d’autant plus belle pour les militants associatifs et syndicaux, que l’urgence est leur lot quotidien, et qu’il n’existe habituellement pas de trêve dans les luttes qu’ils engagent. Qui, en temps normal, a l’opportunité de se pencher sur l’idée de « multitude libre » chez Spinoza ? Qui peut se permettre d’affronter les écrits de Foucault, et leur définition dispersée du pouvoir ? Qui a le courage d’ouvrir le Livre I du Capital de Marx ? Et qui sait où chercher pour trouver des commentaires didactiques et faciles d’accès sur Arendt ou Rancière ?

 

 

C’est pourquoi, ce que je vous propose ce mois-ci, c’est une carte au trésor. Une série d’itinéraires que j’ai déjà empruntés (notamment pour passer le CAPES de philosophie) et que j’ai peu à peu déblayés et balisés, pour éviter les chausse-trappes, les fausses pistes et les obstacles décourageants. Par ailleurs, comme ma mémoire est auditive, et que j’ai toujours préféré entendre la philosophie plutôt que de la lire, ces itinéraires sont constitués uniquement d’archives audio (cours, conférences, interviews, lectures) que l’on peut emporter partout avec soi et surtout écouter pendant que nos mains sont occupées à autre chose.

 

[Crédit : Lee Campbell]

Je parle de carte au trésor parce que la philosophie est pleine de « twists », ces moments délicieux où l’on découvre, comme dans les films, qu’en fait les choses sont bien différentes de ce que l’on croyait. Et la raison pour laquelle je privilégie toujours la découverte des grands auteurs, même si c’est la plus difficile, c’est parce que ce sont eux qui nous réservent les « twists » les plus savoureux, et qu’ils changent à tout jamais notre vision du monde.

 

Voici donc 5 itinéraires, pour découvrir les trésors de 5 grands philosophes politiques, avec pour chacun un parcours balisé par trois niveaux de difficulté :

 

  • Philosophe du dimanche (vous ne connaissez pas du tout l’auteur dont il est question et vous voulez avant tout découvrir sa biographie et ses grandes idées)
  • Philosophe confirmé (vous connaissez déjà un peu cet auteur, mais vous souhaitez approfondir un peu ses concepts les plus connus)
  • Philosophe confiné (vous souhaitez vous perdre dans la lecture des textes eux-mêmes et les multiples commentaires que l’on peut en faire).

Ces itinéraires sont bien entendu très personnels, mais ils bénéficient de la cohérence que leur confère plus de 10 années de pratique et de d’enseignement de la philosophie. Je ne propose ici que des ressources que j’ai moi-même écoutées dans leur intégralité.

 

1. Karl Marx :

 

En quoi sa philosophie est-elle pertinente dans un contexte militant ?

Dans les sociétés occidentales, de plus en plus de luttes ont tendance à négliger le volet social de leurs revendications. Pourtant, des combats tels que l’écologie, l’égalité des sexes, l’accueil des exilés ou encore la réformes des institutions sont, chacun à leur manière, des combats contre le système d’exploitation capitaliste. Vous en doutez ? Alors suivez-moi dans cette découverte des concepts d’aliénation, de plus-value et de dialectique matérialiste.

 

 

Itinéraire en 3 étapes :

 

  • Philosophe du dimanche :

Comme la vie de Marx est absolument indissociable de ses œuvres, j’aurais tendance à commencer par un visionnage d’un court documentaire (30 minutes à peine) consacré à sa vie. Il s’agit d’un épisode de la série « La folle histoire des grands hommes », produite par la BBC, qui est à la fois pleine d’humour mais toujours exacte factuellement.

