Les leçons du Balai Citoyen au Burkina Faso : entretien avec un Co-Fondateur du mouvement
A l’été 2013, un mouvement de la société civile burkinabè se structure patiemment pour faire du pays « une société juste et intègre, dans un Etat de droit démocratique » et notamment lutter contre le régime despotique de Blaise Compaoré. C’est le Balai Citoyen.
Nous discutons aujourd’hui avec Patrice Taraoré, alias Huma, artiste militant burkinabè vivant en France, qui a été porte-parole du mouvement en France. Il nous raconte son implication progressive dans le mouvement, l’importance du rap et du hip-hop, ses questionnements concernant sa légitimité. Il nous raconte aussi le travail impressionnant déployé par le Balai Citoyen, l’organisation des clubs locaux préparant le « balayage » national, les combats menées et les victoires obtenus. Un récit puissant, précis, qui nous inspire.
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A l’été 2013, un mouvement de la société civile burkinabè se structure patiemment pour faire du pays « une société juste et intègre, dans un Etat de droit démocratique » et notamment lutter contre le régime despotique de Blaise Campaoré. C’est le Balai Citoyen.
Nous discutons aujourd’hui avec Huma, artiste militant burkinabè vivant en France, qui a été porte-parole du mouvement en France. Il nous raconte son implication progressive dans le mouvement, l’importance du rap et du hip-hop, ses questionnements concernant sa légitimité. Il nous raconte aussi le travail impressionnant déployé par le Balai Citoyen, l’organisation des clubs locaux préparant le « balayage » national, les combats menées et les victoires obtenus. Un récit puissant, précis, qui nous inspire.
Bonjour Huma ! Merci beaucoup d’avoir accepté cet entretien. Si cela te convient, j’aimerais bien qu’avant de parler de ton engagement dans le Balai Citoyen, tu prennes quelques minutes pour parler de toi, te présenter, et aussi nous raconter comment tu en es venu au rap.
Bonjour Jean-Michel ! Allons-y ! Alors j’ai grandi dans un petit village qui s’appelle Château-Gontier, en Mayenne. Et très tôt, j’ai été confronté aux discriminations, au racisme, à l’ignorance… J’ai trouvé dans le rap un exutoire, un moyen de parler, de chanter, de faire passer des messages, bref de m’exprimer et de partager une vision…Et puis avec le temps, j’ai aussi remarqué qu’en montant sur scène et en prenant un micro, le regard des gens changeait sur moi. Quand je rappais tout devenait magique ! Les gens écoutaient ce que j’avais à dire, je les sentais réceptifs aux messages que je faisais passer….
Tu écoutais quoi comme son ?
Alors un album qui m’a vraiment marqué à l’époque c’est le premier album des Nèg’ Marrons, « Rue Case Nègres »! C’est vraiment l’une des découvertes qui m’a fait basculer dans le Rap. Les gars savaient rapper, chanter, et ils disaient des choses dans lesquelles je me retrouvais et auxquelles je pouvais m’identifier. Faut savoir que dans le village où j’habitais, j’étais l’un des seuls noirs !
T’étais le Kamini de Château-Gontier ?
Carrément, on peut le voir comme ça! A la différence que je n’ai pas pris le parti du rire et de l’autodérision pour parler de ce que je vivais. J’ai préféré un message beaucoup plus direct et revendicatif sur fond Rap !
Quels étaient tes liens avec le Burkina Faso ?
Mon père est burkinabé et ma mère est française. Depuis petit, je suis allé régulièrement au pays, passer des moments avec la famille et le lien s’est fait. Très rapidement, j’ai confronté les deux environnements très différents dans lesquels je vivais, cela a nourrit ma musique et mes engagements…
As-tu des souvenirs de ce que tu as pu voir à l’époque ?
Je me comparais souvent avec les autres enfants de mon âge. Et du coup la première chose qui m’a choqué au pays, c’était les enfants qui mendiaient aux feux rouges, avec des boîtes de conserves de tomates. Et puis, il y avait de grosses disparités entre les endroits où j’étais accueillis, des grosses villas, où les gens avaient beaucoup de moyens, et d’autres quartiers, où la précarité était insoutenable. Je me souviens qu’un jour, alors que j’avais à peine dix ans, nous avions été accueillis avec mes parents chez un grand entrepreneur. Et là il y avait une petite fille de mon âge. Mais plutôt que de passer du temps avec nous, elle est envoyée chercher des boissons, pour ensuite nous les servir. Et là je comprends très vite qu’elle ne fait pas partie de la famille au même titre que les autres enfants. C’est une enfant, mais elle est employée de maison. Ça m’a beaucoup interrogé et plus tard, révolté….
