Organiser l’argent
Ou pourquoi c’est à la fois si difficile, et pourtant si important, de financer des démarches d’organisation collective
Comment penser un modèle financier qui renforce nos luttes sans les bureaucratiser ni les dépolitiser ?
En s’attaquant ici au tabou de l’argent dans le monde militant, ce dossier propose des pistes de réflexion concrètes pour penser la structuration financière de nos collectifs, nos associations et nos syndicats.
Nous présentons ici l’état de nos réflexions actuelles, qui sont le simple reflet de recherches et d’expérimentations toujours en cours. Et notre discours porte surtout sur la question de la rémunération des organisateur·ices, même si de nombreux arguments défendus ici peuvent s’appliquer à la question de la rémunération militante de façon plus générale. Notre but est de susciter le débat, le partage d’expériences, et l’échange entre allié·es, en vue de progresser collectivement sur ces questions difficiles.
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Le tabou des rémunérations militantes
La tyrannie de l’appel à projet
Chapitre 1 Le tabou des rémunérations militantes Pourquoi il faut rémunérer le travail au sein des mouvements sociaux, des associations et des syndicats
Pourquoi est-il si dur de parler de rémunération militante ?
Par militantisme, on entend ici l’engagement collectif pour lutter concrètement en faveur d’une cause. Militer, c’est par exemple participer à un blocage d’autoroute pour dénoncer la pollution de l’air, collecter et diffuser des témoignages de violences faites aux femmes sur les réseaux sociaux, faire grève, rejoindre un parti politique, participer à l’accueil de personnes exilé·es ou encore manifester (même une seule fois dans sa vie!) contre la casse du service public. L’engagement militant peut ainsi prendre de très nombreuses formes et n’a pas de frontières strictement définies. Il n’y a pas de gardien·nes d’une définition d’un “vrai militantisme” pur et désintéressé, et pas d’élite militante qui puisse juger ce qu’est une bonne cause ou une action collective efficace.
Or, malgré cette définition ouverte, le militantisme est aujourd’hui surtout pensé comme un acte bénévole, qui se vit en dehors du cadre professionnel. On milite dans un espace de liberté, avec des valeurs et des idées que l’on choisit, et un engagement qui peut prendre la forme et l’intensité que l’on souhaite. Ce cadre est, de fait, aux antipodes du travail rémunéré. Et les questions d’argent n’y sont pas un sujet central, car très souvent les actions collectives n’en ont pas besoin (ou que la solidarité du groupe suffit à réunir les ressources nécessaires pour son fonctionnement).
Manifestation contre les violences policières [Crédit : Koshu Kunii]
Pourtant, dans ce contexte, et après plusieurs années d’expérience à soutenir des collectifs, des associations et des syndicats en lutte, Organisez-vous ! assume peu à peu de parler d’argent et de rémunération militante. Car nous constatons que certaines tâches de coordination dans les luttes nécessitent de s’inscrire sur le temps long.
Nous pensons ainsi que, dans de nombreux cas, il est important qu’un·e membre de la communauté en lutte devienne “organisateur·ice”, pour renforcer la solidarité du groupe et à recruter/accueillir de nouveau·elles membres. Or, ce travail de création de pouvoir collectif est chronophage, et il doit s’inscrire sur le temps long.
Cela signifie que si les membres bénévoles du groupe ne peuvent pas s’en charger de façon régulière et intensive, il peut devenir nécessaire de créer un emploi, bien rémunéré et encadré par contrat, pour recruter un·e membre de la communauté afin que l’effort d’organisation puisse être porté sur la durée.
Nous essayons d’aborder cette question régulièrement avec des associations et des collectifs. Mais ce n’est pas une conversation facile ! Car il existe de nombreuses objections, toutes légitimes, qui amènent à rejeter l’idée d’une rémunération dite “militante” et à écarter ce choix pourtant primordial :
« D’où vient l’argent ? »
Il s’agit d’une question éthique fondamentale. Car si l’on fait le choix de financer sa cause, et notamment de financer le travail d’une ou plusieurs personnes, encore faut-il que ce financement ne s’accompagne pas de concessions politiques ni d’une perte d’autonomie pour la communauté qui s’organise. Est-il alors utopique de chercher de l’argent “propre”, sans aliénation ni récupération politique ?
Nous consacrons à cette question tout un chapitre dans la suite de ce dossier, avec un accent tout particulier mis sur la généralisation des financements par appels à projets (qu’ils proviennent des pouvoirs publics ou d’acteur·ices philanthropiques privé·es) et des dangers de cette tendance.
« Qui va toucher cet argent ? »
Il est possible de voir dans la rémunération militante une forme d’indécence ou de gaspillage de moyens. Par exemple, si l’on s’engage pour lutter contre la précarité (quel qu’en soit le contexte), la rémunération d’un·e organisateur·ice peut être perçue comme une captation de ressources. Pourquoi engager autant d’argent dans un travail de coordination, quand l’urgence est de soutenir celles et ceux qui ont des besoins vitaux et immédiats ?
Syndrôme de l’imposteur·trice
La question de la rémunération se pose aussi à titre individuel, de soi à soi. Dans un contexte où les ressources militantes sont si limitées, pourquoi est-ce que “moi” je serais rémunéré·e ? Est-ce que je suis à la hauteur ? Est-ce que cela en vaut vraiment la peine ? Est-ce que je suis légitime ? Nous partageons ce lot d’inquiétudes et de doutes, nous essayons de nous déconstruire, notamment en réfléchissant au syndrôme de l’imposteur·trice, qui touche d’autant plus durement les personnes vivant des discriminations systémiques.
Sur ces enjeux, nous vous recommandons notamment l’émission des Radiorageuses qui interrogent ce concept et son utilisation parfois problématique.
« Quels sont les effets de l’argent sur l’activité militante ? »
Au sein d’une équipe jusque-là complètement bénévole, la rémunération d’une personne peut questionner. En effet, la relation entre bénévoles et personnes rémunérées n’est-elle pas asymétrique par nature, et donc source d’inégalités ? Et si tel est le cas, rémunérer un·e organisateur·ice ne revient-il pas créer un statut privilégié au sein d’un groupe, dont découlerait peu à peu un engagement à deux vitesses ?
Sous cet angle, la rémunération est le premier pas vers la professionnalisation de l’engagement, qui peut elle-même entraîner bon nombre d’effets pervers au sein d’un groupe militant. On peut par exemple citer :
La bureaucratisation : comptabilité, cadre juridique, relation hiérarchique… La rémunération entraîne la mise en œuvre de nouvelles règles, procédures et rituels qui peuvent rapidement prendre une place démesurée en oubliant l’essentiel. Salarié·es et bénévoles doivent occuper des rôles parfois loin de leur engagement initial.
La professionnalisation : avec le cadre professionnel s’imposent les codes et les normes du monde du travail. Technicisation des compétences, valorisation des “savoirs froids” plutôt que de l’expérience, entretiens d’embauches… Ces processus favorisent à terme le recrutement de personnes extérieures à la lutte plutôt que des premier·ers concerné·es.
La contractualisation : L’engagement est désormais normé et défini par une fiche de poste et un contrat, qui redéfinissent la relation entre la personne salariée et sa cause.
Le productivisme : la rémunération a pour contrepartie un travail bien défini, qui peut parfois se traduire par une injonction à la productivité, à l’évaluation permanente et au culte du résultat.
La course aux subventions : une fois qu’un poste est financé, il faut pouvoir le maintenir. Rechercher des financements devient alors un but en soi, qui épuise au lieu de renforcer.
La “carrière” militante : la rémunération militante amène le risque que l’engagement ne soit plus un élan politique, mais un simple travail, que l’on défend pour pouvoir en vivre, parfois au détriment de la cause que l’on soutient.
Le retour des “chef·fes” : l’argent apporte son lot d’enjeux de pouvoir et d’inégalités dans les relations (par exemple la relation de pouvoir entre salarié·es et employeur·euses)
Le décalage entre salarié·es et bénévoles : rétention d’informations, concentration du pouvoir dans les mains des salarié·es, dépossession des bénévoles de certains rôles et fonctions-clés.
Dans son ouvrage “C’est pour la bonne cause”, le chercheur Simon Cottin-Marx explore les désillusions du travail associatif et pointe du doigt certains des phénomènes décrits ici.
On vous encourage à le lire et, en guise d’introduction, à regarder son entretien avec Médiapart, intitulé “Travailler en association : paradis ou exploitation ?”
« N’existe-t-il pas d’autres modèles que le recours à l’argent ? »
Face aux problèmes majeurs que pose la rémunération des militant·es, il est tout à fait légitime d’écarter simplement la question de l’argent dans la structuration des luttes, puisque celle-ci semble apporter plus de problèmes qu’elle n’en règle.
Il existe ainsi de nombreuses formes de militantisme qui assument un engagement très intense, sur la durée, sans contrepartie financière. Celles-ci, inspirées par des contre-modèles de société, une éthique de la sobriété, ou encore un simple refus des pièges du salariat, peuvent se décliner sous plusieurs formes. En voici trois exemples :
Une personne en période de transition (année sabbatique, période de chômage ou RSA etc.), a une source de revenus – parfois – suffisante pour vivre selon ses besoins et souhaite s’engager, de façon intense, pour une cause, sans contrepartie financière.
Une personne fait partie d’un réseau de soutien et de solidarité fort, qui compense des revenus faibles (issus d’activités rémunérées ou d’allocations). Cela lui permet de dédier un temps conséquent à son activité militante sans chercher de rémunération.
Une personne choisit un emploi “alimentaire” (à plein temps ou à mi-temps) et consacre tout son temps libre à ses activités militantes bénévoles.
Désintéressement et pureté militante
Il est important de préciser que, dans ces différents exemples, le refus de rémunérations pour une activité militante est bien un choix. Un choix courageux, éthique et fort, mais qui n’est évidemment pas la seule manière de militer. Chez Organisez-vous !, nous défendons « l’humain d’abord, le programme ensuite » et cela commence en prenant soin de soi et de son engagement !
Pour approfondir cette question, nous recommandons la lecture de notre dossier intitulé “Lutter sans se cramer”.”
Au-delà du simple tabou de l’argent, il existe de nombreux arguments, tous solides et légitimes, qui expliquent qu’il soit si difficile de défendre l’idée d’une rémunération des organisateur·ices.
Toutefois, si c’est un regard lucide qu’il faut adopter pour empêcher l’étouffement de nos luttes par la professionnalisation des militant·es, c’est ce même regard que l’on doit porter sur un autre enjeu, lié lui aussi aux questions d’argent : le burn-out militant.
