Vers une maison de l’organisation collective ?

CAMPAGNE D’ÉCOUTE 2021

Porté par notre association, le présent rapport est le fruit d’un travail de recherche de près de neuf mois (septembre 2020-juin 2021), mené par une équipe de bénévoles et de salarié.es. Ces personnes ont mené des entretiens, analysé leurs résultats, facilité leur représentation graphique, puis co-rédigé, édité et mis en page le présent rapport : Alix Heuer, Camille Marronnier, Chloé Rousset, Clémentine Lao, Coline Aymard, Jean Vettraino, Jean-Michel Knutsen, Julien Baillergeau, Natacha Merilhou,  Nawal Zouak, Virginie Gailing, Elea Spampani, et Nade Illustrations pour la magnifique page de couverture.

Cette équipe s’est mobilisée pour rassembler et compiler plus d’une centaine de témoignages, autour d’une question centrale : serait-il pertinent de créer une maison de l’organisation collective en France et à quoi devrait-elle ressembler ?

Remerciements

Nous souhaitons adresser nos remerciements à toutes celles et ceux qui ont donné de leur temps pour échanger sur leurs pratiques militantes, leurs rêves pour demain, leurs obstacles quotidiens et leurs besoins pour monter en puissance. Chacun·e s’est exprimé·e en son nom propre, tout en situant ses propos dans le cadre de son engagement auprès d’une association, d’un collectif ou d’un syndicat particulier :

Abderrahmane Marzouki (Centre social Pluriel(le)s)

Adeline de Lépinay (Autrice d’ « Organisons-nous ! Manuel critique » aux Editions Hors d’Atteinte)

Alexandre (La Station LGBTI)

Alice Barbe (SINGA)

Amal Bentounsi (Urgence notre Police Assassine)

Anaïs (DAL 31)

Anaïs et Mickaël (Gilets Jaunes Ain)

Anthony Ikni (CNDH, Romeurope)

Anthony Pouliquen (L’Ardeur)

Audrey Morice (Oxfam)

Aurore Cyrille (Collectif pour une Nation Refuge)

Benjamin Sourice (Vox Public)

Bertrand Verfaillie (Collectif solidarité Rroms)

Blaise (Tri, Potes et Mascagne)

Camila Curi (Sortir Du Nucléaire)

Camille Désirée (Game Impact)

Cécile Chartrain (Les Dégommeuses)

Citlali (Les colleuses)

Claire (Parlons-en)

Claudia (Collectif 8 Mars – Angoulême)

Cléa (Centre d’accueil Logivar/UDV)

Clément, Mélanie et Karen (ImagiNon)

Coline Serra (La Rencontre des Justices)

Elisa et Olivia (ACINA)

Gaëlle Maillard (CGT, Collectif 8 Mars – Lille)

Gabriel Mazzolini (Les Amis de la Terre)

Geoffrey Renimel (ATD – Quart-Monde)

Gilles Reynaud (Ma zone contrôlée)

Guillaume (Association pour le Développement en Réseau des Territoires et des Services)

Isabelle (La Belle Démocratie)

Isa Frémeaux (Laboratoire d’imagination insurrectionnelle)

Jasmine (Culture et Progrès)

Jean Vettraino, Fabien Hamel, Mathias Rocoplan (CCFD- Terre Solidaire)

Jérémie Chomette (France-Libertés)

Jérôme de Daran (La Volte – Toulouse)

Jil (Rencontres Féministes)

Julie Vaudois (Planning Familial – Grenoble)

Julie Rousinaud (Normandie Equitable)

Juliette Decoster et Nicolas Krausz (Fondation Charles Leopold Mayer)

Kévin Vacher (Collectif du 5 Novembre – Noailles en colère)

Laura Jovignot (#NousToutes)

Laura Petersell (Syndicat ASSO-Solidaires et Réseau salariat)

Laurène Bounaud (Disclose)

Laurent Desaunay-Moreau (Ligue de l’Enseignement de l’Eure)

Laure Ducos et Benjamin Lemesle (Greenpeace)

Léna Hagel (La petite filature – Tours)

Léo Mathey (Repairs! 75)

Linh et Joohee (Collectif PanAsiAFéministe – PAAF)

Lucy (By2020 We Rise Up)

Lucile (L’escargot migrateur)

M (Collectif féministe et queer radical)

Malika, Armelle, Thierry, Mahieu (Extinction Rebellion)

Manon (Syndicat de luttes Solidaires étudiant·es, Collages lesbiens)

Marianne et Marika (Antidotes)

Marie Bouchand (Centre socioculturel des 3 Cités)

Marion Collet (Collectif Solidarité Migrants Wilson)

Marie Roland (Agir pour la santé des femmes – ADSF)

