Synthèse du texte
Rejet immédiat de certains profils militants, présomption d’impureté et mise à l’épreuve, préjugés et arrogance, individualisme dogmatique… voici une liste non exhaustive des symptômes du radicalisme rigide. Le radicalisme rigide est la posture revendiquée comme “radicale” dans laquelle certain·es militant·es se retranchent pour justifier leur hostilité vis-à vis d’opinions divergentes. Souvent pratiqué par des militant·es qui se revendiquent d’une certaine ancienneté ou expertise, il peut être difficile à cerner et donc à contrecarrer. D’autant plus que ces comportements individuels s’inscrivent dans une culture de sectarisme militant. En choisissant quel profil militant est conforme et lequel doit être disqualifié, le radicalisme rigide impose une dette d’engagement à régler constamment, au risque d’être critiqué.es ou exclu.es. Cette forme de sectarisme trouve ses racines dans tous les systèmes dogmatiques qui ont influencé notre sens de l’évaluation et du jugement (école, morale chrétienne qui distingue pêcheur·esses et saint·es etc.). Elle nous pousse à percevoir le monde comme irrémédiablement imparfait, à s’acharner sur les échecs au lieu de célébrer les victoires et à préférer un monde idéal à la réalité. Carla Bergman et Nick Montgomery, deux anarchistes canadiens, parlent d’un moyen de combattre ce nihilisme : la joie militante. Auteur·es de Joyful Militancy, iels parlent de la joie comme conçue par Spinoza. Selon lui, la joie est la prise de conscience d’un accroissement de notre puissance, c’est-à-dire de notre capacité à nous affirmer dans le monde. Être en joie est une marque de notre épanouissement mais aussi de notre connexion aux autres. Chercher et assumer de militer joyeusement, c’est donc un fort acte politique collectif.
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Avez-vous déjà renoncé à prendre la parole dans un débat entre activistes, de peur d’être étiqueté de « Bisounours » ? Avez-vous déjà démissionné d’un collectif parce qu’une poignée d’individus y critiquaient toute idée qui n’était pas assez « radicale » ? Avez-vous déjà hésité à publier quelque chose sur les réseaux sociaux, de peur que d’autres militants ne se moquent de vous ou vous attaquent ? Vous a-t-on déjà fait la leçon, pour vous expliquer que vous n’avez pas tout compris au militantisme, que vos actions ne sont pas utiles, que vos idées sont faibles ou que votre engagement est trop mou ?
Si vous répondez « oui » à l’une ou plusieurs de ces questions, alors vous avez malheureusement fait l’expérience du « radicalisme rigide ».
Cette expression désigne l’attitude de certains militants qui adoptent une posture dogmatique (souvent défendue comme « radicale »), s’y retranchent, et se comportent de façon méprisante ou hostile vis-à-vis de celles et ceux qui ne sont pas entièrement de leur avis.
Au quotidien, le radicalisme rigide est difficile à cerner parce qu’il se fait le plus souvent discret et diffus. Prenons un exemple : il existe parfois comme une hiérarchie informelle au sein des associations ou collectifs militants. Certains, plus expérimentés, s’autoproclament les « anciens » (les radicaux, les vrais, ceux qui ont la bonne approche et la bonne tactique) et ils renforcent leur position d’autorité en rabaissant les « nouveaux » (dont on moque les prétendues absences de motivation, inexpérience, naïveté ou inefficacité).
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Le radicalisme rigide peut donc diviser les militants, promouvoir une culture toxique et même limiter le recrutement des nouvelles générations. Autant d’obstacles à l’organisation collective qui méritent qu’on s’attarde dans le détail sur ce phénomène pour mieux le comprendre et le dépasser.
Qui suis-je pour juger ?
Tenter de lutter contre le radicalisme rigide ne signifie pas mener une chasse au sorcières. Il s’agit d’un phénomène culturel qui imprègne en profondeur nos symboles, nos récits, notre langage, nos structures et nos attitudes. Il est donc impossible de le faire disparaître du jour au lendemain, tout comme il est hypocrite de le voir chez les autres sans avoir préalablement examiné sa propre attitude.
Il me semble donc important de situer mon propos, afin de clarifier d’emblée ma posture et d’assumer le caractère entièrement subjectif de cet article. Commençons donc par quelques mots sur mon parcours militant, ainsi que sur mes diverses rencontres avec le radicalisme rigide.
Je n’ai jamais eu d’éducation militante à proprement parler. Vivant en province rurale, sans aucun contact avec les leviers traditionnels de l’engagement militant (activisme, syndicat étudiant, section jeunesse d’un parti), ma culture politique s’est donc construite très lentement, par simple vécu. Tout d’abord proche de la gauche réformiste, avec laquelle je me sentais en accord (du fait de mon ADN politique familial), j’ai peu à peu développé un appétit pour la politique institutionnelle, jusqu’à faire des études qui me destinaient à une longue carrière dans le monde feutré des cabinets politiques ou de la haute administration. Seulement voilà, après avoir observé de près le mensonge, la corruption et les abus de pouvoir, j’ai finalement choisi de changer de trajectoire, en me tournant progressivement vers le monde militant.