Ensuite, pour sortir des préjugés et des idées fausses qui sont légion sur le personnage, j’écouterais les deux interviews du philosophe trotskiste Daniel Bensaïd (de chacune 40 minutes), accessibles sur le site de « Là-bas si j’y suis ». Il s’agit d’entretiens réalisés dans le cadre de la publication de l’ouvrage « Marx, mode d’emploi », ouvrage de vulgarisation, ce qui fait que le ton est très didactique. Par ailleurs, Daniel Bensaïd était un penseur et un commentateur rigoureux, ce qui fait qu’on apprend toujours beaucoup de choses en écoutant ses prises de parole.

 

 [Crédit : Charb, Marx, mode d’emploi, La Découverte, 2009]

  • Philosophe confirmé :

Pas question de s’attaquer tout de suite au Capital ! D’une part c’est un texte économique très ardu, et d’autre part ce manuscrit est resté inachevé.

La rencontre avec la pensée de Marx doit donc plutôt commencer par ses écrits de jeunesse, plus faciles d’accès, et au sein desquels il formule pas à pas ses thèses sur la religion, l’aliénation, la dialectique matérialiste, ou encore l’opposition entre bourgeoisie et prolétariat.

Pour appréhender de façon transversale les Thèses sur Feurebach, les Manuscrits de 1844 ou encore l’Idéologie Allemande, j’écouterais l’excellente émission des Chemins de la Philosophie, intitulée « Il est libre, Marx ». Le philosophe Aymeric Monville y étudie la façon dont Marx commente les écrits de Hegel et des idéalistes allemands pour formuler peu à peu sa propre conception de l’aliénation.

 

 [Portrait du jeune Karl Marx.]

En complément, pour étoffer ma connaissance de la relation entre Marx et Hegel, j’écouterais cette émission des Nouveaux Chemins de la Connaissance, où le philosophe Jean-François Kervégan (spécialiste de Hegel) décrit comment Marx, âgé de moins de 30 ans, a pu oser affronter l’une des philosophies les plus ardues de tous les temps.

Enfin, si j’avais un peu de temps au calme et de quoi prendre quelques notes, je me lancerais dans l‘écoute intégrale du Manifeste du Parti Communiste (qui dure presque 1h30!).

 

  • Philosophe confiné :

Vous avez un peu plus de temps devant vous ? Le jargon philosophique ne vous fait pas peur ? Alors c’est parti, il est temps de plonger dans Le Capital ! Pour ceux qui n’ont jamais ouvert cet ouvrage, et qui veulent quelques repères avant de se lancer, je conseillerais deux pistes : d’une part cet excellent travail de résumé en vidéo du Livre I du Capital (à travers quatre grands concepts : la marchandise, le capital, l’exploitation et l’accumulation) ; et d’autre part cette série de quatre épisodes des Nouveaux Chemins de la Philosophie, qui entre plus en détail dans son commentaire de l’ œuvre.

 

Et finalement, pour les plus courageux (ou les plus inconscients !), à qui des heures d’économie politique ne font pas peur, je recommanderais bien sûr l’écoute intégrale du texte lui-même.

 

2. Jacques Rancière :

 

En quoi sa philosophie est-elle pertinente dans un contexte militant ?

 Rancière n’est pas un penseur à « systèmes ». Il ne cherche pas à créer une pensée-monde qui soit capable de tout expliquer ou de nous donner les clés de l’avenir. Au contraire, en toute humilité, il propose des idées qui viennent éclairer des impensés de notre quotidien politique : la radicalité de l’idéal démocratique, la pédagogie abrutissante de l’éducation contemporaine ou encore le découpage inégal de notre espace public.

Itinéraire en 3 étapes :

  • Philosophe du dimanche :

Il est très difficile d’entamer la lecture de Rancière sans se perdre dans sa bibliographie. Recueils historiques, essais esthétiques, charges politiques et saillies pédagogiques, tout cela se chevauche sans que l’on arrive forcément à y déceler un fil conducteur ou un point d’entrée. Alors par où commencer ?