Pourquoi le tabou de l’argent contribue-t-il au burn-out militant ?
Conscient·es de l’importance que peut avoir la structuration informelle des groupes, des militant·es ont consigné dans des brochures, des récits de lutte ou des manuels de nombreux conseils pratiques pour créer les conditions d’un militantisme résilient.
C’est quoi le burn-out militant ?
Grâce aux récentes recherches sur le sujet, mais aussi à quelques prises de paroles déterminantes (on pense par exemple à l’initiative sur twitter “PayeTonBurnOutMilitant”), on reconnaît depuis quelques années en quoi l’activité militante peut être dévorante, s’inscrivant dans une culture du burn-out. Une personne en burn-out est dans un état d’épuisement physique et psychique très avancé, pouvant prendre de nombreuses formes, et résultant de l’accumulation de nombreux facteurs de stress complexes.
Manque de moyens, usure du conflit, contact avec la précarité, charge mentale, stress physique, environnement toxique (voire violent)…Les militant·es s’épuisent et trouvent souvent trop peu de ressources pour créer du cadre, respirer, prendre du recul. Le burn-out a des impacts individuels et collectifs sur le temps long, affaiblissant nos mouvements à petit feu.
Dans sa conférence gesticulée « Faut qu’ça sorte« , Essé Messan utilise l’analyse intersectionnelle pour revenir sur son burn-out. Dans son parcours, l’injonction à la réussite que lui impose son statut d’immigrée se couple aux multiples traumas et pressions de la charge patriarcale, ainsi qu’au syndrôme de l’imposteur·ice lié à sa classe sociale. Pour illustrer le caractère systémique de ces facteurs du burn-out, elle cite l’histoire d’Amalia, sourde et d’origine indienne, qui a dû faire face au harcèlement, au racisme et au validisme sur son lieu de travail.
Pour sortir de la terminologie trop vague du “burn-out”, et visibiliser le lourd impact des violences systémiques sur le corps des personnes racisées, des chercheur·euses canadien·nes souhaitent introduire le concept de “stress racial”, qui décrit l’anxiété, la fatigue mentale, la dépression, les douleurs chroniques ou encore les maladies cardio-vasculaires dûes à la confrontation quotidienne avec des individus racistes.
Dans un article de Socialter, Alexia Eychenne explique en quoi le phénomène du burn-out militant n’a en réalité rien de nouveau. Elle cite par exemple les travaux du chercheur Paul Boulland, qui a documenté, grâce aux archives du Parti Communiste, des cas “d’effondrement, d’abandon, voire de dépression” dans les mouvements ouvriers, et cela dès le début du XXème siècle.
“Le Front populaire ou mai-juin 1968, plutôt associés à des images de liesse, comportent aussi leur lot de corps fatigués par les manifestations, les débats ou les barricades. L’épuisement participe de l’expérience sensible de la grève, parfois de manière dramatique. Ainsi, le 16 juin 1968, en plein mouvement social, le secrétaire de l’union départementale Force ouvrière du Morbihan, Louis Guillo, succombe à une crise cardiaque dans un train.”
En prenant pour point de départ les récents suicides de grévistes dans les transports en commun, les contributeur·ices du Maitron (Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier et du Mouvement social) ont également fait un travail d’archives sur le burn-out militant. L’ouvrage recense, dès 1906, des cas de “mélancolie ouvrière” lors des mobilisations de tisseuses en soierie. De portrait militant en portrait militant, on s’aperçoit qu’au fil des décennies se dessine “un ascenseur émotionnel éprouvant, redoublé pour les plus mobilisé·es par la multiplication des tâches et des réunions, l’allongement des journées, les kilomètres parcourus, etc.”.
L’engagement militant a un coût (physique, financier, social) parfois colossal, qui peut transformer une aventure collective en calvaire. D’autant qu’il n’existe pas de réponse simple ou unique au burn-out militant.
Retrouvez ici le Guide open-source de lutte contre le burn-out militant.
Principes généraux, petites mesures à appliquer au quotidien, points de vigilance à garder à l’esprit : apportez vos expériences, vos conseils, vos idées, vos ressources pour que le guide s’enrichisse et contribue à un nouveau militantisme !
Harcèlement, répression, épuisement face à d’un côté l’inaction de l’Etat et de l’autre l’intransigeance militante, absence chronique de ressources allouées au travail militant, les causes du burn-out militant sont très nombreuses et les solutions pour y faire face doivent l’être aussi. Parmi elles, la lutte contre la précarisation des militant·es.
Une précarité généralisée
Prenons pour exemple le salariat dans le monde associatif, qui est la forme de rémunération militante la plus courante. D’après un rapport de l’INSEE de Mai 2021, 170 000 associations françaises sont aujourd’hui employeuses (avec un total de 2,2 millions de personnes employées), et 10% d’entre elles sont dédiées à la défense de causes, de droits, et d’intérêts (de gauche comme de droite). Dans ce même rapport, l’INSEE estime que les ressources courantes de ces associations employeuses dans le domaine du plaidoyer s’élèvent à près de 7 milliards d’euros.
Quelle somme ! Pourtant, cela ne se traduit pas nécessairement par la création d’emplois stables et bien rémunérés. En effet, en comparant une enquête de l’INJEP (2019) aux récents chiffres de l’INSEE, on s’aperçoit que 42% des employé·es du monde associatif sont en CDD (alors que seulement 12% des salarié·es français·es le sont), et que 36% travaillent à temps partiel (contre 17,6% dans les autres secteurs, hors apprenti·es). De même, le salaire moyen brut annuel des employé·es de l’associatif est de 21 300 euros, contre un salaire moyen brut de 39 300 euros partout en France.
Ces disparités matérielles traduisent la précarité permanente de l’emploi associatif. Nos subventions seront-elles reconduites ? Notre projet sera-t-il retenu ? Pourrons-nous compter sur un dispositif d’aide à l’embauche ?
Les conditions de travail s’en ressentent, et les témoignages de mal-être au travail se multiplient :
Quand les ressources manquent, ce sont les travailleur·euses qui trinquent. En sous-effectif, avec la permanente incertitude que leur poste sera renouvelé, et face à la nécessité d’avoir des résultats concrets pour convaincre leurs financeur·euses, iels subissent une pression permanente qui mène tout droit au burn-out.
Malheureusement, il n’y a rien de surprenant dans ce constat. Les causes matérielles du burn-out militant sont bien connues de tous·tes. Pourtant, ce n’est pour autant qu’elles sont forcément pointées du doigt ou dénoncées par les militant·es. Car les spécificités du travail militant (et l’engagement personnel qu’il implique) conduisent parfois à invisibiliser la détérioration de son exercice.
Une injonction au sacrifice
Dans un secteur où l’on s’engage par vocation, choix politique et éthique personnelle, il existe (comme dans beaucoup d’autres professions) une ligne fine entre le travail rémunéré et le travail bénévole. Les chercheur·ses Laura Nirello et Lionel Prouteau appellent cela le “don de travail” : certain·es salarié·es du monde associatif considèrent le fruit de leur travail (progrès des droits, accès aux biens communs, protection de l’environnement) comme une forme de gratification en soi.
Or, bien qu’un tel sacrifice puisse être le fruit d’un choix libre et conscient, il peut aussi prendre la forme d’une injonction. On est là “pour la cause”. Il faut “faire un effort”. Cet engagement, c’est “plus qu’un travail”. À tel point que, dans un contexte de sous-financement chronique, le “don de travail” peut devenir une forme d’exploitation à peine dissimulée :
Dans un tel contexte l’argent est alors doublement un tabou :
- Les militant·es culpabilisent de toucher une rémunération, car iels ont bien conscience des problématiques que cela peut engendrer au sein d’une lutte.
- Même si l’argent manque, on n’ose pas forcément le mentionner car la précarité subie est déguisée en “sacrifice pour la cause”
Or, comme nous l’avons mentionné plus haut, l’une des premières sources du burn-out militant est l’absence de ressources matérielles (et en particulier le manque d’argent). Il y a donc comme deux injonctions contradictoires que la culture militante impose aux personnes engagées et s’entrechoquent sans cesse. D’une part l’injonction au bien-être et au respect de soi (“Ne vous cramez pas !”) et de l’autre l’injonction au désintéressement et au sacrifice (“Ne vous plaignez pas !”).
Pour penser une forme d’engagement durable, il est donc nécessaire de dépasser ces injonctions, et de regarder nos difficultés financières en face. Le tabou de l’argent est une cause à part entière du burn-out militant, qu’il est nécessaire de lever pour pouvoir penser les questions éthiques et politiques de la rémunération militante.
Tant que l’argent reste un tabou ou un objet de culpabilité, il est difficile d’exiger de meilleures conditions de travail, de meilleurs salaires ou même tout simplement de penser la rémunération militante comme une possible condition de nos futures victoires.
Dans le cadre qui nous intéresse (le recrutement et la rémunération sérieuse des organisateur·ices), il devient alors fondamental de prendre la parole publiquement et de justifier pourquoi, selon nous, il est possible d’être à la fois militant·e et bien rémunéré·e.
Peut-on être militant·e, organisateur·ice ET être bien rémunéré·e ?
Depuis qu’Organisez-vous ! existe, l’une des critiques les plus récurrentes que nous avons pu rencontrer concerne la rémunération des organisateur·ices. Avec le temps, nous avons alors pu compiler un certain nombre d’objections, de questions ou d’idées reçues sur ce sujet, auxquelles nous vous proposons de répondre ici. Nous tenons à préciser que nos réponses sont situées, qu’elles concernent avant tout le travail d’organisateur·ice, et surtout qu’elles n’engagent que nous.
La question de la rémunération militante est un débat ouvert, auquel nous apportons ici notre propre contribution :
💬 “Vous faites ça pour l’argent !”
Bien sûr que non ! C’est assez évident que la première préoccupation des organisateur·ices n’est ni l’appât du gain, ni l’enrichissement personnel. Traditionnellement, les organisateur·ices ont des charges de travail très conséquentes, pour des postes assez précaires et peu rémunérateurs. Leur vocation les porte, comme bien d’autres, à vivre cette situation comme un “don de travail” [Cf paragraphe précédent] qui n’est pas fait pour durer. On retrouve donc souvent à ces postes des personnes assez jeunes, plutôt éduquées, qui viennent de finir leurs études et vivent ce travail comme une expérience exaltante, avant de retourner finalement à des emplois plus conventionnels et offrant plus de perspectives à long terme. Ce renouvellement permanent des organisateur·ices, qu’il faut sans cesse former puis laisser partir, est pour nous un mécanisme qu’il faut remettre en cause. Car pour que le monde militant s’enrichisse d’organisateur·ices redoutables, ayant derrière elleux plusieurs campagnes et des années d’expérience, il est fondamental de leur offrir de meilleures conditions de travail.