Comment est-ce que tu as rencontré tes futurs camarades du Balai Citoyen ?
A 13 ans, je commençais le rap. Et j’enregistrais mes premières maquettes comme je pouvais ! Et là, une de mes connaissances me propose de rencontrer Smockey, un rappeur connu du pays ! Il deviendra plus tard l’un des plus grands rappeurs engagés du continent. Alors j’y vais, et du haut de mes 14 ans je lui fais écouter tout timidement ce que j’ai enregistré à l’arrache. On discute, on échange. Je le trouve super sympa, il devient un grand frère du micro et on garde le lien…Grâce à mes cousins je m’intéresse un peu à ce qui se passe au niveau du hip hop en Afrique de l’Ouest. J’écoute, je suis un peu les groupes, l’actu musicale… Dix ans plus tard, je sors mon premier album, et je retrouve Smockey au pays pour lui faire écouter. Niveau textes, je me retrouve dans son état d’esprit, je sens aussi qu’il comprend vraiment ma démarche artistique. Et puis il n’a pas changé, il est toujours aussi cool et bienveillant ! Plus tard, il m’appellera pour me proposer de rejoindre le mouvement du balai et fonder la cellule à Paris.
On est en quelle année à ce moment-là ?
En juin 2013. Le peuple burkinabè fait alors face à un fou du pouvoir, Blaise Compaoré, qui est aux manettes du pays depuis l’assassinat du capitaine Thomas Sankara en 1987. A ce moment-là, Compaoré est au pouvoir depuis 27 ans, son objectif est de modifier à nouveau la constitution pour se représenter aux élections et briguer un nouveau mandat à la tête du pays. Le genre de tripatouillage constitutionnel pour rester président à vie quoi ! Moi, à ce moment-là, je suis dans une phase de conscientisation politique et je découvre petit à petit la réalité de son régime despotique, avec la mafia qu’il a installé à la tête du pays. J’entends parler des crimes économiques, mais aussi des crimes de sang – notamment perpétré contre le journaliste Norbert Zongo… Sans parler des atteintes régulières aux droits humains, tu vois le tableau…
Est-ce que tu es déjà engagé politiquement quand Smockey te contacte ?
J’écris beaucoup, je prépare la sortie de mon 1er album, « Au-delà de nos différences », et je rencontre pas mal d’artistes engagés. Mais l’un des évènements qui me donne la force d’assumer vraiment mes convictions et de me mettre en avant, c’est quand je rencontre le groupe sénégalais Keur Gui en Avril 2013.
Les fondateurs du collectif « Y’en a marre » ?
C’est ça. Je fais leur connaissance aux Etats-Unis, lors du festival Trinity Hip Hop à Hartford. On partage une scène ensemble en première partie du groupe légendaire américain Dead Prez, et puis on échange hors des temps du festival. Et pour moi c’est une révélation. Ce sont des rappeurs engagés, qui se sont organisés pour lutter contre le régime d’Abdoulaye Wade, et qui ont réussi ! En les écoutant, moi je me dis « Waaawwww la puissance du hip-hop, c’est un truc de fou ! ».
A cette époque-là, j’avais mes convictions, mais ça ne me venait pas à l’idée de me mettre en avant ou d’être porte-parole, parce que je ne me sentais pas légitime. Certes, j’avais mes attaches au Burkina, mais je n’y vivais pas. Et du coup la question qui tournait dans ma tête c’était : qu’est-ce que je peux faire en étant ici, en France, en étant de la diaspora ? Cette conversation avec Keur Gui, c’est un tournant pour moi. Ils me disent : « Bon, toi, qu’est-ce que tu fous ? Tu dois t’engager ! Le Burkina a besoin de gens comme toi, issus de la diaspora. C’est hyper important et stratégique. » Et moi je le leur dis : « Ok, ouais, mais comment ? » Parce qu’à l’époque il n’y avait rien de constitué, et on ne parlait pas encore de monter un mouvement. Malgré tout, c’est une conversation qui me marque beaucoup. Plus tard, je retrouve Didier Awadi, une autre grande figure du hip-hop en Afrique de l’Ouest, nous avons enregistré le titre Africa ensemble, il m’encourage aussi à m’engager sur cette voie.
C’est qui ce « on » dont parle Smockey ?