 

Le plus intéressant serait sûrement de commencer par une interview rétrospective, dans laquelle Rancière prend lui-même du recul sur son œuvre pour y souligner ses propres axes de travail. Et, peut-être en complément, une autre interview un peu plus légère pour mieux cerner son personnage et son engagement d’intellectuel.

 

Philosophe confirmé :

Ce qui est à la fois le plus facile et le plus stimulant à appréhender aujourd’hui dans la pensée de Rancière, c’est son travail sur la démocratie, avec en particulier sa volonté de revaloriser celle-ci. Sur ce thème, j’écouterais tout d’abord une passionnante conférence datant de 2005, pendant laquelle Rancière lui-même expose le cœur de son argumentation pendant près de 90 minutes. Puis, pour coller un peu plus aux résonnances que peuvent avoir ses idées dans la politique d’aujourd’hui, je prendrais 30 minutes pour découvrir cette interview réalisée pendant l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle de 2017.

 

 [Crédit : Arnaud Jaegers]

  • Philosophe confiné :

Rancière n’est pas un penseur jargonneux. Ses livres sont généralement courts, mais cette concision implique aussi une forte densité conceptuelle, qui peut parfois rebuter. C’est pourquoi, pour me rendre plus facile l’accès à certains de ses textes, j’aurais recours à des explicitations qu’il en a fait lui-même lors de diverses interviews.

 D’une part, pour me pencher sur sa contribution à la pensée de l’éducation populaire (avec son ouvrage « Le Maître Ignorant »), j’irais découvrir cette interview de 70 minutes que propose Judith Bernard sur le site d’Arrêt Sur Images. D’autre part, pour essayer de comprendre ce qui lie l’esthétique et la politique, je me plongerais dans cette courte interview de 30 minutes sur « le partage du sensible », disponible sur le site de France Culture.

 

 

3. Baruch Spinoza :

 

En quoi sa philosophie est-elle pertinente dans un contexte militant ?

Spinoza est à la mode aujourd’hui dans certains milieux militants. En effet, de nombreux philosophes contemporains tels que Frédéric Lordon s’en réclament et, ce faisant, redonnent de l’éclat à des textes ardus et peu consultés. Mais tout en rendant hommage au philosophe de la joie, ces derniers tordent parfois son discours, jusqu’à en perdre le sens original. C’est pourquoi, pour retrouver la radicalité qui nous permet de penser la séparation entre la religion et l’Etat, la politique de la joie, ou encore la composition des puissances citoyennes, il peut être utile de se plonger aujourd’hui dans la philosophie de Spinoza.

 

[Crédit : Ehud Neuhaus]

Itinéraire en 3 étapes :

  • Philosophe du dimanche :

Pour découvrir Spinoza, il faut se préparer un peu psychologiquement. Parce que se plonger dans les écrits de ce philosophe revient à sauter les deux pieds joints sur un carroussel déjà en marche. C’est un peu intimidant, on se demande comment on va s’y prendre, et puis surtout on n’est pas bien sûr de pouvoir garder l’équilibre sans se faire éjecter dès le premier tour. Mais le jeu en vaut la chandelle ! Car une fois qu’on y a trouvé ses marques, et qu’on s’y est confortablement installé, alors on ne veut plus en descendre.

Ceci dit, le philosophe du dimanche aura toujours un peu de mal à s’acclimater à Spinoza, et il lui faudra du temps (et de la réécoute) pour peu à peu se sentir plus à l’aise dans le complexe jargon de l’Ethique.

De ce fait, pour bénéficier d’un point d’entrée à la fois didactique et respectueux de la complexité de la pensée de Spinoza, j’écouterais uniquement cette émission classique datant de 1986, qui fait un tour d’horizon très complet de sa biographie et de son œuvre. Et puis je passerais directement à la suite.