À Organisez-vous !, nous expérimentons une rémunération sur une base de 2600 euros brut pour un temps plein, soit environ 2000 euros net.
C’est 340 euros de moins que le salaire moyen en France, et 671 euros de plus que le SMIC [chiffres de 2022]. À cela, nous ajoutons bien sûr les obligations légales concernant les tickets restaurants, ainsi que la participation à la mutuelle et aux frais de transports de nos salarié·es. C’est cela que nous appelons être militant·e et “être bien rémunéré·e” : disposer de ressources qui permettent de mener son activité de façon sereine et pérenne. Mais nos contraintes financières ne nous permettent pas de déplacer ce plafond !
💬 “Militer, ça ne peut pas être un métier.”
S’engager pour une cause n’est pas, la plupart du temps, une activité qui dépasse le cadre du bénévolat. Et beaucoup de personnes militent sur leur temps personnel. Il est toutefois important de reconnaître que certaines personnes, mues par une vocation particulière, ont choisi d’exercer un métier politique qui s’exerce dans un espace d’engagement. Par exemple, un·e avocat·e spécialisé·e dans le droit des étrangers exerce un métier bien défini et peut également, dans ce cadre, lutter pour le progrès des droits et les libertés des personnes exilé·es. Personne n’oserait remettre en cause son expertise, son expérience, sa technicité, sa finesse ni sa prise en charge des aspects les plus pénibles des procédures juridiques. Ainsi, ce n’est pas parce que son métier est militant que ce n’est pas un “vrai” métier. De même, les animateur·ices, les coordinateur·ices de réseau, les travailleur·ses sociaux·ales, les éducs de rue, les chargé·es de mobilisation… ont des métiers militants, et sont rémunéré·es pour leur travail. Alors, pourquoi pas les organisateur·ices ?
Article “Être militant·e est un vrai métier” sur le blog “La vie en queer”
💬 “Dans nos luttes on n’a pas besoin d’organisateur·ices professionel·les”
Cela dépend du contexte ! Un·e militant·e peut se former à l’organisation collective et prendre en charge ces questions bénévolement au sein de son collectif. De même, une amicale de locataires peut organiser des temps d’éducation populaire et d’auto-formation (arpentages, partages de récits de luttes, etc.) pour mieux se structurer et envisager de nouvelles stratégies. Ou encore, un·e délégué·e syndical·e peut, sans décharge horaire, prendre le temps d’aller échanger avec ses collègues, faire remonter des sujets auprès de la direction, voire planifier des actions collectives. Dans chacune de ces situations, le groupe à organiser est de petite taille, dans un cadre bien délimité, avec une identité ou une cause bien définie. Cela permet à la tâche d’organisation d’être assez resserrée, tout en restant malgré tout exigeante. Les personnes qui s’engagent sur leur temps personnel en tant qu’organisateur·ices en sont bien conscientes, et elles doivent souvent jongler habilement entre cet engagement et les autres aspects de leur vie. Cela rend la tâche d’organisation assez coûteuse en temps, peu inclusive (tout le monde n’a pas du temps libre à sa disposition), et finalement fragile sur la durée. C’est pourquoi, dans l’idéal, ces organisateur·ices bénévoles doivent pouvoir s’appuyer sur des organisateur·ices professionel·les (et envisager de peut-être se professionnaliser soi-même). Car dès lors que l’on change d’échelle, ou que l’on augmente la complexité et les enjeux de la lutte, on découvre à quel point :
- Organiser est une activité chronophage
- Organiser est une activité qui demande des compétences spécifiques
- Organiser est une activité enrichie par l’expérience
L’idée pour nous n’est donc pas de chercher à professionnaliser l’organisation collective à tout prix. Il s’agit plutôt de reconnaître la nécessité, dans certaines situations particulières, de recruter (en interne ou à l’extérieur) une personne qui pourra dédier du temps au groupe et faire monter en compétences les autres militant·es.
« Même s’ils agissent souvent dans l’ombre, des organisateurs sont présents dans chaque organisation en pleine croissance. Et si la description conventionnelle des organisations est en vigueur, celles-ci en viennent à cacher leurs organisateurs, et même jusqu’à prétendre qu’ils n’existent pas. La conséquence directe de ce choix et que la notion même d’organisateur, qui devrait être au cœur de la vie quotidienne d’une organisation, devient floue et vaporeuse. Plus grave encore, quand le travail des organisateurs est dissimulé, les tâches primordiales d’enseignement, de conseil, d’affirmation de soi, de parrainage et de guidage (toutes les tâches d’organisation) deviennent des tâches clandestines de manipulation. Or une organisation ne peut évaluer ni demander des comptes à ses organisateurs que si leur rôle est à la fois publiquement défini et approuvé. »
💬 “Au fond, vous êtes juste des consultant·es.”
Comme McKinsey ou Cap Gemini ? Pas du tout, non. Mais ce qui explique cette comparaison peu flatteuse, c’est l’absence de clarté qu’il peut y avoir sur le cœur d’activité des organisateur·ices. À quoi peuvent-iels bien passer leurs journées ? Au quotidien, un·e organisateur·ice cherche avant tout à tisser/soutenir des liens de solidarité entre les membres d’une communauté d’intérêt. On fait du porte-à-porte, on prend des rendez-vous, on installe des tables et des thermos dans les lieux publics, on planifie des réunions, et surtout on boit beaucoup, beaucoup de café avec les gens ! On est bien loin des fantasmes du consulting ! Il est vrai, cependant, que les organisateur·ices sont également des formateur·ices. Iels partagent des savoirs chauds et froids sur l’histoire des luttes, les outils de mobilisations, les questions de structuration ou encore des tactiques pour mener des actions collectives. Iels se servent de ces repères pour susciter ou enrichir les espaces de discussion stratégique. S’inspirant de la pratique de l’éducation populaire plutôt que des Power Point de Publicis, l’organisateur·ice cherche avant tout à susciter la conscience politique, l’engagement collectif et le passage à l’action.
C’est quoi le quotidien d’un·e organisatreur·ice ?
Dans sa journée, un·e organisateur·ice dédie la plupart de son temps aux activités suivantes :
- Prises de contact (avec des membres de la communauté en lutte ou des allié·es potentiel·les). Cela peut se faire par mail, par téléphone, ou directement sur le terrain, avec la pratique du porte-à-porte, du porteur de parole ou du grenouillage.
- Conversations intentionnelles (en face à face) avec des membres de la communauté. Ce sont des conversations plus ou moins longues qui consistent à faire connaissance, à renforcer les liens du groupe, et à agiter politiquement ses membres.
- Temps de réunion (par équipe ou avec toute la communauté) pour parler de stratégie, préparer les actions à venir et évaluer les actions passées.
- Temps de formation sur des outils concrets pour structurer la stratégie collective et les actions du groupe (cartographie du pouvoir, conversations intentionnelles, théorie du changement, etc.).
À Organisez-vous, nous pratiquons toutes ces activités, mais avec une spécificité : nous organisons les organisateur·ices. Notre objectif est de contribuer à créer une communauté nationale d’organisateur·ices, issu·es de toutes les luttes, et qui puisse se soutenir et renforcer leurs combats sur la durée.
💬 “Rémunérer des gens, c’est instaurer une domination dans la lutte.”
Là encore, tout dépend du contexte. Certes, l’argent est source de pouvoir, et en tant que tel il peut être utilisé pour diviser les militant·es ou même instaurer une hiérarchie entre personnes rémunérées et bénévoles. Tout comme le pouvoir, il s’agit d’une ressource, dont l’usage est avant tout une question d’intention. Mais le fait qu’un mauvais usage de l’argent existe justifie-t-il que l’on abandonne l’idée de rémunérer des militant.es ? Car, à l’inverse, refuser de rémunérer décemment des militant·es peut aussi être une source de domination.
“Un des problèmes, à l’époque, était que le travail d’organisateur·ice n’était pas bien payé. Personnellement, je vivais avec $50 par semaine, grâce aux allocations. Et à l’époque, ma femme travaillait aussi comme organisatrice, donc on n’avait vraiment pas grand-chose. Le directeur général de l’organisation pour laquelle je travaillais touchait un salaire. Mais nous autres, on parvenait à peine à subvenir à nos besoins. C’était un travail qu’on faisait par passion. Et, concrètement, seules des personnes blanches de classe moyenne pouvaient se permettre le luxe de vivre de cette manière pendant relativement longtemps”
Dave Beckwith, dans l’entretien à retrouver ici.
Le constat est simple, si l’on ne rémunère pas décemment les organisateur·ices, ce sont les personnes ayant déjà des ressources personnelles importantes (origine sociale, revenus élevés, stabilité familiale, éducation prestigieuse…) qui occuperont ces postes dans les collectifs et les mouvements sociaux. En d’autres termes, en refusant de rémunérer les militant·es, on renforce les inégalités sociales et les privilèges existant au sein des luttes. Car seules les personnes disposant déjà d’un capital (financier, culturel ou social) peuvent dédier autant de temps et d’énergie qu’ils le souhaitent à leur cause.
Par exemple, au sein d’Organisez-vous, certain·es membres de l’équipe salarié·e ont des enfants en bas âge. Le temps qu’iels peuvent consacrer à leur engagement militant en est donc considérablement impacté, tout comme leurs contraintes financières en sont accrues. Il leur serait impossible de se consacrer autant aux causes qui les portent s’iels ne pouvaient pas avoir accès à une rémunération militante. De même, plusieurs membres de l’équipe ont vécu, pendant leur parcours, des périodes de grande précarité et de burn-out militant (souvent combinées). Non-respect du droit du travail, semaines de 70h, rémunérations instables… Epuisé·es et parfois dégoûté·es, iels n’avaient pas les moyens de continuer un engagement militant sacrificiel aux dépens de leur santé physique et mentale.
💬 “Se rémunérer comme organisateur·ice, c’est se faire de l’argent sur le dos des luttes”
Il est vrai que l’argent se fait de plus en plus rare dans le monde militant. Les sources de financements tarissent et leur accès est de plus en plus difficile. La plupart des collectifs, associations et syndicats avec lesquels nous travaillons manquent d’argent.