Avant ce revirement, j’avais eu quelques petites expériences d’engagement (par exemple en étant berger volontaire pour promouvoir la réintroduction du loup dans les Alpes, ou en rejoignant ma section locale du parti socialiste). Mais j’avais trouvé ces expériences assez dures, notamment parce que l’accueil des nouveaux était déplorable, mais aussi parce que je m’étais senti d’emblée embarqué dans des questions techniques ou des conflits de personnes, sans vraiment percevoir en quoi mon engagement aurait un impact concret.
Quelques années plus tard, après avoir tourné le dos à la politique institutionnelle, j’ai eu enfin suffisamment de temps pour rejoindre une association sur la durée. Malheureusement, je n’avais pas mesuré la quantité ni la nature des barrières à l’entrée que certaines associations militantes avaient dressées. Par exemple, la section locale d’une association écologiste voulait m’imposer un entretien d’embauche (pour un poste bénévole !). Dans la même veine, une association d’aide aux exilés me demandait d’effectuer une période d’essai de deux mois, pendant laquelle j’étais censé juste m’asseoir et observer les autres travailler.
Ces associations supposaient que j’étais là « en touriste ». Et pour tester la nature sérieuse de mon engagement, elles souhaitaient me mettre à l’épreuve et décider si j’étais digne de les rejoindre. Mais de quel droit pouvaient-elles ainsi me juger ? Et au nom de quoi pouvaient-elles prétendre mesurer mon engagement à ma place ?
Présomption d’impureté
En devenant community organizer, j’ai de nouveau fait l’expérience du radicalisme rigide, mais cette fois-ci sous une autre forme. En effet, mon métier veut que je rencontre quotidiennement des associations, des syndicats et des collectifs militants. La plupart me traitent avec respect, mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
En effet, je n’ai pas du tout le profil de l’activiste traditionnel, et beaucoup d’éléments de mon CV continuent à jouer en ma défaveur : mon absence d’éducation militante, mon passé professionnel, le fait que je pratique une méthodologie perçue comme américaine, ou encore le fait que je ne porte pas ostensiblement (ni dans mon discours ni dans mon apparence) les marques de mon engagement.
Tout cela produit, chez certains, un rejet immédiat : ils ne cherchent même pas à ouvrir le dialogue ni à savoir si nous avons un terrain commun à partir duquel nous pourrions militer ensemble.
D’autres, moins catégoriques, font parfois preuve à mon égard de ce que je pourrais appeler une sorte de « présomption d’impureté ». En effet, comme à leurs yeux je ne suis pas un vrai militant, ils me font comprendre que je dois prouver ma valeur, ainsi que l’authenticité de mon engagement, jusqu’à ce qu’ils se soient fait une opinion sur moi. Pour eux je suis comme en sursis, risquant l’ostracisme à chaque mot de travers.
Les premières fois où j’ai vécu une telle situation, je me suis senti très mal à l’aise, voire coupable. Qu’avais-je fait pour faire naître un tel mépris ? Qu’est-ce qui, de mon comportement ou de ma posture, déclenchait une telle méfiance ?
Une question de posture
Tout en critiquant le radicalisme rigide des autres, je n’avais pas pris de recul vis-à-vis du mien. Or, les community organizers ont, pas moins que les autres militants, tendance à croire que leurs stratégies sont les meilleures et que ce sont les autres qui sont le plus souvent dans l’erreur. Il m’est ainsi arrivé à de nombreuses reprises d’être inutilement et injustement critique à l’égard de certaines tactiques ou action collectives qui ne me semblaient pas efficaces.
Ce comportement, porteur d’une certaine forme d’élitisme, m’a coûté, par le passé, de belles relations de travail. Car, plutôt que d’être à l’écoute des autres militants, j’adoptais une posture docte et je prétendais professer « la » meilleure façon d’agir. Sans surprise, cette attitude de prescription provoquait – à juste titre – le rejet de mes propositions.
C’est au contact du réseau des centres sociaux, et de leur patient travail sur la notion de « pouvoir d’agir », que j’ai commencé à analyser ma propre posture, notamment grâce à la découverte du sociologue Yann Le Bossé dont on m’avait recommandé les écrits.
Dans ses travaux, Yann Le Bossé analyse de façon bienveillante les différentes postures que l’on peut adopter dans le cadre de notre engagement (du « gourou » jusqu’au « policier », en passant par le « sauveur »). Et il explique qu’à l’origine de ces postures, il y a souvent des préjugés, des opinions que l’on ne questionne pas mais qui fragilisent notre travail. Par exemple, en tant que community organizer, mon préjugé pourrait être d’imaginer que les militants ont nécessairement « des lacunes » et que je peux être leur « professeur ».
Ce travail sur la question des postures militantes m’a été particulièrement utile. Et, même si je ne prétends pas avoir complètement résolu les formes d’arrogance que peut véhiculer le community organizing, j’ai tout du moins pris beaucoup plus de recul et j’essaye au quotidien de questionner mes préjugés et mon attitude d’engagement.