Mathilde (Le Contrepied)

Mathilde (CGT, Réseau féministe)

Maude Fouchard (Etape, Solidarité Migrants Wilson, La Cimade)

Mohammed Mechmache (Coordination « Pas Sans Nous »)

Nathalie (Quicury)

Nicole (Association Solidarité Essonne Familles Roumaines et Rroms)

Nikolai Posner (Utopia 56)

Océane Décan (ADEPAPE 33)

Olivier Pastor (Université du Nous)

Oriane (Bagage’rue, Les Francas)

Oumalkaire Suleman (Lallab)

Patrick Mahieu (Faire des égaux)

Paul Forger (Confédération Paysanne)

Pauline Magnat (Papillon)

Perrine et Wim (La Turbine à Graines)

Philippine Barthez, Philippe Demeestère, Martin Reneaume et Anne-Catherine Berne (Secours Catholique)

Pierre Chopinaud (#Ecolepourtous)

Raquel Diaz Gonzales (Alternatiba)

Romane Piquet-Ulliel (ActionAid)

S (Qtpoc Autonomes)

Safa Bounaidja (Coexister)

Sara Hadji Rezai (POWA)

Sarah Aubert (Watizat)

Sébastien (La forge des compétences)

Sophie Fadiga (Amnesty International)

Stéphanie (Qtpoc Autonomes)

Sylvie Pécard (Collectif Inter hôpitaux, Alternatiba)

Sylvie (Gilets Jaunes, Masques Blancs)

Suzanne (RESF, BDS)

Tarik Touharia et Jean-Luc Grosbois (Fédération des centres sociaux de France)

Thalia Mambu (La Féministerie)

Thibault Corneloup, Latifa Es-Sekka, Émilie MdC, Michael Picon, Alice (CLE Autiste)

Tifen (Coopérative Citoyenne)

Victor Vauquois (Partager c’est sympa, Super Local)

Vincent Debierre (Le cri 57)

Vicent Jannot (Terre de liens)

Vincent Lillo (Ligue de l’enseignement, Tables de quartier de Marseille)

Yann Le Boulaire et Sylvie Dévidas (Médecins du Monde)

Yali Sequeira (Réseau France-Colombie Solidarités)

Nous remercions également Tara Dickman et Sarah Durieux, dont l’expertise et les conseils ont été extrêmement précieux en amont de ce travail de recherche.

Que trouverez-vous

dans ce rapport ?

2. Ce que vous nous avez dit : que ressort-il de l’analyse des témoignages ?
  • Connaissance et pratique de l’organisation collective en France
  • Les obstacles qui limitent nos rêves
  • Nos besoins pour monter en puissance
  • Créer un espace ouvert pour échanger entre pair·es

Partie 1

Notre bagage de départ

Notre intuition

En France, les personnes mobilisées pour la justice sociale et les biens communs font souvent face à des enjeux qui relèvent de l’organisation collective, c’est-à-dire de la capacité à se structurer, monter en puissance et déployer une stratégie de long terme.
Par exemple, beaucoup de personnes engagées se demandent : comment rassembler, structurer et animer une communauté de militant·es ? Comment favoriser l’autogestion tout en respectant les disponibilités et les envies de chacun·e ? Comment faire émerger des stratégies collectives ? Comment et quand donner plus de place aux premier·es concerné·es ? 1
Or, bien que ces questions soient partagées assez largement, les réponses à y apporter peuvent parfois diverger puisque chaque contexte d’organisation est unique, et chaque structure a des besoins qui lui sont propres. Il n’existe donc pas de recette miracle ou de modèle unique d’organisation collective.
Après plusieurs années de recherche et d’accompagnement de collectifs, associations et syndicats, nous avons constaté qu’il existe un ensemble de ressources (idées, outils, récits), qui peuvent guider les militant·es dans leurs choix stratégiques au quotidien. Mais nous nous sommes aussi aperçu·es que la connaissance et l’appropriation de ces ressources (sous la forme de publications ou de formations) reste insuffisante.

En effet, l’organisation collective est davantage une question d’expérience plutôt que d’expertise : c’est en organisant que l’on devient organisateur·trice. Nous avons découvert avec les années que le partage d’outils doit s’accompagner du partage des « tentatives » expérimentées, des galères et des ressources trouvées, vécues par d’autres.

C’est là le point de départ de notre intuition

En s’inspirant de la philosophie des « communs » et des principes de l’éducation populaire, il est possible d’imaginer un espace de discussion et de partage, une « maison commune » de l’organisation collective, à laquelle chacun·e pourrait participer selon ses moyens.