Mais plutôt que de prendre ce constat comme un état de fait, nous faisons souvent de la levée de fonds un premier enjeu d’organisation. Car la question de la rémunération d’un·e organisateur·ice impose aux membres d’un groupe de se concerter et d’ouvrir un réel débat sur la nécessité de s’organiser.
Est-ce réellement une priorité ? Qui serait vraiment prêt·e à y consacrer du temps ? Que souhaite-t-on accomplir en s’organisant ? Si à l’issue d’une telle discussion, les membres du groupe décident qu’iels ne souhaitent pas consacrer de ressources à l’activité d’organisation, alors cela signifie qu’il ne s’agit pas là pour elleux d’une priorité. Dans un tel contexte, l’action d’un·e organisateur·ice aurait peu d’effets.
À l’inverse, si le groupe décide d’y consacrer des ressources mais que celles-ci sont très faibles, alors la première question qui se pose est : où allons-nous chercher de l’argent ? Et pourquoi exactement allons-nous en chercher ? Parfois, il s’agit pour le groupe de lever des fonds pour recruter un·e organisateur·ice en son sein, et assurer la pérennité du travail sur la durée. Là encore, le processus de recrutement en lui-même est bénéfique : quelle fiche de poste rédiger ? Qui inclure dans le processus de recrutement ? Quelles personnes nommer pour assurer la fonction d’employeur·euse ?
Pour ce qui est d’Organisez-vous!, nous avons un principe simple sur lequel nous n’avons jamais dérogé : l’argent, aussi important soit-il, ne doit jamais être un obstacle qui empêche un groupe de travailler avec nous.
La philosophie du tarif libre et conscient
Nos travaux de recherche et nos formations sont accessibles aux personnes ou groupes n’ayant aucune ou peu de ressources financières. Notre seule limite est l’équilibre financier que nous parvenons à maintenir d’année en année. C’est pourquoi, plutôt que de proposer la gratuité, nous pratiquons un tarif libre et conscient qui permet à celleux qui le souhaitent de nous soutenir, notamment pendant :
- Les ateliers-éclairs d’introduction à l’organisation collective sur des outils comme la cartographie du pouvoir ou la théorie du changement
- Le séminaire des organisateur·ices, organisé tous les 3 mois, dans lequel un·e organisateur·ice expérimenté·e livre son partage d’expérience
- Les formations collectives et intensives
Si la rémunération des militant·es n’est pas un but en soi, c’est néanmoins une ressource-clé pour s’assurer qu’un groupe étendu puisse rester soudé sur la durée.
Certes, de nombreuses dérives sont possibles, mais nous considérons que l’absence de rémunérations peut-être, elle aussi, source de profonds problèmes et d’échecs.
C’est pourquoi nous souhaitons lever le tabou des rémunérations militantes, et encourager les discussions concrètes sur des enjeux précis : d’où provient l’argent ? Est-il source de contraintes ? Peut-il nous écarter de nos combats ?
Cet article de l’Université Populaire des Luttes
Chapitre 2 La tyrannie de l’appel à projet Dépendance, compétition et récupération
Vous souhaitez rechercher des financements, mais par où commencer ? Dans ce chapitre, nous explorons comment l’argent provenant de subventions publiques, ou encore de certain·es fondations et mécènes, peut impacter l’indépendance de l’organisation, sa vision et ses missions.
La main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit
D’où vient l’argent dans le monde militant ?
Notre but ici n’est pas d’atteindre l’exhaustivité, mais plutôt de souligner quelques mouvements de fonds qui ont un impact direct sur les finances des organisations militantes. En effet, il faudrait une véritable thèse pour entrer dans le détail des réalités des financements du monde militant aujourd’hui. Par exemple, rien que le financement des organisations syndicales est un véritable casse-tête : cotisations, subventions, mises à disposition de locaux, décharges syndicales… D’autant que l’accès aux chiffres est souvent difficile et ne reflète pas totalement la réalité des faits.
Partons donc de la base. Que ce soit pour les syndicats, les collectifs ou les associations, la source de financement privilégiée, ce sont avant tout les cotisations. Malheureusement, à échelle locale, il arrive rarement que la somme de ces petits montants soit suffisante pour rémunérer des personnes. C’est pourquoi il est très courant de recourir à d’autres sources de financements, soit publiques (telles que les subventions des collectivités territoriales, de l’Europe, de l’Etat ou des organismes sociaux comme la CAF), soit privées (tels que les revenus d’activités, dons de fondations, mécénats).
Quel est alors le poids de chacune de ces ressources ?
Dans un récent rapport intitulé “Les associations : état des lieux et évolutions”, la chercheuse Viviane Tchernonog présente l’équilibre global suivant :
- 9 % du budget total des associations provient des cotisations
- 5% provient des dons et mécénats
- 66% provient des recettes d’activités
- 20% provient des subventions publiques
Ce qui marque à la lecture de ces chiffres, c’est l’écrasante place qu’occupent les recettes d’activités par rapport à la faible place des subventions publiques (moins d’un quart). Les chiffres des financements syndicaux sont plus complexes, mais ils transcrivent également un recul des subventions publiques dans le budget des confédérations. Comment expliquer cette tendance de fond ? Et surtout : quelle est son origine ?
Une privatisation des financements publics
Dans son rapport, Viviane Tchernonog précise que ces chiffres sont le résultat d’une évolution rapide, qui a vu s’effondrer les subventions publiques dès les années 2000. En 2005, ces subventions représentaient 34% du budget associatif global, contre 20% en 2017. C’est donc une chute de près de 15% qui a eu lieu en un peu plus de 10 ans.
Un rapport de 2014 sur le modèle socio-économique des associations peut nous apporter des pistes pour comprendre cette évolution. D’après celui-ci, la grande transformation à l’œuvre dans le financement associatif est le recours croissant aux appels à projet (ou “commandes publiques”) : en 2009, ces derniers représentaient un tiers des sources de financements publics, contre la moitié en 2014. Un bond, donc, de presque 20% en à peine 5 ans.
Le recul des subventions publiques ne signifie donc pas seulement un recul des financements publics dans leur globalité. C’est aussi le signe d’une transformation majeure dans la façon dont l’Etat, les collectivités ou l’Union Européenne choisit d’allouer ces financements. Car là où, il y a quelques décennies, un·e Maire aurait pu allouer une subvention pluriannuelle de fonctionnement à une association, elle préfère aujourd’hui organiser un budget participatif, un appel à projet pour un festival, voire la mise en compétition d’associations pour leur déléguer l’une de ses missions.
Contractualiser pour mieux contrôler
Ce recours de plus en plus systématique à l’appel à projet n’est pas le fruit du hasard. Il existe des écrits qui témoignent d’une volonté politique consciente de transformer le financement des associations pour mieux les contrôler. A ce titre, l’exemple le plus éloquent est sans doute le rapport Langlais (datant de 2008, sous la mandature Sarkozy) adressé à la Ministre de la vie associative, et portant sur “un partenariat renouvelé entre l’Etat et les associations.” Le rapporteur y fait, sans ambigüité, l’apologie de la contractualisation :
L'Université Populaire des Luttes
Traduire, rechercher, mettre en page et faire vivre notre communauté de bénévoles permet de garder en mémoire les récits de luttes, sources inépuisables d’espoirs et d’inspirations tactiques et stratégiques.
Dans un système politique prédateur dont l’un des objectifs est de nous priver de nos repères militants historiques, les moyens de financer ce travail de mémoire sont rares.
Pour nous aider à garder cette université populaire des luttes accessible gratuitement et contribuer à renforcer nos luttes et nos solidarités, faites un don !
“[Les nouvelles orientations] imposent le passage d’une culture de la subvention à une culture de la commande publique, chaque fois que la prestation attendue en retour peut être définie avec un minimum de précision. […]
La mise en concurrence doit être préférée chaque fois que les circonstances s’y prêtent, d’une part parce qu’elle oblige l’administration à mieux formuler ses besoins, d’autre part parce qu’elle engage l’association dans une démarche de résultat.”
“ [La sous-utilisation des entreprises associatives] révèle combien le tabou du lucratif règne encore au sein du monde associatif. Le statut associatif est en effet perçu davantage comme un mode de vie, un état d’esprit (très valorisé au sein de la société) et auxquels les associations, soucieuses de leur image, ne sauraient renoncer.”
Qu’en est-il des financeur·euses privé·es ?
Tout d’abord, il est important de rappeler que le poids des dons privés et mécénats occupe une place assez faible dans le financement global des associations (seulement 5%). Toutefois, ce chiffre est à nuancer. Car pour les associations militantes, le recours à des financements publics (subventions ou appels à projets) est très souvent impossible ou infructueux. C’est pourquoi le rapport Tchernonog parle d’une surreprésentation du recours aux financements privés pour les associations militantes. Il s’agit pour elles d’une stratégie pour échapper au contrôle des financeurs publics. Mais est-ce un bon calcul ? Tout dépend des financeur·ses. Le monde de la philanthropie est extrêmement vaste : grandes fortunes, mécénats locaux, réseaux philanthropiques, fondations d’entreprises… Il est donc impossible de faire un portrait-robot du/de la financeur·se privé·e “moyen·ne”, tant iels ont toutes et tous leurs propres objectifs et une philosophie singulière. Le mieux, peut-être, est de parler d’expérience. L’association Organisez-vous ! est aujourd’hui financée en partie par deux fondations privées, qui n’ont exigé ni l’une ni l’autre que nous participions à des appels à projet :
- Une grande fondation familiale, qui nous soutient depuis plus de 2 ans, propose des financements structurels, qui ne sont pas fléchés vers des projets mais plutôt vers le développement de l’association en elle-même, sur la durée. Pour obtenir ce financement, nous n’avons pas eu à infléchir nos valeurs ou notre ligne politique. Au contraire, nous nous sommes toujours senti·es soutenu·es, quel que soit le sujet, surtout dans les moments les plus difficiles.
- La Guerilla Foundation, qui finance surtout les actions collectives et les mouvements sociaux, et s’intéresse depuis quelques temps à l’organizing. Elle soutient notre programme de Veillée Militante, projet que nous lui avons soumis l’an passé (hors procédure d’appel à projet), et sur lequel nous avons toute liberté.