Toutefois, si ces lectures et ce travail personnel ont eu des résultats concrets et positifs, ils m’ont néanmoins laissé un peu sur ma faim. Car, de l’avis de Yann Le Bossé lui-même, ces considérations de posture portent sur le comportement des individus, et non pas les phénomènes collectifs qui peuvent les influencer.
Prendre du recul sur sa propre posture et amender son comportement ne suffisent donc pas à faire reculer le radicalisme institutionnel. Pour aller plus loin, il est donc nécessaire d’appréhender les aspects collectifs et structurels de ce phénomène.
La culture du radicalisme rigide
Il m’a fallu beaucoup de temps pour avancer sur cette question. Du temps, mais aussi la découverte, un peu par hasard, d’un texte publié sur le site de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et intitulé « Défaire le radicalisme rigide » . En voici un extrait :
« Dans certains milieux [militants], la valeur se juge à la volonté de mener des actions directes, des émeutes, de casser ou s’affronter à la police. Dans d’autres, c’est la capacité à élaborer une grille de lecture anti-oppressions, à éviter des remarques ou propos oppressifs, et la dénonciation de celles et ceux qui en font. Dans d’autres encore, c’est la capacité à éviter de travailler et à vivre sans payer de loyer. Dans certains, c’est l’adhésion à une vision de la gauche ou de la révolution, et dans d’autres la conviction que la gauche est morte et la révolution un fantasme. Dans quelques uns, c’est le fait d’avoir participé à de nombreux projets, d’avoir un bon réseau.
Dans chaque cas, on retrouve cette tendance à disqualifier les engagements et les valeurs d’autres milieux et de dénoncer leurs incohérences. Poussée à l’extrême, cette tendance génère une forme de sectarisme qui s’alimente par le simple fait d’avoir un discours sectaire.
Les nouveaux.elles arrivant.es sont immédiatement placé.es dans une position de dette : ils et elles doivent s’impliquer, se sacrifier, et faire preuve d’une analyse correcte en constante réactualisation. Qu’il s’agisse d’une performance dans le langage anti-oppressif, de ferveur révolutionnaire, de détachement nihiliste ou même d’un dress-code implicite, celles et ceux qui ne sont pas familier.es avec les attentes du milieu sont condamné.es dès le départ à moins de se mettre à niveau et en conformité. Plus ou moins ouvertement, ils et elles courent le risque d’être critiqué.es, moqué.es voire exclu.es pour n’avoir pas compris […]. »[Source : Défaire le radicalisme rigide]
Il est impossible de décrire l’immense sentiment de soulagement et d’apaisement que j’ai pu ressentir la première fois où j’ai lu ces lignes. Je n’étais pas seul ! D’autres que moi, dans d’autres milieux, avaient aussi subi ces comportements de la part de militants, et avaient trouvé la force de les décrire pour mieux en comprendre les mécanismes.
C’était d’ailleurs troublant de voir comment, en quelques lignes à peine, ce texte résumait le calvaire du « nouveau » dans un groupe d’activistes. Débarquant dans une structure à la culture et aux codes rigides mais implicites, celle ou celui qui souhaite s’intégrer fait face à un dilemme : soit être placé sous tutelle des anciens (en attendant d’être en conformité avec la culture du groupe), ce qui peut entraîner des abus de pouvoir ou des formes d’humiliation ; soit rejeter le statut de « nouveau » et se trouver condamné à ne pas pouvoir s’intégrer.
Compétition ou démission
Avec cette clé de lecture, beaucoup de phénomènes épars rencontrés dans le monde militant font soudain sens et système. En effet, si un groupe développe une culture rigide, avec une échelle de valeurs pour juger le comportement de chacun, alors il crée une atmosphère étouffante qui n’épargne personne.
Certes, les « nouveaux » font face à l’injonction de rentrer dans le moule, mais la situation est en fait bien pire pour les « anciens » qui doivent constamment prouver qu’ils méritent leur place dans le groupe :
« Puisque le radicalisme rigide implique un sens du devoir et de l’obligation, il y a cette impression permanente de ne jamais en faire assez. Dans ce contexte, le burnout dans les espaces radicaux n’est pas juste le fait de s’épuiser à la tâche, c’est souvent un nom de code pour décrire le fait d’être blessé.e, affaibli.e, usé.e. Ce qui nous épuise ce ne sont pas les longues heures passées à militer, mais le sentiment de honte, l’anxiété, la méfiance, la compétition et le perfectionnisme. »
[Source : Défaire le radicalisme rigide]
« On ne t’a pas vu à la dernière manif, tu seras là à la prochaine ? » « Tu as manqué deux réunions d’affilée, on peut toujours compter sur toi ? » « C’est quoi cet article que t’as partagé sur Facebook, tu es plus avec nous ? » Une culture rigide de la radicalité fonctionne ainsi sur le mode du « tout ou rien » : soit on se sacrifie pour la cause et l’on répond à toutes ses injonctions ; soit on ne peut pas faire partie du groupe, et l’on subit ses foudres.