 

  • Philosophe confirmé :

Spinoza a écrit quelques courts traités, qui sont comme autant de marchepieds vers son magnum opus : l’Ethique. Néanmoins, ces traités sont eux-mêmes plutôt difficiles à lire. La voie la plus rigoureuse (qui ne s’écarte pas trop des textes eux-mêmes) et la plus accessibles (qui puisse être empruntée par des non-initiés) reste dans ce cas d’écouter des commentaires détaillés des deux traités les plus importants :

– Le Traité de la Réforme de l’Entendement, pour lequel les 6 cours de Pierre-François Moreau sont une parfaite introduction. Ce traité marque l’entrée en philosophie de Spinoza, qui s’aperçoit qu’il ne peut accéder au bonheur sans connaître un chemin sûr vers la vérité : 

« L’expérience m’ayant appris à reconnaître que tous les événements ordinaires de la vie commune sont choses vaines et futiles, et que tous les objets de nos craintes n’ont rien en soi de bon ni de mauvais et ne prennent ce caractère qu’autant que l’âme en est touchée, j’ai pris enfin la résolution de rechercher s’il existe un bien véritable et capable de se communiquer aux hommes, un bien qui puisse remplir seul l’âme tout entière, après qu’elle a rejeté tous les autres biens, en un mot, un bien qui donne à l’âme, quand elle le trouve et le possède, l’éternel et suprême bonheur. »

Baruch Spinoza, Traité de la Réforme de l’Entendement, Chapitre 1

[Sceau que Spinoza utilisait pour ses lettres. « Caute » signidie « prudence »]

– Le Traité Théologico-politique, auquel France Culture a consacré une série de 4 émissions lumineuses. Ce texte exceptionnel, d’une étonnante actualité, cherche à penser la façon dont l’Etat peut se prémunir des dangers de la superstition, tout en étant capable de défendre la liberté religieuse.

Une fois encore, après avoir bénéficié de ces commentaires je passerais directement à l’écoute des textes eux-mêmes, et en particulier à celle du Traité de la Réforme de l’Entendement, qui est à mon sens l’un des plus beaux ouvrages de toute l’histoire de la philosophie.

 

  • Philosophe confiné :

Pour celui qui n’a pas été rebuté par la complexité des traités, il existe deux pistes pour approfondir sa lecture de Spinoza :

– Enfin s’attaquer à l’Ethique, avec ce commentaire pas-à-pas proposé par France Culture, ou encore la suite des cours de Pierre-François Moreau ;

– Prendre le chemin, tortueux mais ô combien riche en surprises, des cours sur Spinoza que proposait Gilles Deleuze à l’université de Vincennes. C’est de mon point de vue le commentaire le plus original et le plus politique de Spinoza, à tel point qu’il a été déterminant dans ma décision de devenir community organizer.

 

 

4. Michel Foucault :

 

En quoi sa philosophie est-elle pertinente dans un contexte militant ?

Biopolitique, gouvernementalité, maillage sécuritaire… nombreux sont les concepts foucaldiens que les militants peuvent aujourd’hui mettre à profit pour déconstruire la société post-moderne dans laquelle nous vivons. Mais plus encore que ces idées éparses, c’est la notion de pouvoir, omniprésente dans l’ œuvre du philosophe, qui peut nous aider à mieux comprendre à la fois le pouvoir que nous subissons mais aussi celui que nous pouvons construire.

 

  • Philosophe du dimanche :

Foucault est un piège pour les philosophes du dimanche. Parce qu’avec son écriture limpide et ses idées lumineuses, on peut parfois avoir l’impression que ce qu’il dit est évident. Or, rien n’est moins vrai. Chaque mot, chaque image, chaque tournure qu’il emploie est pleine de sens et de références cachées, que le lecteur avisé doit patiemment décortiquer pour pleinement comprendre la profondeur de ce qui est dit.