Lors de nos échanges réguliers avec ces fondations, nous partageons nos avancées, nos doutes, nos idées, et nous recevons en retour des encouragements, des prises de recul très précieuses et parfois des mises en contact avec de potentiel·les partenaires. Nous avons donc été très agréablement surpris·es par la qualité du soutien apporté par ces fondations, vis-à-vis desquelles il est important de reconnaître que notre association est aujourd’hui dépendante. Ce constat, il nous est impossible de le généraliser. D’autres associations nous ont fait part d’expériences radicalement différentes de la nôtre, parfois pour le pire. On peut néanmoins mentionner que des conversations de fonds ont actuellement lieu dans le monde philanthropique, notamment pour promouvoir les financements structurels (par opposition aux financements par projets) et la création de fondations locales, ancrées dans leurs territoires.
Si la généralisation des appels à projet met en lumière notre dépendance aux financeur·ses pour rémunérer des militant·es organisateur·ices, elle pointe aussi du doigt la privatisation rampante des financements publics.
Avec en tête l’émergence d’ ”entreprises associatives”, les pouvoirs publics sont en train de créer un véritable marché de la prestation associative. Au cœur de ce marché, un mécanisme vicieux : la mise en concurrence.
Chacun·e pour soi
Une raréfaction globale des ressources
Depuis plus de 30 ans, les sources de financement disponibles pour les rémunérations militant·es ont peu à peu tari. Suppression des contrats aidés, réformes successives du mécénat et des avantages fiscaux, diminution progressive des subventions publiques…
Dès la fin des années 2000, alors que le basculement vers un modèle associatif entrepreneurial était enclenché, l’inquiétude était palpable auprès de nombreuses associations. Dans une enquête menée en 2007, la Conférence Permanente des Coordinations Associatives (CPCA) révélait que 85 % des responsables associatifs avouaient avoir des ressources financières insuffisantes, 79 % étaient inquiet·es et pessimistes pour l’évolution du financement du secteur associatif, et 70 % partageaient cette perception quant à l’évolution de leurs ressources financières
publiques.
En 2022, les député·es Renaissance ont proposé un amendement – finalement rejeté – pour supprimer l’avantage fiscal de certaines associations militantes, dans le cadre des délibérations portant sur le projet de loi finances 2023.
La multiplication des appels à projet intervient donc dans un contexte où les organisations militantes ont de moins en moins d’options pour se financer. Elles sont donc de plus en plus nombreuses à devoir se plier à l’exercice, ce qui accentue donc mécaniquement leur mise en concurrence.
L’avènement des “super associations”
La première conséquence de la mise en concurrence, c’est de limiter l’accès aux financements pour les personnes qui en ont le plus besoin. En effet, plus l’accès aux ressources est rendu complexe (notamment par la connaissance du droit, des procédures administratives, ou du vocabulaire politique en vogue), plus il requiert une forme de professionnalisation dans la levée de fonds. Par exemple, si une petite association de quartier souhaite recruter un·e organisateur·ice pour mener des actions de porte-à-porte et lutter contre l’insalubrité des logements, sa levée de fonds peut être un vrai parcours du combattant ! Comment choisir sur quel appel à projet se positionner ? Au niveau local, national ou européen ? Comment l’écrire ? Comment décoder les critères sur lesquels s’appuyer ? Comment préparer un possible entretien ?
La seconde conséquence de la mise en concurrence, c’est donc l’émergence des “super associations”. Des structures qui, ayant dépassé un seuil critique, sont en mesure de dédier du temps et des ressources à la levée de fonds. Accumulant capital économique, social et symbolique, ces organisations deviennent peu à peu des partenaires privilégiés pour les acteur·ices institutionnel·les. qui peuvent désormais s’adresser à elles en dehors des procédures de mise en concurrence.
Pour les structures militantes, ce contexte concurrentiel est d’autant plus cruel qu’il sert le statu quo. Comment espérer qu’une collectivité locale ou l’Etat financent leurs propres contre-pouvoirs ? Il faudra, pour entrer dans le cadre de l’appel à projet, accepter de se plier à des activités de service ou d’animation, pour mener en dehors quelques actions de plaidoyer ou de sensibilisation.
L’autre mise en concurrence : la vente de biens et de services
Face à l’embouteillage du marché des appels à projets, beaucoup d’associations font le choix de rejoindre d’autres marchés, parfois plus rémunérateurs. Par exemple, dans le champ de l’éducation populaire, les ressources se font aussi de plus en plus rares pour les militant·es. Et il devient nécessaire, pour conserver ses marges de manœuvres, de rechercher d’autres pistes de financements. C’est ainsi qu’on a vu se structurer, depuis 15 ans, un véritable marché de la formation militante, dans lequel cohabitent les auto-entrepreneur·ses, les coopératives et les associations. (Marché dans lequel s’inscrit Organisez-vous !, avec notamment le choix d’obtenir la certification Qualiopi, qui permet d’être financée par les organismes de formation professionnelle.)
“L’objectif est d’affaiblir, voire de détruire ces espaces citoyens notamment, estime Anne Salmon, en convertissant « toute activité en prestation de service pour créer un marché du social ». Dans cette optique, le modèle de financement des associations appuyé sur la subvention tend à disparaître.”
À Organisez-vous!, nous tentons de pallier ces effets pervers de la marchandisation en revenant toujours à la question de l’accessibilité de l’éducation populaire et à des choix simples :
- Proposer un prix libre sur toutes nos formations
- Encourager l’auto-formation entre pairs (Université Populaire des Luttes, pique-nique des organisateur·ices, veillée militante)
- Co-construire de nouveaux ateliers avec des structures amies pour se renforcer (Par exemple, la formation « Sortir des sentiers battus » proposée conjointement avec Isa Frémeaux du Laboratoire d’Imagination Insurrectionnelle)
Cela ne résout pas tous les problèmes. Mais c’est un début !
La révolution ne sera pas subventionnée
Peut-on conserver le cap tout en étant financé·es ?
C’est la question que posent les militantes étatsuniennes de INCITE! Women of color against violence, un collectif ayant subi de plein fouet la répression d’un financeur. Dans leur ouvrage The Revolution Will Not Be Funded – Beyond the non-profit industrial complex, elles racontent l’origine de leur questionnement. En Février 2004, elles reçoivent un email de la fondation Ford intitulé “Félicitations !”. A sa lecture, c’est l’explosion de joie : un financement de 100 000 dollars pour mener à bien des projets féministes intersectionnels. Mais la célébration est de courte durée. À peine quelques mois plus tard, c’est cette fois-ci une lettre recommandée qui est envoyée au collectif : la fondation revient sur sa promesse, les 100 000 dollars ne seront pas versés. En cause, une déclaration de soutien au mouvement de libération palestinien, publiée sur le site internet du collectif.
Cet incident les conduit alors à s’interroger sur les effets que peuvent avoir les subventions sur les mouvements sociaux et les militant·es. Dans leurs recherches, elles font alors l’archéologie du monde philanthropique étatsunien, en cherchant à comprendre comment il s’est structuré, et quel a été son impact progressif sur les mouvements radicaux. Leur constat est d’après elles sans appel : les subventions sont une façon de récupérer les mouvements sociaux, et de les orienter vers des activités de service.
Le complexe industrialo-caritatif
En prenant comme exemple la façon dont les prisons étatsuniennes sont devenues un business subventionné par l’Etat (Prison industrial complex), les membres d’INCITE décrivent le monde associatif comme une sombre excroissance des pouvoirs publics, dédiée au maintien de la paix sociale.
“Le complexe industrialo-caritatif est un ensemble de relations symbiotiques entre
– des technologies politiques et financières d’Etat,
– un contrôle de classe
– une surveillance de l’idéologie politique publique (en particulier des mouvements sociaux de gauche émergents)”
Dylan Rodriguez, “The Political Logic of the Non-Profit Industrial Complex”,
The Revolution Will Not Be Funded
À la lecture de ces mots, les similarités avec les mouvements de fond qui touchent les associations françaises sautent aux yeux. Car des deux côtés de l’Atlantique, la stratégie semble être la même. A mesure que l’Etat-providence se désagrège, les conservateur·ices néolibéraux·ales font d’une pierre deux coups :
- iels entérinent la suppression des services publics en confiant des missions – autrefois régaliennes – à des collectifs ou des associations ;
- iels encouragent des militant·es à abandonner la lutte pour se consacrer à l’urgence des activités caritatives (définies par les financeur·euses).
On peut parler ici de récupération politique, dans le sens où les militant·es infléchissent leurs intentions politiques par pragmatisme. Cela engendre inévitablement des tensions qui émergent dans chaque arbitrage quotidien : dois-je privilégier ma base, pour qui je lutte ; ou dois-je privilégier mon/ma financeur·euse, sans qui je n’ai plus de ressources ?
Au coeur du problème : la dépendance financière
Comme nous l’avons vu plus haut, la fin des subventions publiques, au profit de la multiplication des appels à projets, est un phénomène dramatique. Toutefois, à la lueur des ravages du complexe industrialo-caritatif, il est important de remettre les choses à leur place. Certes, il faut combattre la privatisation des financements publics, afin de réaffirmer la place d’une activité associative non-marchande dans notre société. Mais ce que nous indiquent les activistes d’INCITE!, c’est que pour les militant·es le problème est plus profond. Il y a une telle disproportion de pouvoir entre financeur·ses (public·ques ou privé·es) et financé·es que notre marge de manœuvre est souvent très mince.
À un moment ou à un autre la question de la rémunération militante soulève donc un dilemme inextricable :
- Dois-je demander/accepter ce financement, qui signifiera une inflexion dans mon activité militante ?
- Ou dois-je ignorer/refuser ce financement, qui signifiera le plafonnement de mon action sur la durée ?
Il s’agit ni plus ni moins du dilemme entre pragmatisme et déontologie militante. Beaucoup d’arguments peuvent faire pencher la balance d’un côté (“un mouvement social n’a pas besoin d’argent pour changer le monde”) ou de l’autre (“accepter un financement ce n’est pas forcément renoncer à ses principes”). À Organisez-vous !, nous avons à cœur les questions sur le burn-out militant et sur les inégalités provoquées par l’absence de rémunération militante. Nous avons donc trouvé un équilibre qui nous est propre, mais qui n’est pas non plus idéal. Et nous ne prétendons pas pouvoir indiquer une voie plutôt qu’une autre.
D’ailleurs, notre pratique de l’organisation collective nous a amené·es à prendre du recul sur ce débat, et à constater que ce n’est pas l’argent en lui-même qui produit ce dilemme, mais plutôt le fait de dépendre de l’argent des autres.
Certes, le recours aux financements publics et privés est une solution pour lever des fonds importants et rémunérer des organisateur·ices.