Mépris et moqueries
Connaissez-vous « Ouvrez les guillemets » ? Il s’agit d’une chronique vidéo hebdomadaire, produite par Médiapart, dans laquelle deux vidéastes – Usul et Cotentin – partagent leur opinion sur l’actualité politique et militante. Le ton se veut humoristique, décalé et engagé. Et la formule fonctionne plutôt bien, puisque les vidéos font – en 2019 – près de 150 000 vues chacune.
En date du 14 Octobre 2019, le duo de vidéastes propose une chronique intitulée « Extinction Rebellion : une désobéissance trop sage ? » . La chronique a pour thème la stratégie non-violente d’Extinction Rebellion, et pour thèse le fait que cette stratégie est au mieux inefficace, au pire dangereuse.
En soit, il n’y a là rien de neuf ni d’étonnant dans le contexte politique et social de l’automne 2019. En effet, pendant le mouvement des Gilets Jaunes, certains militants ont souhaité rouvrir le débat sur l’usage de la violence par les mouvements sociaux. La chronique d’Usul et Cotentin prend donc le parti de questionner la stratégie non-violente d’Extinction Rebellion, ce qu’ils pourraient faire de façon construite, argumentée et bienveillante.
Malheureusement, les vidéastes montrent rapidement qu’ils désirent emprunter une autre voie :
– Usul : A la base, Extinction Rebellion c’est pas un truc de babos.
– Cotentin : Ça a l’air quand même pas mal gangréné par les intermittents du spectacle ! «
Avec mépris, les vidéastes accusent les militants du mouvement d’être des illuminés, plus « Mandala » que « Mandela », et vont jusqu’à se moquer du fait que des membres d’Extinction Rebellion se sont fait gazer – sans réagir – sur le pont de Sully en Juin 2019. « Là, s’amuse Cotentin, on est plus dans l’extinction que dans la rébellion ».
Encore une fois, il est tout à fait possible d’être critique sur la stratégie ou la culture d’un mouvement. Mais tel n’est pas le choix des vidéastes, qui en viennent presque immédiatement à se moquer de l’identité même du mouvement et de ses membres, en allant jusqu’à reprocher l’origine sociologique de certains : « Vous avez des gens qui arrivent du fin fond de la classe moyenne supérieure ».
Experts contre novices
A ce stade, la vidéo change de ton et devient subitement une leçon de militantisme. Usul et Cotentin expliquent que les membres d’Extinction Rebellion sont « nouveaux » sur la place militante française, et qu’ils ont encore beaucoup de choses à apprendre des « anciens » :
– Usul : C’est ça la force de la non-violence. C’est confronter le pouvoir à sa propre violence.
– Cotentin : Parce qu’on a pas assez d’images du pouvoir qui est violent du coup ?
– Usul : Oui bah je sais pas. Je sais pas ce qu’ils [les militants d’Extinction Rebellion] foutaient ces trois dernières années.
Ainsi, après plusieurs minutes de « radical-splaining » – où les vidéastes expliquent à des militants non-violents ce qu’est la non-violence -, ils concluent par une exhortation à rentrer dans le rang :
« Y’a un moment, il va falloir lâcher les échasses, les bolas, et se mettre à taguer comme tout le monde. »
Quand les radicaux deviennent réactionnaires
Que proposent Usul et Cotentin pour tirer les pauvres militants écologistes de l’embarras ? La convergence des luttes. Mais pas une convergence bilatérale, où chacun apporterait ses spécificités pour négocier une stratégie commune. Plutôt une convergence unilatérale, imposée, encadrée par les « vrais radicaux ». Une sorte de processus d’intégration militante, où les nouveaux rejoindraient les anciens en se soumettant de bon gré à leur stratégie.
La vidéo se conclut d’ailleurs par la référence à une lettre ouverte rédigée par les militants de Désobéissance Écolo Paris, qui elle-même reprend la critique de la non-violence et se termine par la même exhortation à rentrer dans le rang au nom de la convergence des luttes :
« Sans compromettre vos actions menées jusque là, sans briser votre vœu de ne jamais devenir violent, nous voyons une convergence de luttes possible. Nous vous proposons qu’elle passe par […] le retrait de la banderole plus que maladroite « uni-e-s contre toutes les violences » ; regagner en bienveillance envers les personnes pouvant se sentir exclu-e-s par les règles d’action très strictes ; être plus flexible envers celles et ceux pouvant consommer de l’alcool sans poser de problèmes à soi ou à autrui ; l’acceptation des militant-e-s souhaitant apporter leur pierre à l’édifice de la rébellion. […] Encore une fois, vous n’avez pas à partager ces choix, mais uniquement à tolérer leur présence. […] »
Cette dernière phrase est particulièrement paradoxale. En effet, l’auteur de la lettre y fait une injonction qu’il pourrait lui-même prendre à son compte : « Vous n’avez pas à partager [leurs] choix, mais uniquement à tolérer leur présence ». En d’autres termes, si vous ne souhaitez pas respecter la discipline non-violente que s’impose Extinction Rebellion, pourquoi ne pas la tolérer, et simplement ignorer leurs rassemblements ?