Notre méthodologie

Afin de répondre à notre question de départ (serait-il pertinent de créer une maison de l’organisation collective en France et à quoi devrait-elle ressembler ?), nous avons décidé de mener une campagne d’écoute, réalisée de février à mai 2021, à l’échelle de la France hexagonale, auprès d’un panel de militant·es pluriel ayant en commun leur lutte pour la justice sociale et les biens communs.

Suite à un appel lancé par l’association, une équipe initiale de huit personnes a été constituée et formée pour recueillir les témoignages.

Nous voulions échanger avec un maximum de personnes engagées dans différents contextes et ayant différents degrés d’engagement. Pour cela, nous avons commencé par créer une grille de critères qui permettrait, au fur et à mesure de la campagne, de mesurer nos angles morts et d’enrichir nos échanges. Les critères étaient les suivants :

  • La thématique d’engagement de la personne interrogée (féminisme, écologie, syndicalisme, etc.)
  • Le lieu de son engagement
  • Le caractère urbain ou rural de ce lieu d’engagement
  • Le type d’organisation à laquelle elle appartenait (collectif, association, syndicat)
  • L’échelle de cette organisation (locale, nationale ou transnationale)
  • Les ressources de cette organisation (à la fois humaines et matérielles)
  • Le statut de la personne interrogée au sein de cette organisation (salarié·e, bénévole)
  • Le statut de la personne interrogée au sein du champ de son engagement (premier·e concerné·e, allié·e)
  • Sa connaissance (ou non) du community organizing, et plus largement de l’organisation collective

Durant cette campagne d’écoute, nous avons remarqué plusieurs angles morts sur lesquels nous avons cherché à travailler : un déséquilibre géographique entre Paris et le reste du territoire hexagonal, un manque de témoignage des personnes engagées en milieu rural, ainsi qu’une sous-représentation des collectifs de premier·es concerné·es, mais aussi des jeunes et des mineur·es. Nous avons également créé un questionnaire en ligne, plus léger, afin de permettre à plus de personnes de témoigner.

Au total, 122 témoignages ont été recueillis AUPRÈS DE 101 ORGANISATIONS

  • 81 sont le résultat de discussions approfondies semi-dirigées
  • 41 sont des réponses au questionnaire que nous avons diffusé en ligne
  • DROITS AU LOGEMENT 15% 15%
  • DÉMOCRATIE 16% 16%
  • FÉMINISMES 22% 22%
  • LUTTES ANTICARCÉRALES 3% 3%
  • LUTTES ANTIRACISTES 17% 17%
  • LUTTES CONTRE LA PRÉCARITÉ 28% 28%
  • LUTTES LGBTQIA+ 11% 11%
  • LUTTES PAYSANNES 7% 7%
  • LUTTES POUR LES PERSONNES MIGRANTES ET EXILÉES 27% 27%
  • LUTTES ÉCOLOGISTES 23% 23%
  • AUTRES 7% 7%

Luttes représentées (en pourcentage) dans le panel d’organisations interrogées

Les principales questions posées étaient les suivantes

Quelles sont les missions et les activités de votre organisation ?

Comment vous structurez-vous (de manière formelle ou informelle) ?

Si l’on pouvait mettre de côté toutes les limites matérielles à votre pratique militante, qu’est-ce qui vous ferait rêver pour les années à venir ?

Quels sont les obstacles que vous rencontrez au quotidien ?

Quelles ressources avez-vous trouvé pour y faire face ?

Quels sont vos besoins pour aller de l’avant ?

Que pensez-vous du projet d’une maison de l’organisation collective et qu’aimeriez-vous y trouver ?

De quoi auriez-vous besoin pour vouloir y participer et vous y sentir bien ?

A chaque entretien, il était précisé aux personnes interrogées qu’elles répondaient en leur nom propre, mais qu’elles situaient leur parole en explicitant avec précision le contexte de leur engagement. Les réponses collectées n’engagent donc pas des organisations, mais plutôt les personnes interrogées, avec leurs expériences singulières.

Nous avons enfin croisé ces témoignages en cherchant les tendances de fond qui se retrouvaient en filigrane de toutes les réponses, avec une attention particulière apportée à certaines idées inspirantes et aux anecdotes illustrant bien les tendances repérées.

Ces analyses nous ont permis d’avancer sur des pistes de travail, qui doivent à présent être mises en chantier !

Partie 2

Ce que vous nous avez dit

Connaissances et pratiques de l’organisation collective en France

Il semble que les connaissances et pratiques de l’organisation collective dépendent en grande partie des ressources humaines, matérielles, et financières des structures. Distinguons plusieurs cas : 


Les organisations ayant une structure juridique avec des ressources humaines (salarié·es, bénévoles) et matérielles

Ces organisations fonctionnent de manière plus ou moins pyramidale et centralisée avec souvent une volonté de « démocratiser » l’organisation, pour donner plus de place et d’autonomie aux bénévoles et groupes locaux. Ces organisations disposent souvent de ressources sur l’organisation collective (processus d’accueil des nouveau·elles, formation et accompagnement, etc.).