Mais ce choix crée un phénomène de dépendance qui pèse très lourdement sur le fonctionnement d’un groupe militant.
Et si l’idéal, ce n’était pas seulement d’éviter les appels à projets, mais de lever ses propres fonds ?
Chapitre 3 L’argent organisé Cotisations, dons et produits d’activités
Il n’y a pas de raccourcis
Faire de l’autonomie financière des luttes un combat collectif
En réalité, la plupart des questionnements que nous avons posés plus haut ne font que chercher des solutions pour contourner un problème assez simple : les groupes militants ne s’autofinancent pas (ou peu). En effet, dès l’instant où un groupe est en capacité de lever ses propres fonds, au sein de sa propre communauté, de nombreuses difficultés s’effacent :
- Le groupe renforce son indépendance politique
- Le groupe n’a pas besoin de justifier ses actions en répondant à des appels à projet
- Le groupe peut choisir de financer des actions que personne d’autre ne voudrait financer
- Le groupe peut définir sa propre culture financière (qui rémunérer ? comment ? sur quelle durée ? dans quel contexte ?)
- Le groupe peut s’appuyer sur une source de revenus régulière et continue, ce qui limite sa précarité
Face à de tels avantages, on peut presque s’étonner que l’autofinancement ne soit pas plus répandu (en termes de diffusion comme en termes d’échelle). Mais c’est sans compter le tabou de l’argent [cf. chapitre 1], le radicalisme rigide et le caractère ardu et chronophage des activités de levée de fonds.
Et si l’idéal c’était de garder les avantages de l’auto-financement (indépendance politique, stabilité financière, financement structurel hors projets) sans avoir à lever l’argent soi-même ? Vous pensez que c’est impossible ? Il suffit de regarder chez nos voisin·es pour s’étonner du contraire.
Dès les années 70, le gouvernement belge met en place un système de financement des associations d’éducation populaire (qu’ils appellent “éducation permanente”). Au programme, des actions socio-culturelles (comme dans l’hexagone), mais aussi un vrai plan d’éducation politique et d’encouragement à la pensée critique. Réaffirmé dans un décret de 2003, puis dans de nouveaux textes successifs, le principe du financement structurel de l’éducation permanente tient bon (malgré les progrès de l’agenda néolibéral) et permet de créer une source de revenus pour des militant·es de terrain.
“Dans la limite des crédits budgétaires disponibles, le Gouvernement alloue à toute association reconnue :
1° un subside forfaitaire annuel d’activités, lié à la présentation, par l’association, d’un projet pluriannuel d’une durée de cinq ans correspondant à l’axe d’action ou aux axes d’action couvert(s) par l’association ou d’un projet pluriannuel de cinq ans s’il s’agit de la fédération représentative visée à l’article 5/1;
2° un subside forfaitaire annuel de fonctionnement;
3° si l’association a un champ d’action qui couvre au moins une province, ou sur un territoire qui compte un nombre d’habitants équivalent au nombre fixé par le Gouvernement après avis du Conseil, un subside forfaitaire annuel à l’emploi.”
Décret relatif au développement de l’action d’Education permanente dans le champ de la vie associative, 17/07/2003.
On s’aperçoit bien sûr, à la lecture des textes, et lors d’échanges avec des acteur·ices de l’éducation permanente belge, que ces financements ne sont pas une panacée. Pour recevoir de tels subsides, il faut répondre à certains critères, mettre en œuvre des actions étant reconnues comme étant de l’éducation permanente, valoriser ces actions d’après des axes de communication/formation bien définis, déposer un dossier et être ajouté·e à la liste des organismes financés. L’argent gratuit n’existe pas !
En France, une piste différente avait été proposée dans le rapport Bacqué/Mechmache de 2013, avec un objectif politique plus radical encore : la création d’un véritable fonds d’interpellation à destination des citoyen·nes :
“Ce fonds pourra financer toute initiative citoyenne contribuant au débat public sur des enjeux d’intérêt commun (et non sur la base de l’intérêt d’un groupe), posés à l’échelle locale comme nationale. Il ne contribuera pas au financement de projets de services ou d’actions et d’animations sociales. L’objectif est de soutenir la prise de parole citoyenne pour sa contribution au débat démocratique, de permettre que se structure la parole de ceux qui ne l’ont pas, et d’ouvrir ainsi sur une construction conflictuelle de l’intérêt général. Ce financement représentera 1% prélevés sur le financement public des partis politiques et 10% sur les réserves parlementaires.”
Pour une réforme radicale de la politique de la ville, Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache, Juillet 2013.
Cette proposition avait donné lieu à une mobilisation, qui n’avait malheureusement pas obtenu gain de cause. Et cet état de fait, une nouvelle fois, nous renvoie aux limites intrinsèques du financement des luttes par des institutions ayant des intérêts opposés. Face à ces limites, et dans l’espoir que des propositions comme celles du rapport Bacqué/Mechmache voient le jour, nous nous retrouvons de nouveau face à la nécessité de regarder la vérité en face : l’autofinancement est la meilleure ressource possible pour un groupe militant.
Organiser les gens, organiser l’argent
Après avoir exploré de nombreuses pistes, et rencontré de nombreux obstacles, force est de constater qu’il n’y a pas de raccourci. Pour soutenir financièrement une lutte, de façon indépendante et sereine, il n’y a rien de mieux que l’auto-financement. C’est pourquoi, dans la pratique de l’organisation collective, la structuration des ressources financières de la communauté est un enjeu à part entière, auquel on choisit de dédier du temps et de l’énergie.
Dans les groupes les mieux structurés, la participation financière des membres (cotisations, kermesses, ventes de calendriers…) est d’ailleurs une sorte de tradition. Comme un rituel, dont chacun·e connaît et comprend le sens politique, et qui contribue à la pérennité des mobilisations. Dans certains groupes on dit même que, pour gagner, il faut « des gens organisés » et de « l’argent organisé ». Mais comprendre la nécessité politique de ce geste ne suffit pas à le rendre plus facile, surtout quand les personnes qui s’organisent n’ont elles-mêmes que très peu de ressources. D’un point de vue éthique, est-il légitime de demander de l’argent à celleux qui n’en ont pas ? Et d’un point de vue pragmatique, comment espérer que cela puisse être une source de financement stable sur la durée ?
“Une des premières décisions que j’ai prises est que le syndicat n’allait pas être financé par de l’argent venant de l’extérieur, ou tout du moins pas pour commencer. J’ai même refusé une bourse venant d’un groupe privé – $50000 devant servir directement à l’organisation des travailleurs agricoles – pour cette raison. Même quand l’argent est offert sans conditions, vous êtes tout de même corrompu parce que ça vous oblige à produire des résultats immédiats. C’est terrible, parce que construire un mouvement prend beaucoup de temps, et votre organisation souffre si vous dépassez de trop loin les individus auxquels elle appartient. Nous avons fixé les cotisations à $42 par an et par famille, une somme importante. Et des 212 familles que nous avions réussi à faire payer au départ, il n’en restait plus que douze en Juin 1963. Ce constat nous a découragés, mais pas suffisamment pour abandonner.”
César Chavez, Le récit de l’organisateur (tiré de l’ouvrage « Huelga ! Tales of the Delano Revolution »).
Nous vous recommandons d’ailleurs chaudement le biopic sur l’activiste étatsunien Cesar Chavez, à retrouver dans notre médiathèque des organisateur·ices !
Il n’y a pas de réponse simple ni évidente à ces questions, mais on peut toutefois poser d’emblée un marqueur éthique fort : la distinction entre allié·es et premier·es concerné·es. Car si l’appel à cotisations vient des premier·es concerné·es, alors il s’agit d’un acte de solidarité financière entre pairs pour défendre une même cause. Mais si l’appel est à l’initiative des allié·es, il peut devenir une injonction à la participation financière, venant de quelqu’un qui ne partage ni nos conditions matérielles, ni nos enjeux de lutte.
Dans le respect de cette distinction, il est important de reconnaître que, pour un collectif de premier·es concerné·es, la collecte de cotisations peut être un moment structurant de l’engagement collectif. Que ce soit pour mener des actions, organiser une caisse anti-répression ou rémunérer un·e membre du groupe pour son travail de coordination, organiser l’argent c’est déjà commencer à organiser le groupe :
- Payer une cotisation, c’est être convaincu·e que le groupe a de la valeur
- Payer une cotisation, c’est être aligné·e avec les objectifs politiques du groupe
- Payer une cotisation, c’est mettre en commun les ressources de la communauté
- Payer une cotisation, c’est participer à une forme de discipline collective
On peut aussi imaginer qu’un système de cotisations puisse être mis en place au sein d’un collectif d’allié·es, qui mette ensuite l’argent collecté à disposition des premier·es concerné·es. Certes, il ne s’agit alors pas d’auto-financement à proprement parler (et la main qui donne reste au-dessus de la main qui reçoit), mais cela peut constituer une source originale de financements.
S’accorder sur les besoins et les dépenses
La levée de fonds ne doit pas devenir un but en soi. Et si le collectif peut se passer d’argent, c’est tant mieux ! C’est pourquoi le premier pas vers l’organisation des ressources financières d’une lutte est de poser, en toute transparence, la question des besoins (et donc des dépenses à venir). Cette nécessaire étape de délibération peut être un temps fort du collectif, qui pose des questions de fond sur sa structuration et ses valeurs :
- Avons-nous vraiment besoin d’argent ? Dans quelle mesure pouvons-nous faire preuve de sobriété avant d’engager des fonds dans notre combat ?
- Souhaitons-nous engager des ressources dans l’organisation d’événements, la communication, la mise en œuvre d’actions collectives ?
- Qu’est-ce qui peut être offert en nature par notre communauté, et qu’est-ce qui nécessite vraiment d’engager des fonds ?
- Souhaitons-nous rémunérer quelqu’un ?
- Quel cadre de travail souhaitons-nous offrir à notre employé·e ? Sommes-nous prêt·es à respecter et dépasser le cadre strict du code du travail et offrir des avantages supplémentaires ou un salaire supérieur au minimum prévu par la loi ?
Chiffrer et construire collectivement un budget peut être ainsi un exercice de pédagogie financière et juridique, qui mette tout le groupe à la page, afin de prendre des décisions libres et éclairées.
Ces questions de rémunération ne sont pas anodines car la précarité financière est à la fois la cause de nombreux burn-outs militants, mais aussi une forme de discrimination à l’encontre des personnes n’ayant pas le privilège de pouvoir être bénévoles. Faut-il pour autant stopper toute tentative de rémunération si l’on n’arrive pas à échapper à cette précarité ? L’idéal, une fois encore, est d’être en mesure de lever ses propres fonds, en quantité suffisante pour assurer stabilité et sécurité matérielle à ses recrues.