Cet acharnement est d’autant plus étonnant qu’au moment où Extinction Rebellion est sous le feu des critiques, le mouvement a déjà eu une certaine influence sur le gouvernement en place. En effet, comme le reconnaissent volontiers Usul et Cotentin, le clan Macron a adopté deux des quatre demandes du mouvement écologiste, d’une part en reconnaissant « l’urgence écologique et climatique » dans l’alinéa 1 de la loi Énergie et Climat du 08/11/19, et d’autre part en organisant une Convention Citoyenne sur le Climat qui débute le 04/10/19.
Cet article de l'Université Populaire des Luttes
Ces mesures vont-elles fondamentalement changer la politique écologique de la France ? Probablement pas. Mais elles restent néanmoins de petites victoires, un pied dans la porte pour aller plus loin, ou encore un pas dans la bonne direction, qu’il vaut mieux célébrer plutôt que dénigrer.
Peut-être est-ce cela le cœur du sujet. Il y a dans le radicalisme rigide comme une incapacité à éprouver sincèrement de la joie, au premier degré, en lâchant prise un instant, juste pour reconnaître que quelque part quelque chose a progressé sans être parfait à 100%.
Comprendre l’absence de joie
En faisant quelques recherches, j’ai rapidement découvert que le texte intitulé « Défaire le radicalisme rigide » était en réalité la traduction partielle de morceaux choisis d’un ouvrage anglophone intitulé « Joyful Militancy « , co-rédigé par deux anarchistes canadiens : Carla Bergman et Nick Montgomery.
Carla Bergman est travailleuse sociale et documentariste, tandis que Nick Montgomery est chercheur à la Queen’s University de Kingston (il a fait sa thèse sur les tactiques qu’utilisent les mouvements sociaux pour contrer les mécanismes hégémoniques du capitalisme).
A l’origine de leur ouvrage commun, il y a l’expérience de Carla Bergman a vécu à la tête du « Purple thistle centre », centre social ouvert aux jeunes des quartiers populaires à l’Est de Vancouver (entre 2000 et 2015). Le centre n’avait que trois règles : pas d’alcool, pas de drogues, pas de méchanceté (« no assholism : be nice to others »). Fidèle aux principes d’éducation populaire et d’auto-organisation zapatiste, Bergman laissait aux jeunes la possibilité de construire leur engagement comme ils l’entendaient, sans imposer leurs idées ou leurs projets aux autres.
En vivant une expérience où engagement rimait avec convivialité, Bergman a découvert concrètement ce que peut être un militantisme ouvert et bienveillant. Et elle s’est aperçu qu’une telle culture peut s’épanouir si les individus sont en mesure d’abandonner le ressentiment et la méfiance qu’ils ont pour les autres. En échangeant avec Montgomery, elle formule alors l’idée qu’il existe un « radicalisme rigide », sorte d’atmosphère négative qui nous empêcherait de vivre notre militantisme dans la joie. Tous deux trouvent le concept intéressant, et ils décident d’approfondir cette piste de réflexion.
Toutefois, là où d’autres auraient d’emblée tenté de définir avec précision le radicalisme rigide, Bergman et Montgomery préfèrent volontairement rester flous :
« Il n’est pas possible de décrire totalement ce phénomène, parce qu’il est en constante évolution et qu’il se redistribue sans cesse. Il ne peut pas se réduire à certaines personnes ou certaines attitudes. Ce n’est pas comme s’il était juste dû à une bande d’abrutis qui pourrissent les mouvements et détruisent les dynamiques de l’intérieur. En fait, la recherche anxieuse de celles et ceux sur qui reposerait la faute ou des attitudes précises à blâmer fait même partie de ce processus toxique. Personne n’est immunisé. On le ressent à plein d’endroits, mais il est difficile d’en parler, et ça fait finalement peu de sens d’en faire une affaire. C’est plutôt comme une sorte de gaz : il circule en permanence, nous influençant à notre insu, et nous menant vers toujours plus de rigidité, de fermeture et d’hostilité. »
Impossible, donc, d’établir une liste de critères pour juger qui serait trop rigide et qui ne le serait pas. Car définir trop précisément le radicalisme rigide, ce serait déjà commencer à évaluer le travail des militants et à faire soi-même preuve de radicalisme rigide.
Définir sans enfermer
Pour dépasser cette difficulté, les auteurs de « Joyful Militancy » font alors le choix de procéder par études de cas, en racontant des exemples et en les analysant. C’est ainsi que, dans le cinquième chapitre de l’ouvrage, ils décrivent trois possibles expressions du radicalisme rigide, avec à chaque fois un angle de réflexion particulier :
- Le Marxisme-Léninisme, qui a une propension à rigidifier une idéologie autour de certitudes, allant ainsi parfois jusqu’à réduire l’espace civique et empêcher tout pluralisme politique.
- La morale chrétienne, où une distinction rigide entre « saints » et « pêcheurs » peut effacer la complexité des situations. En devenant moralisme, la morale conduit alors certains individus à attaquer l’identité de leurs concitoyens.
- L’évaluation scolaire, qui nous apprend dès le plus jeune âge à internaliser des normes fixes et à juger les individus. Ayant nous-mêmes été victimes de ces évaluations à répétition, nous prenons alors l’habitude de critiquer sévèrement les autres.