Les organisations ayant une structure juridique avec peu de ressources humaines et matérielles


Ces organisations reposent souvent sur le travail de peu de personnes très impliquées (salarié·es et bénévoles). Elles ont souvent peu de ressources et de temps à consacrer aux enjeux d’organisation collective.

Les organisations sans structure juridique, centralisée ou décentralisée

Ces groupes défendent souvent l’auto-organisation et fonctionnent beaucoup à partir d’outils de communication en ligne et de groupes de travail thématiques plus ou moins autonomes – parfois aussi avec des groupes locaux et une coordination au niveau national. L’envie de conserver la spontanéité entre souvent en tension avec la volonté de formaliser la structure (définition d’une vision, de rôles et mandats, des modalités d’inclusion et d’exclusion, d’une stratégie, choix des actions à mener etc.).

Nous remarquons néanmoins un écart entre les rêves (l’envie de s’organiser de manière moins pyramidale, de toucher plus de monde en sortant de l’entre soi, de créer des alliances et de changer significativement les rapports de force) et la place ou les connaissances données à l’organisation collective. 


En effet, peu d’organisations parviennent à activement travailler sur le développement d’une culture relationnelle solide basée sur l’engagement des premier·es concerné·es, avec des espaces d’échange, de formation et de montée en compétence et responsabilité.

« COMMUNITY ORGANIZING » UNE EXPRESSION RÉPANDUE MAIS MAL DÉFINIE


Sur l’ensemble des personnes interrogées, 16 disent avoir déjà été formées au community organizing et 11 disent l’avoir déjà mis en pratique. À cela s’ajoute 59 personnes qui disent déjà en avoir entendu parler, notamment à travers des lectures sur Alinksy, Obama ou Ocasio-Cortez.

Toutefois, on observe que le community organizing ne désigne pas le même objet selon les témoignages et les contextes militants. Par exemple, dans certains milieux cette méthodologie est synonyme d’organisation interne et de gouvernance partagée, tandis que pour d’autres elle désigne une nouvelle façon de penser les campagnes électorales.

Les obstacles qui limitent nos rêves

Au-delà des problèmes systémiques qui gangrènent nos sociétés, nos vies et s’insinuent dans nos organisations (sexisme, racisme, transphobie, validisme, capitalisme…), cette campagne d’écoute nous a permis d’identifier plusieurs obstacles :

Les difficultés à mobiliser des personnes de manière pérenne

Une première difficulté concerne le recrutement, tant du point de vue quantitatif, avec une difficulté à mobiliser en masse pour créer un rapport de force, que qualitatif, avec des engagements qui peinent à se pérenniser, et des premier·es concerné·es qui soit restent éloigné·es des mouvements, soit se retrouvent sur-sollicité·es.

Les difficultés à créer un écosystème coopératif 



Des organisations parfois assez proches politiquement peinent à dépasser le phénomène de compétition pour s’organiser ensemble. Le degré de réticence des fondateur·rices à perdre le contrôle peut jouer un rôle important à ce niveau, la personnalisation du pouvoir opérée par certain·es les rendant difficile à contester. 

Au-delà de cette dimension interactionnelle, les obstacles matériels et financiers ne doivent pas être minimisés : manque de financements ou de locaux, complexité des démarches administratives ou encore situation sanitaire.

« On a des ressources mais personne avec du temps dédié pour contacter les adhérent·es, les engager sur des actions hors comités, ou pour aller au contact et connaître le réseau pour engager les adhérent·es personnellement. C’est vraiment une question d’organisation dans un réseau où on aurait besoin de faire grandir le noyau dur, actif. »

Paul Froger,
animateur salarié à la Confédération Paysanne

« Il y a une vraie difficulté en France à s’auto-organiser collectivement. L’autonomie est comprise comme faire ce que l’on veut. On veut réinventer l’eau chaude et on se crame, alors qu’il existe des ressources et pratiques sur la stratégie politique, sur l’auto organisation et la culture régénératrice. »

Armelle,
Extinction-Rebellion

Les difficultés à construire une gouvernance adaptée



Le fonctionnement dit « horizontal » et égalitariste peut devenir une posture de principe qui n’empêche pas une répartition déséquilibrée du travail, ni des prises de décisions informelles. D’un autre côté, une structure formelle implique de renoncer à une forme de spontanéité et de liberté, notamment face aux situations d’urgence. Quant aux structures de grande ampleur, hiérarchisées, avec une forte centralisation, elles sont souvent critiquées pour leur éloignement par rapport aux besoins du terrain et la dépendance dans laquelle se retrouvent les groupes locaux. Le dilemme se situe alors entre l’envie de favoriser la flexibilité, la créativité et la légitimité de toutes et tous, et le besoin de conserver une efficacité et une force de frappe.