Une question d’imagination
Retour aux sources
En Mars 2018, le sociologue Jean-Marc Salmon initie l’organisation d’une caisse de grève pour soutenir l’intersyndicale cheminote (CGT, UNSA, SudRail, CFDT). En 6 mois, elle va collecter près d’1,3 million d’euros, grâce à plus de 31 000 donateurs sur une page Leetchi créée pour l’occasion. C’est une surprise historique, qui contribue à renouveler dans l’imaginaire collectif un espace où le don n’est pas un geste caritatif, mais plutôt un signe de solidarité. L’appel au don assume ainsi sa place légitime dans l’arsenal militant, avec de multiples déclinaisons, telles que la caisse de solidarité d’Info’Com CGT.
Retrouvez ici le mémoire de Gabriel Rosenman, « Le nerf de la grève ? Stratégie de lutte et usage militant de l’argent dans les expériences récentes de caisses de grève en Région Parisienne », réalisé en 2018-2019 à l’EHESS.
Préparation de la collecte par les postiers du 92, Novembre 2018.
L’appel au soutien financier des camarades a d’ailleurs longtemps été, à la CGT par exemple, un outil d’organisation. Circulant d’usine en usine, les “collecteur·ses” de cotisations apportaient aux travailleur·ses des timbres syndicaux (qui ouvrent droit à un crédit d’impôts). Et leurs visites régulières étaient l’occasion d’échanger, de prendre des nouvelles, de parler de droit du travail, d’anticiper des conflits à venir… À tel point que certaines “collecteur·ses” faisaient, de fait, un travail d’éducation populaire et d’organisation collective.
Sous cette forme, la levée de fonds n’est pas aussi chronophage qu’un dossier de financement pour l’Union européenne. Certes, elle prend du temps, mais elle permet surtout d’engager toute la communauté. C’est donc l’occasion de faire d’une pierre deux coups : organiser l’argent…et organiser les gens !
Avec ce retour aux sources, on s’aperçoit aussi que les procès d’intentions, qui critiquent les levées de fonds “d’américanisation de la société”, oublient qu’il existe une véritable tradition de l’auto-financement à la française ! Et que dans de nombreuses associations, cette tradition est bien vivante, et qu’elle ne fait culpabiliser personne. Alors pourquoi ne pas s’en inspirer ?
Pistes concrètes pour expérimenter l’auto-financement
Il existe dans le monde associatif et syndical mille sources d’inspirations possibles pour les levées de fonds, que tout le monde connaît, mais que l’on n’ose pas toujours invoquer dans un espace militant.
Dans son ouvrage “Comment s’organiser ?”, Starhawk en recense quelques unes :
- Le porte-à-porte
- Les projections de films
- Les repas partagés
- Les lotos
- Les ventes aux enchères
- Les conférences
- Les livres de recettes
- Les bals
- Les visites guidées
- Les carnavals
- Les concerts
- Les marathons
- Les téléthons
- Les festivals
- Les calendriers…
Chacun·e peut alors compléter la liste selon ses propres goûts et la culture relationnelle de son organisation. Et même si les thèmes de la musique et de la nourriture sont des incontournables, notre imagination est notre seule limite ! Par exemple, pourquoi ne pas revisiter :
- Les tournois de foot
- Les brocantes
- Les kermesses d’école
- Les cartes (postales, à jouer, à collectionner…)
- Les peluches tricotées main
- Les sessions de speed-dating
- Les achats groupés de chocolats
- Les jeux de mise (par exemple sur le poids d’un jambon !)…
Et encore, nous n’avons pas mentionné toutes les possibilités qu’offrent Internet et les outils numériques ! Lors de la grève des cheminot·es de 2018 (encore elle !), certaines personnalités du web se sont inspirées de l’événement caritatif “Z Event” pour organiser un “stream reconductible” sur la plateforme Twitch. En une matinée, elles avaient déjà récolté près de 10000 euros. Comment ont-elles fait ? En s’appuyant sur les usages de crowdfunding désormais courants sur Internet. Les créateur·ices de contenus (notamment sur Youtube) font très régulièrement des appels à contribution auprès de leurs communautés. Des plateformes comme Tipeee ou Patreon, qui servent alors d’intermédiaires, permettent de mettre en place des dons mensuels de petites sommes qui, pris bout à bout, peuvent constituer des bases financières solides pour des créateur·ices souhaitant rester indépendant·es.
Toutefois, il est important de reconnaître que des succès comme celui de la cagnotte Leetchi des cheminots ou du “stream reconductible” reposent en grande partie sur des réseaux déjà solides et disposant d’une grande visibilité (tant sur la cause défendue que sur l’objet de la collecte). Et lorsqu’un petit collectif se lance dans cette voie, il est important de reconnaître que ses actions d’auto-financement pourront rapporter un flux continu d’argent, mais (au début en tous cas) rarement en grande quantité. Dans ce contexte, cela vaut-il encore la peine de se démener pour trouver des ressources financières ?
[Crédit : Radio Parleur]
Un enjeu stratégique à part entière
Pour un groupe militant ayant de réels besoins financiers, sa stratégie de levée de fonds est aussi importante que sa stratégie de mobilisation ou de plaidoyer. Elle mérite qu’on y consacre du temps, de la réflexion collective, et un vrai effort de planification. Car si l’on souhaite disposer de ressources stables sans tomber dans les pièges que nous avons énoncés plus haut, il est important de se construire une feuille de route, par étape, qui tende vers une forme d’auto-financement.
Puis l’imagination peut prendre le relais. À la fois pour penser des temps forts, des campagnes de levée de fonds, mais aussi des gestes du quotidien qui, sans effort, peuvent apporter de nouvelles ressources. On part en manif ? On fait tourner une boîte à dons et on vend des gaufres. C’est l’assemblée générale de l’association ? On renouvelle les cotisations et on organise un loto pendant la pause de midi. On publie des photos de notre dernière action en ligne ? On en profite pour ajouter un lien vers notre profil sur HelloAsso. En rappelant ainsi, de façon récurrente, que l’on a besoin d’argent, on rend visible les besoins financiers de notre cause, ainsi que la responsabilité collective d’y subvenir.
Et si l’auto-financement ne suffit pas (notamment pour recruter), on peut toujours envisager (à court et moyen-terme) de mettre en place d’autres stratégies. En voici quelques exemples que nous avons pu observer ou mettre en pratique :
- Faire appel à des financeur·ses qui ont pour philosophie de soutenir l’activité structurelle et non pas des projets précis.
- Demander à de grandes associations ou réseaux militants de soutenir financièrement un projet local qui peut impacter leurs actions sur le terrain.
- Envisager de mener une activité marchande non-lucrative (c’est-à-dire sans captation de profit), comme la formation, pour financer des actions collectives.
- Mutualiser ses ressources avec d’autres structures (par exemple pour créer des postes partagés).
Certes, aucune de ces stratégies n’est parfaite, mais le fait de les expérimenter/combiner/réinventer peut nous mettre sur le chemin d’une forme d’équilibre et de réelle liberté d’action politique.
À Organisez-vous !, nous sommes quotidiennement confronté·es à ces questions. Car nous avons très tôt fait le choix de ne pas recourir à des financements publics ni de mener des actions de formation pour des institutions ou des partis politiques. (Pour comprendre ce choix, vous pouvez consulter notre code de déontologie).
Dès lors, nous sommes dans un constant processus d’expérimentation et d’invention pour tenter de financer nos activités sur la durée. Nous avons souvent de belles surprises, parfois de cruelles désillusions, mais nous ne perdons pas notre objectif de vue : la totale indépendance financière !
Par souci de transparence, mais aussi pour proposer un exemple concret qui vienne conclure ce dossier, nous vous proposons de partager avec vous un tableau des finances de notre association, ainsi que nos questionnements sur leur stabilité.
Trouver l’équilibre : le modèle financier d’Organisez-vous !
Cadre comptable et historique de nos finances
La comptabilité d’Organisez-vous ! est tenue par un cabinet comptable spécialisé dans le soutien aux associations et qui certifie annuellement nos comptes. Notre année comptable commence le 1er Septembre et se termine le 31 Août.
La première année comptable de l’association a eu lieu du 1er Septembre 2020 au 31 Août 2021. La seconde a eu lieu du 1er Septembre 2021 au 31 Août 2022 (les comptes ont été certifiés en novembre). Et nous sommes actuellement dans notre troisième année comptable.
L’association n’existait-elle pas avant septembre 2020 ? Si ! Mais elle n’avait aucun budget ni équipe salariée. Ce n’est qu’avec le soutien financier d’une fondation (dont nous reparlerons plus loin) à partir de Septembre 2020 que nous avons pu commencer à créer des postes salariés au sein de l’association.
État des besoins et des dépenses
Nous allons prendre pour exemple notre dernière année comptable écoulée (2021-2022).
Notre équipe est répartie sur tout le territoire français, ce qui signifie que nous avons beaucoup recours au télétravail, et que nous nous déplaçons aussi régulièrement pour nos activités de formation et d’accompagnement.
Nos principaux besoins sont donc :
- De quoi payer les salaires de l’équipe
- De quoi payer nos déplacements
- De quoi payer nos outils numériques et le fonctionnement quotidien de l’association
Ainsi, pour un montant total des charges de 149 232,67 euros sur l’année comptable 2021-2022, nos dépenses ont été réparties de la façon suivante :
1. L’équipe
- Salaires et contrat freelance (pour le site internet) : 89 945 euros
- Cotisations sociales : 27 724 euros
Soit 117 669 euros en tout (environ 79% de nos charges)
2. Les déplacements
- Frais de déplacements (en train dans la plupart des cas, avec la carte “Liberté SNCF” financée par l’association) : 3825,35 euros
- Frais d’hébergement (à l’hôtel, avec des tarifs d’environ 120 euros/nuit sur Paris, et 60 euros/nuit en province) : 3993,84 euros
Soit 7819,19 euros au total (environ 5% de nos charges), pour environ 3 à 4 déplacements par mois.