Le noyau dur qui va se former autour de la création du Balai Citoyen. C’est une petite cellule composée par des membres de la société civile qui sont influents, engagés, et qui se donnent un objectif commun : empêcher la modification de la Constitution, ne pas accepter que Blaise Compaoré devienne un président à vie au pays…
Ce petit groupe qui se constitue, est-ce qu’il est fait surtout d’individus ou de représentants d’organisations ?
Ce sont des individus qui sont reconnus pour être déjà engagés dans diverses couches de la société civile. Il y a des syndicalistes, des journalistes d’investigation, des gens qui militent pour élucider la mort du journaliste Norbert Zongo, des gens du milieu de la culture, de l’éducation…
Comment est-ce que des gens issus d’horizons aussi divers ont réussi à se rassembler et à se structurer ? Est-ce qu’il y a quelqu’un en particulier qui s’est donné du mal pour contacter et convaincre tout le monde ?
C’est vrai qu’aujourd’hui quand on parle du Balai Citoyen, on pense surtout à ses porte-paroles et aux artistes comme Smockey ou Samsk Le Jah. Mais il y beaucoup d’autres personnes qui ont œuvré dans l’ombre…Des personnes influentes avec un vrai carnet d’adresse dans le monde de la culture, des droits humains, du droit et de la justice, du syndicalisme, des droits humains, du monde des médias, de la sécurité, des figures militantes etc… Effectivement je pense à une personne en particulier qui a sû tisser des liens avec un peu tout le monde et mettre les gens autour de la table pour amorcer le mouvement.
Quand on y pense, c’est quand même remarquable que des gens issus de milieux aussi divers aient réussi à s’entendre et à s’assoir autour de la même table !
Ouais, c’est vrai. D’autant plus que l’idéologie de Thomas Sankara planait dans l’esprit de nos combats, nos réflexions, nos envies. Mais la vérité, c’est qu’il n’y a pas plus divisé que les sankaristes ! Le véritable exploit salvateur, ça a été de rassembler les organisations qui étaient déjà identifiées comme opposantes au régime, et de les fédérer. D’ailleurs, quand j’y pense, c’est la première question que j’ai posée à Smockey quand il m’a contacté. Je lui ai dit : « C’est qui ce « on » dont tu parles ? « On » t’a nommé ? « On » t’a désigné ? C’est qui ? C’est quoi ? » Sur le coup, il m’a expliqué vaguement « Bon, je travaille avec un groupe », mais sans vraiment me donner des détails. Et moi je ne dis pas oui tout de suite. Je réponds à Smockey : « Je vous soutiens, mais avant de décider de mon degré d’implication, j’ai besoin de venir au pays et de vous rencontrer tous. »
Et du coup tu retournes au pays ?
Dès le mois de Juin 2013. Et c’est là que j’ai assisté à des réunions. Sans vouloir fantasmer la story, c’était chaud! On était en comité restreint, et on faisait attention à qui était là, où on se rencontrait. Parce que c’était extrêmement risqué pour tous les opposants. On savait que Blaise Compaoré ne prenait pas les choses à la légère, et puis des personnes impliquées dans le Balai avaient déjà reçu des menaces de mort, et même vécu des tentatives d’assassinat.
Où est-ce qu’elles avaient lieu ces réunions ?
Au début c’était dans les locaux d’un journal, mais qui n’était pas du tout la vitrine officielle du mouvement. On nous accueillait discrètement. Et puis avec le temps, il y a eu d’autres lieux, communiqués à la dernière minute, jusqu’à ce qu’il y ait vraiment un « QG » du Balai Citoyen qui soit mis en place. Mais ça, c’est arrivé beaucoup, beaucoup, beaucoup plus tard.
Pendant ta première réunion, vous êtes combien autour de la table?
Ce jour-là, on est sept ou huit personnes. Et moi j’arrive avec des grands yeux, comme ça. Mais je me rends vite compte de qui est autour de la table. Certaines sont des personnalités publiques et je connais déjà leur engagement. Des gens que je respecte, super compétents, crédibles, qui savent ce qu’ils font. Et là je me dis encore plus « Waaaaaw, est-ce que j’ai vraiment ma place ici ? Qu’est-ce que je peux vraiment apporter à des gens aussi expérimentés ? » Mais tout le monde me met à l’aise, et rapidement je me sens suffisamment en confiance pour dire « Ok, je valide, je sens que j’ai ma place, les vibes sont saines, je ne peux plus reculer ».
Comment est-ce que tu fais pour t’organiser à partir de là ?