L’idéologie, le moralisme et l’évaluation ne sont, pour les auteurs de « Joyful Militancy », que des exemples du radicalisme rigide. En les invoquant, il ne s’agit pas de pointer du doigt des individus qui font preuve de rigidité (car personne n’en est exempt), mais plutôt de montrer ce que ces comportements ont de profondément existentiel.
« Existentiel », dans quel sens ? Bergman et Montgomery cherchent à montrer que, si le radicalisme rigide s’exprime à travers des comportements individuels, ses racines sont avant tout collectives. Le terme « existentiel » ne fait pas référence à notre rapport individuel au monde, mais plutôt à la façon dont, collectivement, nous créons un horizon mental qui façonne ce monde.
Le radicalisme rigide est un nihilisme
D’après les auteurs de « Joyful Militancy », le radicalisme rigide provient du fait que nous percevons le monde comme foutu, abîmé, plein d’erreurs et de lacunes.
Plutôt que de se réjouir de ce qui marche, on préfère se désoler et critiquer ce qui échoue. Cela ne signifie pas que la critique soit toujours mauvaise, ou qu’il ne faille pas exprimer son inquiétude face aux urgences sociale et climatique. Mais cette critique et cette inquiétude peuvent devenir rigides si elles s’inscrivent dans un horizon négatif où l’espoir n’a plus de place et où l’on s’appesantit sans cesse sur ce qui est bancal ou incomplet.
C’est pourquoi Bergman et Montgomery parlent de « nihilisme » pour décrire la racine existentielle du radicalisme rigide. S’inspirant de Nietzsche, ils expliquent qu’en ayant une attitude excessivement critique, les radicaux en viennent souvent à rejeter le monde tel qu’il est, pour lui préférer un monde qui n’est plus là (ou pas encore là).
Or, pour Nietzsche, un tel nihilisme est mortifère, parce qu’il est une négation de ce qu’il y a de fort et de vivant dans le monde. En effet, lorsque nous sommes obnubilés par une idéologie, un moralisme ou l’évaluation des autres, nous sommes en réalité comme déconnectés des choses réelles, perdus dans « le monde tel qu’il devrait être », jusqu’à en oublier « le monde tel qu’il est ».
Voilà donc la source fondamentale du radicalisme rigide dans les espaces militants : nous sommes à ce point habités par nos idées, nos façons de faire et nos programmes que nous en devenons parfois les esclaves.
Moi le premier, j’ai souvent du mal à prendre le recul nécessaire pour apprécier à leur juste valeur des stratégies d’action collective que je connais mal ou qui s’écartent trop de ma zone de confort. Dans ces cas-là, j’ai trop tendance à voir le community organizing comme un but en soi, alors que ce n’est qu’une méthode parmi d’autres. Je prends alors le risque de suivre la pente nihiliste du radicalisme rigide, en étant critique vis-à-vis des autres formes d’action collective, sans toujours me réjouir sincèrement de voir mes camarades se battre à mes côtés pour un monde meilleur.
Comment alors défendre ses idées, sa méthodologie, son programme, sans faire preuve de radicalisme rigide ? Car il n’est pas non plus souhaitable de renoncer totalement à ses idées. Existe-t-il alors un point d’équilibre entre l’absence totale de fermeté sur ses principes, et la rigidité abusive ?
C’est sur ce point que Bergman et Montgomery peuvent véritablement nous aider. Car pour eux, la définition du radicalisme rigide n’est pas un but en soi. Ce n’est qu’une première étape, un point de passage obligé pour comprendre l’absence de joie chez les militants. L’étape suivante, la plus importante, c’est de retrouver cette joie de s’engager ensemble.
Attention : point Bisounours
Dès le premier chapitre de leur
ouvrage, Bergman et Montgomery insistent sur une distinction qui leur
semble fondamentale : la joie n’est pas le bonheur. En effet,
bien que ces deux termes sont voisins, ils sont en réalité très
différents, surtout dans une société capitaliste :
- Bonheur : A l’origine, c’est le bien ultime que chacun recherche dans l’existence. Et il semble a priori évident que chacun cherche une forme du bonheur qui lui corresponde. Toutefois, comme le bonheur est aujourd’hui devenu une injonction (« il faut être heureux ! »), soumise à des impératifs de consommation (« voici comment être heureux ! »), il est désormais compliqué de parler du bonheur sans recycler des idées toutes faites, qui nous ont été dictées par des experts en marketing.
- Joie : Sans être plus simple, la joie semble plus accessible et plus évidente que le bonheur. En effet, comme c’est une émotion que l’on peut ressentir souvent et pour de petites choses, chacun est plus à même de dire comment elle s’exprime et ce qui la provoque. Par exemple, est-ce un après-midi entre amis ? La convivialité d’un jeu ? Le partage d’un repas ? Un geste d’amour ? Une curiosité piquée à vif ? Une créativité libérée ?
D’après Bergman et Montgomery, dépasser le radicalisme rigide n’est donc pas « militer pour être heureux » (car notre référence serait un concept abstrait dont les termes nous auraient été dictés) , mais plutôt « militer dans la joie » (avec comme repère une émotion que nous connaissons bien et qui se vit simplement). Ce qui explique le titre de leur ouvrage : « Le militantisme joyeux (Joyful Militancy) ».