Par ailleurs, Foucault ne s’est jamais vraiment défini lui-même comme un philosophe. Constamment le nez dans les archives, il disait être à mi-chemin entre « la poussière » (les textes historiques à partir desquels il travaillait) et « les nuages » (les idées philosophiques). Ce qui fait que chacun de ses ouvrages ressemble plus à un livre d’histoire qu’à un livre de philosophie : Histoire de la Folie, Naissance de la Clinique, Naissance de la Prison, Histoire de la Sexualité…

Comment alors trouver les points saillants dans la pensée de Foucault sans pour autant relire tous ses ouvrages ? Par où commencer ?

 [La nef des fous, pierre angulaire de la réflexion de Foucault sur la folie.]

Après avoir consulté de très nombreuses introductions à sa philosophie, je pense finalement que la meilleure introduction à la pensée de Foucault est ce vieux documentaire, difficilement trouvable et d’une piètre qualité vidéo, mais dont l’ingénieuse construction réussit à retracer le parcours intellectuel du philosophe avec un vrai souci de cohérence et surtout en utilisant beaucoup d’extraits audio du philosophe lui-même.

Pour ceux que la mauvaise qualité de ce documentaire rebute (et en attendant qu’une meilleure version ne soit en circulation), je recommanderais aussi l’étonnante interview de 1975 pendant laquelle Foucault réagit plutôt spontanément aux questions de Jacques Chancel et retrace par petites touches les évènements et les choix qui ont construit le début de son parcours intellectuel. Il existe également un documentaire, intitulé « Foucault contre Foucault« , qui retrace le parcours du philosophe en insistant sur la dispersion de sa pensée et son constant décentrement.

Mais peut-être finalement que la meilleure façon de découvrir Foucault, c’est d’accepter le caractère fragmenté de son travail, et de picorer son œuvre par petites touches, comme on peut picorer du Nietzsche ou du Pascal. Si c’était cette voie-là que j’empruntais, alors je m’attarderais sûrement tout d’abord sur la conférence que Foucault donna au Cercles d’Etudes Architecturales en 1967 et qui s’intitule « Les Hétérotopies« .

 

  • Philosophe confirmé :

Une fois habitué aux formulations et au vocable de Foucault, il est possible de se lancer pleinement dans ce qui a fait la gloire du philosophe : son travail sur la folie, la sexualité ou encore la prison.

Ce n’est qu’après avoir creusé ces différents thèmes qu’une forme d’évidence se pose : ce qu’étudie Foucault, c’est avant tout la façon dont les régimes de savoir produisent des mécanismes de pouvoir. Dès lors, pour avancer dans la pensée du philosophe, il est nécessaire de comprendre ce que ce dernier entend par « régimes de savoir », et en quoi ces derniers définissent la façon dont ces derniers quadrillent notre perception du monde.

 

 [Prison de Kilmainham à Dublin]

Pour progresser dans cette direction, j’irais tout d’abord consulter le mythique dialogue entre Foucault et Chomsky, avant de me plonger dans un document d’introduction, à l’ouvrage « L’archéologie du savoir. »

 

  • Philosophe confiné :

Si vous êtes adepte des vieux cours de philosophies des années 70, enregistrés tant bien que mal sur de vieilles cassettes puis patiemment transmises, de générations d’étudiants en générations d’étudiants, alors vous allez être servis ! Il se trouve que l’université de Berkeley a numérisé puis mis en ligne de très nombreux cours de Foucault au Collège de France, qui sont donc désormais libres d’accès :

 

 

– « Il faut défendre la société » (1976)

 

 

– « Sécurité, territoire, population » (1978)

 

 

– « Naissance de la biopolitique » (1979)

 

 

– « Le gouvernement de soi et des autres » (1983)

 

 

– « Le courage de la vérité » (1984)

 

 

Il y a là des dizaines d’heures d’enregistrement, qui portent sur des choses aussi diverses que l’apparition du « Marché économique » comme lieu de justice, l’histoire du pastorat en Occident comme modèle de gouvernementalité ou encore la parrêsia antique comme condition de vérité politique.