Les difficultés à faire émerger une culture d’organisation émancipatrice

Les relations internes sont souvent source de tensions. Les débats stratégiques ou théoriques sont nécessaires à la lutte. En revanche le manque de droit à l’erreur, l’exigence d’une « pureté militante », ou ce qu’on peut appeler le radicalisme rigide, sont souvent évoqués comme des facteurs d’épuisement (hyper vigilance) et de découragement (perfection inaccessible). La culpabilité ou la peur peuvent alors se traduire par une incapacité à se remettre en question, qu’elle soit individuelle ou collective, et par des querelles d’égo. A cela s’ajoutent les cas de violence, tel·les que les (micro)agressions et le (cyber)harcèlement, dont les milieux militants ne sont pas exempts, ainsi que la difficulté à gérer et transformer les conflits lorsqu’ils sont internes à nos communautés.

SOUFFRANCE ET ÉPUISEMENT MILITANT

Tous ces obstacles mènent à une dureté de l’engagement qui provoque une souffrance, individuelle et collective. Cette souffrance naît d’une part de la difficulté à concilier ses engagements militant et professionnel, qui se solde souvent par une surcharge et un épuisement physique et mental, qui peut être encore plus éprouvant quand les militant·es se retrouvent en situation de danger ou de cyberharcèlement. Elle naît d’une part du manque de reconnaissance financière ou symbolique de l’investissement et d’autre part, du double sentiment d’urgence et d’impuissance à faire changer les choses.

Nos besoins pour monter en puissance

INTÉRÊT POUR LES PISTES DE BESOINS PROPOSÉES

Cette liste des besoins proposés a été établie en s’appuyant sur l’expérience que nous avons des groupes qui cherchent à développer leur pouvoir collectif et qui se heurtent à plusieurs obstacles. Nous ne considérons pas qu’elle soit exhaustive, raison pour laquelle de l’espace était laissé durant l’entretien pour développer d’autres besoins

%

Recruter de nouveaux·elles militant·es pour développer votre base/communauté

%

Nouer des alliances avec d'autres associations/collectifs pour lutter ensemble

%

Remettre les premier.e.s concerné·e·s au cœur de votre action

%

Gagner en horizontalité sans perdre en efficacité

%

Lancer un processus d'écoute de votre base/communauté pour imaginer de nouvelles campagnes

%

Mieux structurer vos équipes de bénévoles pour les aider à monter en compétence et en assurance

%

Trouver le bon angle et le bon moment pour lancer une campagne victorieuse

%

Pratiquer l'éducation populaire pour développer la conscience politique de votre base/communauté

%

Ne se reconnaissent dans aucun de ces besoins

Les besoins matériels

Parmi les besoins matériels évoqués reviennent souvent le besoin d’un lieu pour mener les activités du collectif, rencontrer d’autres organisations ou proposer un accueil. La question des financements est aussi récurrente, qu’il s’agisse d’en gagner davantage ou de s’en affranchir.

Se structurer



Les organisations ont besoin de se doter d’un cadre, tout en ayant les moyens de s’y tenir. Cela passe notamment par une répartition des rôles et des charges claire et durable, ainsi que la mise en place d’outils pour évaluer les impacts de ses actions et réajuster sa stratégie.

S’allier



La création et la pérennisation des liens avec d’autres organisations sont souvent présentées comme une réponse à la nécessité de mutualiser des ressources et de créer des rapports de force durables. Ces alliances font notamment sens entre des mouvements sociaux partageant des réalités différentes, car c’est de leur complémentarité que viendra leur force.

Echanger entre organisateur·trices pour prendre du recul



Les personnes avec qui nous avons échangé ont exprimé le besoin de se retrouver entre militant·es, afin de discuter avec des personnes rencontrant des problèmes similaires, que ce soit en termes de santé mentale ou bien de stratégie de lutte, afin de se soutenir et de se transmettre les apprentissages issus des victoires et des défaites.

Retrouver du plaisir à militer



Les personnes nous ont aussi exprimé le besoin de redonner une dynamique festive et interpersonnelle à l’organisation collective, en célébrant les victoires et en s’autorisant des moments de fête.