Toutefois, s’écarter du bonheur pour se concentrer sur la joie ne signifie pas mettre à distance les aspects de ces concepts que certains jugent mièvres. C’est d’ailleurs ici que, dans une conversation militante, on atteint souvent ce que le philosophe Sébastien Charbonnier appelle « le point Bisounours ». Le moment où quelqu’un nous interrompt pour nous dire avec un demi-sourire : « Le militantisme joyeux ? Non mais on est pas chez les Bisounours ! ». Ce qui revient à, par prétendu pragmatisme, réduire notre réflexion à un ours de dessin animé (en latin : reductio ad bisunursum).
Or, ce que Sébastien Charbonnier propose, c’est qu’au lieu d’éviter ce point Bisounours, on l’assume pleinement. Et c’est justement ce que je vais faire dans la suite de cet article.
Joie et puissance
Parmi les inspirations de Carla Bergman à l’origine de « Joyful Militancy », il y a ses échanges avec le sociologue Richard Day, , qui lors d’une conversation lui parle des usages militants de Spinoza, et notamment de sa philosophie des émotions.
D’après Spinoza, ce qui meut les êtres humains, c’est l’effort que nous faisons pour nous réaliser, pour nous affirmer et pour exister. C’est en quelque sorte notre moteur interne, le trésor d’énergie qui nous donne la force d’être nous-mêmes au quotidien.
Or cet effort pour s’affirmer est,
selon les circonstances, plus ou moins efficace. Par exemple, il y a
des jours où l’on se sent bien et où l’on a conscience d’être
pleinement soi-même. Et à l’inverse il y a d’autres jours où l’on
se sent freiné, limité, bloqué, ou soumis à des forces qui nous
empêchent de respirer.
C’est comme si notre moteur interne rencontrait parfois des obstacles trop grands, mais qu’il avait quand même la capacité de se perfectionner. C’est ce que Spinoza appelle notre puissance, c’est-à-dire notre capacité à nous affirmer dans le monde.
Par exemple, je peux apprendre à jardiner, activité dans laquelle je me réalise avec plaisir, ce qui va augmenter ma puissance. Ou je peux écouter un morceau de musique qui me touche : cela renforce mon empathie et ma détermination, ce qui peut là aussi contribuer à augmenter ma puissance.
A l’inverse, il est aussi possible de rencontrer des obstacles qui limitent ma puissance et brident mon moteur interne. En particulier, lorsque je suis ignorant de ce qui me permet de m’affirmer, il peut m’arriver de vouloir réaliser des choses qui, en réalité, me feront souffrir. Par exemple, je peux m’attacher à des personnes qui ne me respecteront pas, ou désirer un bien matériel dont j’aurai ensuite peur qu’il me soit volé.
Chez Spinoza, la puissance est donc quelque chose de très personnel : chacun a un moteur interne qui lui est propre, et dont le carburant est unique.
Et la joie, dans tout ça ? Et bien, quand nous avons conscience que notre moteur est bridé ou en sous-régime, c’est là que nous sommes tristes. Par exemple, si nous sommes victimes d’une injustice et que nous en sommes conscients, alors nous contemplons notre propre impuissance et cela nous attriste.
Au contraire, si nous avons conscience que notre petit moteur interne s’emballe, parce que nous sommes pleinement en accord avec nous-mêmes et notre environnement, alors nous ressentons notre propre puissance à l’œuvre et cela déclenche en nous une joie immense. Par exemple, quand nous racontons une bonne histoire, ou que nous faisons rire un auditoire, nous nous sentons en accord avec les autres et cela nous procure de la joie.
On s’aperçoit, chez Spinoza, la joie n’est pas un sentiment passager, qui serait réductible au fait d’éprouver quelque chose d’agréable ou de plaisant. Au contraire, Spinoza dépeint la joie comme une émotion fondamentale, qui prend toujours la forme d’une sorte d’introspection : la joie est la conscience d’un accroissement de notre puissance.
Avant d’aller plus loin, faites justement un petit exercice d’introspection. Demandez-vous quelle est la dernière fois où vous avez ressenti une joie profonde. Un vrai moment de félicité où tout vous semblait plus léger, plus simple, plus évident.
C’est bon ?
Vous vous en souvenez ?
Et bien maintenant vous pouvez tester la définition de Spinoza. Ce moment de joie auquel vous pensez, était-il accompagné d’autres émotions ? Par exemple, est-ce que vous vous sentiez en accord avec vous-même, avec les autres et le monde alentour ? Est-ce que vous vous sentiez plus en contrôle ? Est-ce que les choses vous paraissaient plus simples ? Si tel est le cas, c’est qu’en effet votre joie était l’expression d’un accroissement de votre capacité à vous affirmer.
Une émotion politique
D’après Bergman et Montgomery, cette définition spinoziste de la joie permet de repenser le militantisme. Car, chez Spinoza, la joie n’est pas une émotion individualiste. En effet, le fait d’être en accord avec les autres et de collaborer avec eux est une source immédiate de puissance. Atteler notre moteur interne à celui des autres permet de déplacer des charges plus grandes et d’accomplir des projets plus ambitieux.