3. Les outils numériques et le fonctionnement quotidien de l’association :
- Outils numériques (Zoom, Airtable, hébergement site internet, hébergement podcast, etc.) : 2 872.55 euros
- Dotations aux amortissements (ordinateurs portables et téléphones professionnels mis à disposition de l’équipe l’année précédente) : 1820.95
- Fournitures administratives : 99,03 euros
- Cotisations, frais administratifs et frais de formation continue (assurance, inscriptions à des formations, frais bancaires, etc.) : 3671,83 euros
- Frais cabinet comptable : 3 196 euros
- Repas, goûters et boissons : 318,86 euros
- Frais postaux et forfaits téléphoniques professionnels : 442,93 euros
- Achat de livres : 572,62 euros
Soit 12994,77 euros en tout (environ 9% de nos charges)
À cela s’ajoutent des reports en fonds dédiés aux charges de l’année précédente à hauteur de plus de 8 000 euros (l’URSSAF n’avait exceptionnellement pas collecté l’ensemble de nos cotisations sociales pendant le COVID), ainsi que des charges diverses de gestion courante.
Cette répartition des charges reflète très bien les choix budgétaires de l’association :
- Offrir une rémunération stable et sérieuse aux organisateur·ices et à leurs collaborateur·ices
- Créer des conditions de travail confortables
- Mettre à disposition de l’équipe tous les outils et les formations dont elle a besoin
Suite à cet exercice comptable, il y a eu beaucoup de mouvements dans l’équipe, avec notamment un départ, trois recrutements et l’accueil d’une personne en stage long (6 mois). Cela aura donc des conséquences sur le montant de nos charges annuelles, qui devront être compensées par de nouvelles ressources financières.
Cela fait beaucoup d’argent ! Où donc sommes-nous allé·es le chercher ?
État des ressources
Nos finances sont approvisionnées par 3 sources différentes :
- Une fondation familiale qui s’est engagée sur un financement pour lancer l’association (le financement Guerilla Foundation a débuté l’année suivante)
- Les rémunérations de formations et d’accompagnements
- Les dons
Au total, nous avons pu réunir 158 806.38 euros sur l’année comptable 2021-2022.
Nous n’avons malheureusement pas le droit de communiquer les montants exacts qui ont été versés par la fondation nous soutenant. Mais nous pouvons tout de même esquisser des ordres de grandeur.
Ainsi, pour cette seconde année comptable :
- entre 75 et 90% du budget de l’association provenait d’un soutien de la fondation.
- entre 10 et 25% du budget de l’association provenait de ses activités de formation et d’accompagnement.
- entre 0,1 et 1% du budget de l’association provenait de dons.
Ici le constat est clair. L’association doit son activité en très grande partie au soutien d’une fondation. Ce soutien a pris la forme d’une subvention structurelle, visant à impulser le travail de l’association dans ses débuts, le temps que se construise son indépendance financière.
Dans les faits, nous avons simplement présenté, par écrit, la projection de nos différentes activités et projets (l’université populaire des luttes, la veillée militante, le projet de coalition dans le 19ème arrondissement de Paris…), que la “Program Manager” a ensuite défendu auprès de son équipe. Puis, chaque mois, nous avons pris rendez-vous avec elle pour parler des avancées de nos projets. Nous n’avons jamais reçu aucune pression pour les infléchir ni les minimiser. Au contraire, nous avons bénéficié de conseils, de mises en contacts avec d’autres associations et aussi avec d’autres fondations.
Fonds de trésorerie
Nous avons conscience que le soutien d’une fondation est un privilège immense, que très peu de “program managers” travaillent de cette façon, et que sans ce soutien et cette liberté, les débuts de l’association auraient été bien plus lents et difficiles.
Par ailleurs, tout financement a une fin. Et si nous ne préparons pas dès maintenant l’avenir financier de l’association, nous risquons tout simplement de disparaître. Alors, quelle est notre stratégie ?
Notre stratégie à moyen/long-terme
1. Garder le cap et ne pas transiger avec nos valeurs
Pour de nombreux financeur·euses, “Organisez-vous !” ne rentre dans aucune case. En effet, nous ne sommes ni une association caritative, ni une association “de terrain”. Nos activités principales sont la recherche, la formation et le soutien à des luttes dont nous ne sommes pas les leader·euses. En réalité, le résultat concret de nos actions est la transformation imperceptible d’un paradigme stratégique militant. Nous n’avons donc pas d’actions spectaculaires à mettre en valeur, pas d’actions d’urgence à mettre en œuvre, et nous ne cherchons pas à attirer l’œil des médias sur nos actions.
Il faut donc se rendre à l’évidence : qui, dans 2 à 3 ans, voudra financer l’éducation populaire à l’organisation collective ? Faudra-t-il que l’on renonce ou que l’on accepte de répondre à des appels à projet ? Nous préférons plutôt continuer à tracer un sillon original, indépendant, parfois très critiqué (dans notre propre camp politique !), et à assumer l’atemporalité de notre travail sans avoir à en justifier constamment la valeur.
Pour avoir le luxe de cette liberté, nous essayons donc d’appliquer à nous-mêmes nos propres conseils, en mettant en œuvre une série de tactiques financières complémentaires, tout en cheminant vers notre idéal d’auto-financement.
Formation « Renouer avec le Pouvoir » à Mérignac
2. Devenir organisme de formation professionnelle :
L’une des missions de l’association est de proposer des formations, accessibles à tou·tes, qui visent à faire découvrir l’organisation collective et à en encourager la pratique dans le monde militant. Comment alors envisager que nos formations puissent renforcer notre indépendance financière, sans remettre en cause notre exigence d’accessibilité ?
La piste que nous avons choisi d’emprunter est celle de la certification Qualiopi, qui nous a permis de devenir organisme de formation professionnelle. Grâce à cette certification, nous avons pu ajouter une tranche tarifaire à nos formations, dédiée aux professionnel·les qui ont accès aux financements des “Opérateurs de compétences (OPCO)” (comme Uniformation). Pour elleux, la formation est entièrement financée, et pour nous, cela permet d’augmenter très significativement notre chiffre d’affaires.
Par exemple, pour la première édition de l’”Alchimie de l’engagement” (sur 4 jours) en Juin 2022, nous avons pu accueillir 8 militant·es financé·es par Uniformation, ce qui nous a permis de proposer des tarifs trois fois plus bas à 6 autres militant·es, et la gratuité pour 6 autres.
Première session de l’Alchimie de l’engagement, à la Bourse du Travail de Malakoff
À titre de comparaison, notre chiffre d’affaires pour les formations en 2021 était de moins de 10 000 euros. Ce qui signifie que grâce à la certification, nous avons réalisé en 4 jours un meilleur chiffre d’affaires que l’année précédente, et cela sans pénaliser les participant·es.
À partir de Janvier 2023, nous avons également proposé, en parallèle de la tarification OPCO, un système de tarification libre et consciente. À terme, notre objectif est de mener entre 5 et 7 formations par an (en coordination avec nos activités de terrain), et de générer suffisamment de revenus pour financer un poste entier au sein de l’association.
3. Demander des financements à d’autres fondations
En Septembre 2022, la Guerilla Foundation est devenue mécène de “la veillée militante”, en contribuant à rémunérer un poste d’organisateur·ice en milieu rural.
Depuis, nous avons commencé à contacter d’autres fondations pour envisager d’autres formes de soutien. Notre objectif à terme est de bénéficier de financements plus petits, en plus grand nombre, apportés par des fondations proches de nos valeurs.
4. Nouer des partenariats avec des associations et des syndicats :
Au printemps 2023, la Fédération Nationale des Centres Sociaux devient partenaire de la veillée militante (pour contribuer à sa diffusion en France). Ce partenariat s’accompagne d’une contribution financière de plusieurs milliers d’euros sur 3 ans, grâce à des mécanismes de financements propres au réseau des centres sociaux.
Idéalement, nous souhaiterions continuer à construire de tels partenariats avec d’autres associations (et aussi avec des syndicats !) qui partagent notre vision et souhaitent contribuer à notre travail de recherche et de diffusion de l’organisation collective en France.
Projet de coalition citoyenne avec un centre social de Paris
5. Lancer des appels aux dons au sein de notre propre communauté :
Dans les faits, les dons à l’association ont déjà bien augmenté depuis deux ans (en passant de quelques dizaines d’euros à plus de mille euros). Mais leur montant total reste très petit en comparaison avec nos besoins financiers.
Si vous êtes attaché·e à notre travail, et que vous souhaitez nous soutenir sur la durée, c’est donc à vous de jouer ! Vous pouvez même proposer de devenir ambassadeur·ice de l’association, et de contribuer à son rayonnement !
Soutenez le temps long de l'université populaire des luttes !
Notre association profite de la publication de ce dossier pour lancer sa première campagne de dons !
Vous vous reconnaissez dans nos valeurs ? Vous voulez soutenir l’éducation populaire politique ? Alors venez découvrir ici comment vous pouvez nous soutenir.
6. Contribuer aux débats sur la philanthropie et lutter pour créer de nouvelles sources de financements pour les militant·es
À Organisez-vous !, nous pensons que les associations de gauche doivent s’emparer de cette question de façon urgente, et collectivement, pour construire leur avenir financier. La précarité du salariat associatif, la tyrannie des appels à projets, la raréfaction des fonds ne sont pas des états de fait. Ce sont les résultats de notre propre tabou de l’argent et de choix conscients de nos adversaires politiques pour casser la société civile et son esprit de résistance.
À l’échelle européenne, nous essayons par exemple de contribuer au dialogue entre fondations et militant·es, grâce à l’impressionnant travail du réseau ECON dans nous faisons partie. Nous essayons également d’encourager les fondations à abandonner les financements par projet, et à soutenir des expérimentations d’organisation collective.
Si ces enjeux vous intéressent, et que vous souhaitez échanger dessus avec nous, n’hésitez pas à nous contacter ! Peut-être qu’à terme, nous serons suffisamment nombreux·ses pour construire une stratégie collective et augmenter les ressources disponibles pour les militant·es de France !
L'Université Populaire des Luttes
Traduire, rechercher, mettre en page et faire vivre notre communauté de bénévoles permet de garder en mémoire les récits de luttes, sources inépuisables d’espoirs et d’inspirations tactiques et stratégiques.
Dans un système politique prédateur dont l’un des objectifs est de nous priver de nos repères militants historiques, les moyens de financer ce travail de mémoire sont rares.
Pour nous aider à garder cette université populaire des luttes accessible gratuitement et contribuer à renforcer nos luttes et nos solidarités, faites un don !
Reconnaître, soutenir et mettre en réseau les organisateurs·ices
Nous défendons l’idée qu’il faut, dans les associations, les syndicats et les collectifs, former et reconnaître les militant·es en charge des questions de structuration et de construction du pouvoir collectif sur le long terme.