Monter en compétences et se former



Plusieurs domaines de formations ont été évoqués. Des formations théoriques pour mieux comprendre et lutter contre les oppressions, savoir où et comment s’engager, quelle place donner aux allié·es. Des formations pour mieux comprendre comment monter, suivre, évaluer et réajuster sa stratégie, afin d’avoir des changements significatifs. Des formations pour développer des compétences techniques : prise de parole, outils numériques et cybersécurité, négociation et plaidoyer, évaluation, comptabilité, recherche de subventions… Enfin l’apprentissage d’un savoir-être avec les autres dans la gestion des conflits, ou sur la répartition de la parole et des pouvoirs. Ces demandes s’accompagnent d’une envie d’apprendre par la pratique, avec des références nombreuses à l’éducation populaire.

Apprendre à mener et gagner des « batailles culturelles »



Certaines personnes ont évoqué le besoin de réflexion stratégique sur les façons de mener des « batailles culturelles ». D’après elles, un changement systémique doit être envisagé, sur le long terme, à l’échelle des symboles, des récits, de la sémantique ou encore des représentations qui se diffusent dans nos sociétés. Dans le cadre des mouvements écologistes, il s’agit par exemple de changer en profondeur notre rapport au vivant.

Se donner du temps



Quasiment toutes les personnes avec qui nous avons échangé nous ont parlé du besoin transversal d’avoir du temps : (s’) autoriser des temps pour soi afin d’éviter le burn-out militant, accepter de consacrer du temps à la structuration d’une organisation et au recrutement avant de pouvoir agir concrètement, savoir gérer la frustration de l’urgence et le temps long nécessaire à certains résultats.

RÉSILIENCE ET INVENTIVITÉ

En réponse à ces besoins et ces difficultés, les personnes interrogées sont toutes déjà dans un processus de recherche et d’expérimentation. Quelle que soit la structure au sein de laquelle elles sont engagées, elles explorent les ressources sur l’organisation collective qui sont accessibles, créent de nouveaux outils et font évoluer leurs pratiques de lutte en s’appuyant sur leurs propres expériences ou celles observées ailleurs. Il s’agit donc de mutualiser, valoriser et diffuser cette résilience et cette inventivité.

« Nos milieux militants ont tendance à être des usines à burn-out. Il faut qu’on sorte de notre obsession de (seulement) faire masse, et d’avoir des pratiques qui font que trop de gens sortent des mouvements aussi vite qu’iels n’y sont entré·es. Et mettre de l’énergie pour construire des bases solides, une culture du soin, s’enraciner et construire des communs, sans se diluer ou perdre notre capacité à lutter et à être impactant·es. »

Isa Frémeaux,
Laboratoire d’imagination insurrectionnelle

« Je voudrais qu’on retravaille la base de l’organisation, à savoir les liens humains, la convivialité, la joie. Qu’on apprenne à retrouver le temps, collectivement, d’échanger et de lutter, ne pas être constamment épuisées. »

Julie Vaudois,
Planning Familial

« Je voudrais qu’on gagne en dynamisme, qu’on soit plus en capacité de répondre à l’actualité médiatique et aux attaques racistes. Et j’aimerais qu’on se forme plus sur les questions de montée en puissance et de développement de différentes formes de leadership. »

Linh,
collectif PAAF

« Je trouve qu’il y a besoin de plus d’éducation au sein de nos mouvements sur le fonctionnement de nos écosystèmes. Pour comprendre comment les changements arrivent, comment les mouvements naissent, disparaissent, s’enrichissent. Pour mieux comprendre l’importance fondamentale de la coordination et de la stratégie »

Lucy,
By2020 We Rise Up

Créer un espace ouvert pour échanger entre pair·es

La très grande majorité des personnes avec qui nous avons échangé ont montré de l’enthousiasme pour la démarche de création d’une maison de l’organisation collective. Toutefois, cet enthousiasme était souvent accompagné par la formulation de plusieurs points de vigilance ou de conditions de réussites du projet :

Cet espace devrait affirmer une vision politique, à savoir lutter pour des changements systémiques, la justice sociale et écologique, la défense des communs. Un effort tout particulier devrait être mis en œuvre pour penser l’intersectionnalité des luttes.

Un tel espace devrait chercher à être « sécure », respectueux de valeurs promouvant entre autres l’inclusion, le respect, l’ouverture, la bienveillance, l’écoute, la convivialité, la transparence. La pratique de la mixité choisie 2 a aussi beaucoup été évoquée.

Un regard particulier devrait être apporté à l’accessibilité des activités proposées (flexibilité, gratuité, horaires compatibles avec une activité professionnelle, fréquence limitée), afin que cet espace soit véritablement ouvert et ne conduise pas à une forme d’entre-soi militant.