Pour avoir conscience de la joie qu’une telle union procure, il vous suffit de repenser à la dernière fois où vous avez accompli quelque chose de positif au sein d’un groupe. Cela se rapprochera sûrement du sentiment de joie que peut ressentir un musicien au cœur de l’orchestre ou la fièvre du militant au cœur de la foule.
En ce sens, la joie est donc une émotion authentiquement politique, puisqu’elle se réalise à plusieurs, dans une harmonie qui nécessite d’entrer en accord les uns avec les autres. Et s’il est possible d’éprouver cette joie dans les petits moments du quotidien, il est aussi important de pouvoir la ressentir dans les grands moments qui nous définissent en tant que société.
Par exemple, dans la création d’une association, qui compose la puissance de chacun pour accomplir un but commun, il y a une joie profonde. De même, dans l’élection d’un représentant en qui l’on a confiance, et qui se fait l’ambassadeur de cette puissance commune, il y a aussi beaucoup de joie. Et quand vient la lutte et l’action collective, on éprouve aussi de la joie en réalisant que tous ensemble nous sommes capables de transformer le monde, pour y augmenter la puissance de chacun.
L’acte de joie est ainsi un acte de puissance collective, ce qui implique que l’on peut éprouver de la joie même dans les luttes les plus âpres :
« La joie ne survient pas dans la quête d’un but lointain, mais dans la bagarre que l’on mène au quotidien. Elle fait souvent irruption à travers notre capacité à dire « non », à refuser ou à attaquer la forme de vie débilitante que nous offre la société capitaliste. Elle peut émerger d’une émeute ou d’une barricade. »
[Source : Joyfull Militancy – Chap.1]
En quoi s’incarne alors cette joie puissante et radicale, qui n’a pas peur de la confrontation ? Bergman et Montgomery proposent plusieurs exemples concrets, dont celui-ci :
« Le militantisme d’Act Up n’a pas été seulement mu par la volonté d’être en confrontation ni de défier les conventions de la société hétérosexuelles ou du traitement politique traditionnel de l’homosexualité. Le mouvement a aussi créé une atmosphère queer chargée érotiquement, et des réseaux d’entraide et de soutien à ses membres qui tombaient malades. Catalysé par le deuil et la rage, il fit voler en éclats les horizons politiques et changea ce qu’il était possible pour les gens de penser, faire, et ressentir ensemble. »
[Source : Joyfull Militancy – Chap.1]
Ces mouvements qui provoquent de la joie au cœur des catastrophes, les auteurs disent en voir partout dans le monde. Ils décrivent par exemple avec beaucoup d’affection la vie bruissante de la ZAD de Notre-Dame-des-landes, ou encore le combat du Unist’ot’en Camp, qui occupe des terres au nord du Canada pour y empêcher la construction d’un pipeline.
Quelques pistes (très ouvertes) pour repenser sa culture militante
Grâce à Bergman et Montgomery, nous avons maintenant une définition claire et des exemples précis de ce que peut être une alternative au radicalisme rigide. Mais les choses risquent de rester un peu abstraites si on en reste là.
En effet, de la même façon qu’ils ont refusé de donner des critères pour définir le radicalisme rigide, Bergman et Montgomery ont fait le choix de ne pas lister une série de bonnes pratiques qui pourraient permettre d’incarner le militantisme joyeux. Certes, dans leur ouvrage ils parlent d’amitiés publiques, de confiance, de liberté ou encore d’éthique de l’affinité, mais ce faisant ils conservent toujours un recul théorique.
C’est un choix que je respecte, mais que je trouve limitant pour celles et ceux qui veulent passer à l’action. C’est pourquoi je propose de conclure cet article en partageant une série de pistes de travail très personnelles, que j’ai glanées ça et là lors de mes différentes expériences militantes :
- Parler du radicalisme rigide
- Rechercher et assumer le « point Bisounours »
- Être authentiquement à l’écoute de ses camarades
- Faire des concessions
- Lâcher prise et accepter d’être vulnérable
- Créer des espaces où ce sont les relations interpersonnelles qui donnent le ton
- Apprendre à accueillir
- Montrer sa gratitude
- Célébrer ses victoires
- Prendre soin les uns des autres
- Établir une présomption de bienveillance
- Agiter sans irriter
- Trouver les ressources pour permettre des rituels de convivialité
- Encourager la complémentarité des tactiques
- Respecter les règles, les valeurs et la discipline que se donnent les autres
Ces pistes ne sont en aucun cas des prescriptions ou des critères universels, seulement quelques idées dont je vous laisse vous emparer. Je m’y réfère parce qu’elles me semblent réalistes et applicables, mais je ne prétend pas toujours trouver la force ou la patience de les appliquer. Elles restent néanmoins des repères utiles, comme autant de petites étoiles polaires pour se guider dans les moments difficiles. Le plus important dans tout cela reste pour moi la quête de la joie, comme remède authentique au radicalisme rigide.
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