 

 

Et si après tout cela vous n’étiez pas KO, vous pourriez finalement vous pencher sur les excellents cours de Deleuze à propos de la notion de pouvoir chez Foucault.

 

 

5. Hannah Arendt :

 

En quoi sa philosophie est-elle pertinente dans un contexte militant ?

Arendt, c’est – entre autres – la philosophe de l’action, du totalitarisme et de la banalité du mal. Cette infatigable intellectuelle, qui a analysé pendant près de 30 ans la société américaine, peut aujourd’hui nous aider à penser notre rapport à la rébellion, face à des Etats qui limitent chaque jour un peu plus nos libertés.

[Crédit : Michelle Ding]

Itinéraire en 3 étapes :

  • Philosophe du dimanche :

Comme Foucault et Rancière, Arendt a produit une pensée fragmentaire, qui refuse volontairement de se laisser piéger par des termes en -isme ou des idéologies cadenassées. C’est pourquoi, là aussi, j’aurais tendance à conseiller de commencer par un tour d’horizon biographique, avec ce court épisode de La Marche de l’Histoire, ou cette interview de Katia Genel dans Les Chemins de la Philosophie.

Puis, pour découvrir quelques aspects importants de la pensée d’Arendt résumés en quelques minutes, il serait possible d’écouter une courte vidéo sur la banalité du mal, un autre sur la condition de l’homme moderne, et une dernière sur la question de l’autorité.

 

  • Philosophe confirmé :

Pour approfondir les grandes œuvres de la philosophe, nous avons la chance de bénéficier de plusieurs séries de cours, de documentaires et d’interviews passionnantes :

– sur l’origine du totalitarisme, France Culture propose une série de 4 émissions très complètes ;

 

  [Rassemblement nazi de Nuremberg]

– sur la crise de la culture, il existe aussi une série de 4 émissions produites par France Culture ;

– sur la condition de l’homme moderne, on peut s’en remettre aux excellents cours qu’Annick Stevens a proposés à l’université populaire de Marseille ;

– sur la pensée politique d’Arendt, que travaille en filigrane la notion de révolution et de désobéissance, il existe un documentaire qui a été diffusé il y a quelques années sur Arte.

 

  • Philosophe confiné :

Pour celles et ceux qui souhaitent prendre leur temps, et découvrir les moindres détails de la vie d’Arendt, je recommanderais chaudement les 4 épisodes (de presque 2h chacun !) proposés par France Culture dans l’émission La Grande Traversée.

 

 

Enfin, pour approfondir les réflexions d’Arendt sur la politique, et en particulier son analyse de la société démocratique américaine, il existe beaucoup d’archives vidéo et audio (notamment beaucoup d’interviews), malheureusement toutes en langue anglaise. Néanmoins, nous disposons d’un entretien de presque une heure, doublé en langue française, qui porte sur de nombreuses notions telles que la Raison d’Etat et le rôle de la pensée face à un horizon politique répressif.

 

 

 

Et vous ? Connaissez-vous des archives audio que vous souhaiteriez partager ?

 

Si cet article vous a plu, et que vous souhaitez contribuer à l’enrichir, ou à en rédiger un second qui porterait sur d’autres philosophes, votre aide est la bienvenue !

 

En attendant, je vous souhaite une bonne écoute, et une heureuse découverte de ces quelques pépites de la philosophie politique.

 

En savoir plus sur l'auteur·ice
Formé au Royaume-Uni par les association Citizens UK et Migrants Organise, Jean-Michel Knutsen a organisé la création d’une coalition citoyenne d’ampleur régionale dans le comté de l’Essex (1,5 millions d’habitants). De retour en France, il a fondé l’association Organisez-Vous! en 2018, afin de mener des projets de recherche et d’expérimentation sur les méthodes d’organisation collective.

Vous avez aimé cet article
et vous souhaitez aller plus loin ?

On a bien réfléchi et on vous propose de lire celui-ci, qui est très complémentaire.
 

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