« L’idéal serait de venir avec un cas pratique et de repartir avec une méthode pour s’organiser efficacement. »

Fabien,
CCFD – Terre Solidaire

« Il faudrait que la maison de l’organisation puisse servir de tremplin à des personnes éloignées du monde associatif et qui subissent des discriminations de plein fouet. Un espace où l’on pourrait sortir de l’entre soi, casser les cloisons et être dans du concret, sur le terrain. »

Jil,
Rencontres Féministes

INTÉRÊT DES PERSONNES POUR LES PISTES PROPOSÉES

%

Créer une communauté d'apprentissage et de partage autour de la pratique de l'organisation collective

%

Créer un espace où les militant·es puissent partager des récits de lutte

%

Mettre en place des formations d'introduction au community organizing

%

Organiser des formations approfondies sur les questions de recrutement, de structuration et de mobilisation des bénévoles
Beaucoup de personnes interrogées voient des complémentarités dans ces pistes de travail. Cette maison de l’organisation collective serait à la fois centre de ressources, lieu de rencontres et « point d’entrée » dans l’organisation collective.

Certain·es l’imaginent comme un archipel d’activités distinctes et complémentaires, portées par différentes organisations. D’autres insistaient sur l’importance d’avoir un lieu physique plutôt que numérique, sortant des grands centres urbains et ancré dans un territoire. Ce lieu devrait s’appuyer sur des acteur·ices locales, souvent déjà impliqué·es dans des logiques d’auto-formation et de partage sur les questions d’organisation collective. Certain·es évoquaient l’idée d’avoir plusieurs maisons de l’organisation collective, là où les besoins sont exprimés.

« Un lieu ouvert, socialement mélangé, qui accueille autant des personnes portant des luttes locales de quartier que des combats de société fédérateurs, pour trouver de l’énergie, des idées, des méthodes d’organisation et d’actions collectives. Pourquoi pas s’inspirer des modèles de résidence artistique, pour pouvoir réfléchir, partager et rencontrer d’autres sources d’inspiration, qui nourrissent les engagements »

Vincent Lillo,
Tables de quartier

« Pour moi la maison de l’organisation devrait être un espace de rencontre, de formation, mais aussi d’expérimentation. Un lieu de vagabondage possible, de contemplation. Un endroit qui fonctionne comme une constellation, avec un chapeau commun mais ensuite le droit d’explorer différentes directions, sans être contrainte de rentrer dans un moule. »

Sara Hadji Rezai,
Powa

Partie 3

Ce que l’on peut faire aujourd’hui

Comment nous souhaitons avancer

Au terme de cette campagne d’écoute, nous pouvons affirmer qu’un fort besoin existe autour de la pratique de l’organisation collective en France. Beaucoup des personnes interrogées ont jugé pertinente l’idée d’un lieu de partage entre pair·es, en s’inspirant de la pratique de l’éducation populaire et de la philosophie des communs.

 

Comment concrétiser toutes ces envies et besoins ambitieux ? Plutôt que de tenter l’impossible, nous préférons nous concentrer sur la série de « petits pas » que l’on pourrait accomplir, dès aujourd’hui. Nous voyons ce rapport comme une feuille de route vers une destination qui manque encore de clarté, mais avec des points de repère concrets :

Plutôt que de créer immédiatement la maison de l’organisation idéale, nous préférons avoir une démarche expérimentale, qui s’inscrit dans un esprit de recherche-action sur le temps long, avec des étapes successives

Plutôt que d’imaginer la maison comme un tout indissociable, nous nous inspirons de l’image de l’archipel

Pour que cet archipel soit habité, il faut y construire une communauté ouverte, responsable et généreuse, ce qui sera notre première priorité

Bien qu’il faille probablement créer certains espaces en ligne et au niveau national, nous entamons une réflexion sur les possibilités d’organiser cette communauté dans des lieux physiques et au niveau local

Nous avons imaginé 4 chantiers que nous pourrions coordonner dans les années à venir. 
Il ne s’agit là que de pistes de travail, auxquelles nous voulons associer toutes les personnes qui souhaiteraient y contribuer.

4 chantiers à explorer

1

DÉVELOPPEMENT D'UN PARCOURS DE FORMATION ET D'ACCOMPAGNEMENT


Cette campagne d’écoute nous a appris que, mis à part au sein de quelques grandes structures ou réseaux associatifs, peu de militant·es ont accès aux ressources nécessaires pour se former et maîtriser les bases de l’organisation collective. C’est pourquoi nous souhaitons créer un parcours de formation et d’accompagnement de 6 mois dédié à l’organisation collective. Ce parcours serait ouvert en particulier aux groupes militants qui ont difficilement accès à ces espaces et qui cherchent à gagner en puissance, à construire des alliances et à se structurer sur la durée. Nous imaginons des temps de formation, ainsi que de nombreux temps d’échanges entre les groupes, facilités par des outils d’éducation populaire, et des temps dédiés à l’accompagnement individuel par des organisateur·trices expérimenté·es.

2

CRÉATION D'UNE UNIVERSITÉ POPULAIRE DES LUTTES

A de nombreuses reprises lors de la campagne d’écoute, nous avons entendu à quel point il est précieux pour les militant·es d’avoir accès à des témoignages détaillés sur la façon dont certains collectifs, certaines grèves ou certains mouvements sociaux ont été organisé·es et s’organisent encore aujourd’hui. Comment se sont-iels structuré·es ? Comment ont-iels tenu sur la durée ? Quels outils ont-iels inventés ?
Nous imaginons un programme de collecte, d’analyse et de partage de récits de lutte qui soit disponible au plus grand nombre, afin d’en retirer des enseignements précieux pour nos enjeux d’organisation collective.

3

ANIMATION DE TEMPS DE RECHERCHE ET DE PARTAGE ENTRE ORGANISATEURS·TRICES

Lors de la campagne d’écoute, un besoin exprimé a été celui de créer des temps d’échange entre organisateur·trices, au niveau local ou national, en ligne et en présentiel, notamment pour découvrir de nouvelles idées, approfondir certains concepts ou encore analyser des problèmes récurrents. 
Dans ce contexte, l’association Organisez-vous ! ne serait qu’un acteur parmi d’autres, proposant des activités dans un calendrier partagé avec d’autres associations impliquées sur ces enjeux.

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APPROFONDIR LA CO-CONSTRUCTION ET L’ACCESSIBILITÉ DES TROIS AUTRES CHANTIERS


Cette campagne d’écoute a pâti de plusieurs biais déjà évoqués : un déséquilibre géographique entre Paris et le reste du territoire hexagonal, trop peu de témoignages des personnes engagées en milieu rural, une sous-représentation des collectifs de premier·es concerné·es et des mineur·es. A cela, nous ajoutons la difficulté d’aller échanger avec des personnes qui, bien qu’elles ne se reconnaissent pas comme « engagées » ou « militantes », luttent au quotidien pour la justice sociale. Nous émettons enfin le regret de ne pas avoir recueilli de témoignages de travailleur.euses sociales dans le cadre de cette étude.

C’est pourquoi nous pensons qu’il est important de prendre encore le temps d’aller échanger avec ces personnes qui sont potentiellement intéressé·es par les enjeux d’organisation collective. Pour ce faire, nous avons en tête de nous inspirer par exemple de méthodes qui ont fait leurs preuves comme celles d’ATD Quart-Monde ou de l’enquête sociologique participative. L’objectif serait de reformuler, adapter, approfondir les chantiers déjà évoqués ensemble mais aussi de concrétiser leur accessibilité.

Conclusion

POSONS LES PREMIÈRES BRIQUES

Cette campagne d’écoute était née d’une idée : construire une « maison de l’organisation collective », espace d’échange entre militante·s sur les enjeux de structuration, de montée en puissance et de pensée stratégique.

Ce projet nous a permis d’échanger avec plus d’une centaine de personnes, membre de collectifs, d’associations, de syndicats, dans la France hexagonale. Réunir autant de personnes venant de différents horizons, qui nous ont fait confiance pour nous livrer leur témoignages, doutes et questionnements personnels fut déjà une belle victoire ! Nous avons aussi pu être témoins de l’enthousiasme que cette maison de l’organisation collective nourrit, car le projet est jugé comme étant réellement utile et stimulant. 


Pour autant, il nous est apparu de plus en plus clairement que les besoins et envies exprimé·es rendaient ce projet très ambitieux. En effet, de nombreux éléments conditionnent le succès d’un tel lieu, notamment sa localisation, son accessibilité, son ancrage dans les dynamiques déjà existantes, son modèle de gouvernance etc. 


Nous souhaitons prendre au sérieux ces conditions de réussite et prendre le temps de les réunir. C’est pourquoi nous considérons à présent que cette « maison de l’organisation collective » est davantage un horizon à atteindre qu’un projet réalisable dans l’immédiat. 


Pour avancer pas à pas dans la construction de cette maison, tout en s’assurant de la robustesse de ses fondations, nous proposons de commencer par poser quelques premières briques, tout en contribuant à agrandir et renforcer la communauté des organisateur·trices. Ainsi, en complémentarité avec d’autres initiatives portées par des associations allié·es, nous entamons l’exploration de plusieurs chantiers à taille humaine : la création d’une université populaire des luttes (consacrée au partage des récits de luttes) et le développement d’un parcours d’accompagnement et de formation de 6 mois (conçu comme « porte d’entrée » dans le monde de l’organisation collective).


ALORS, ON S’ORGANISE ?

Si la lecture de ce rapport vous enthousiasme et que vous souhaitez proposer une idée ou contribuer à la mise en œuvre des chantiers à venir, vous pouvez laisser dans notre :