Très rapidement je demande à avoir un contact, un référent du mouvement avec qui je peux échanger régulièrement pour avoir les infos. Qui fait le lien ? Comment ça se passe ? Parce que moi je suis de l’autre côté, et il fallait bien qu’on puisse communiquer, tout en restant discret. A l’origine, j’avais plutôt un contact privilégié avec Smockey, mais là il fallait un peu formaliser les choses. C’est pour cette raison qu’un membre du mouvement qui s’appelle Serge a été nommé référent des « Ambassades Cibal », c’est-à-dire des groupes de soutien au sein de la diaspora à l’étranger. A l’époque, il n’y avait que moi, mais l’idée c’était d’aller plus loin. Ensuite, le mouvement a mis en place des connexions avec des militants de la diaspora Burkinabè en Allemagne, Etats-Unis, Canada…
« Cibal », ça veut dire quoi ?
C’est la contraction du Balai citoyen, les deux premières syllabes des 2 mots !
Quand vous démarrez, est-ce que vous avez quelques ressources ? Des financements ?
Pas à mon niveau, au tout début on met en place une petite collecte, pour que les membres du groupe qui le peuvent puisse cotiser un peu. Mais en vérité tout se fait un peu à la débrouille. Par exemple, le jour où j’ai reçu le logo, j’ai dit « l’idée est cool mais il faut que l’on retravaille le format pour qu’il soit adapté à tous les supports. » Et j’ai payé un ami graphiste pour le refaire. Chacun faisait à hauteur de ce qu’il pouvait et quand il y avait une action qui devait se mettre en place, on faisait un appel à des cotisations. Et de fil en aiguille, à mesure que le mouvement a pris de l’ampleur. Beaucoup plus tard le balai a pu obtenir des financements mais qui n’ont pas concerné la diaspora. A notre niveau au Balai citoyen de Paris nous ne comptions que sur des collectes militantes et la solidarité entre nous, système D !
Comment est-ce que le mouvement est structuré au pays ?
Au pays nous avions une coordination nationale avec une dizaine de membres max. Les échanges dont j’étais témoins étaient organisés par une boucle mail ou nous réagissions, j’avais accès à des comptes rendus partagés rédigés après des réunions. Sur le terrain, les clubs cibals remontaient les infos des activités militantes.
Pour se coordonner en réactivité, un groupe messenger et Whatsapp, utilisé dans les périodes un peu tendues où il fallait être très réactif.
Et au niveau local ?
Il y a des « Clubs Cibal » qui ont été mis en place dans tout le pays et qui s’articulaient à plusieurs échelles géographiques : quartier, ville, province.
Pourquoi vous choisissez le mot « club », plutôt que par exemple « comité de soutien » ou « groupe local » ?
Je ne sais pas trop. Par contre ce que je peux dire c’est qu’on a vraiment créé des espaces où les gens n’avaient pas la langue dans leur poche. C’était peut-être ça, l’esprit « club Cibal ». On incitait les gens à dire ouvertement ce qu’ils pensent, même s’ils n’étaient pas d’accord. Même en interne, il y avait un droit de critiquer et on se disait vraiment les choses.
Extrait du Manuel des Clubs Cibal
« Créer un club
Vous êtes indignés mais isolés. Vous voulez vous engager et passer à l’acte. Vous voulez sortir du troupeau et assumer votre conscience et votre pleine citoyenneté. Vous partagez la soif, la détermination et l’engagement du mouvement balai citoyen. Vous avez des idées pour contribuer au changement social et à l’avènement du Burkina nouveau post 2015. Vous connaissez des personnes souhaitant en faire de même et s’impliquer dans la défense de l’intérêt national. Mais il n’existe pas de club CiBal près de chez vous. Ne vous inquiétez pas. C’est exactement de cette façon que tous les clubs-cibals se créent.
Il est souhaitable que les clubs-cibals soit constitués par des personnes proches soit de par leur milieu de vie ; soit de par leur profession. De sorte qu’ils puissent facilement et rapidement se réunir pour toute fin utile.
On entend :
- par milieux de vie : la famille, le 6 mètre ou rue, le quartier ou le secteur ;
- par lieux de fréquentation ou de loisirs : le grin de thé ou le possee, le terrain de sport, le maquis, le kiosque, etc ;
- par milieux de travail nous entendons, le cadre professionnel (services, association, entreprise, marché, etc.) -par milieux d’étude : lycées et collèges, instituts sup, universités, UFR, etc.
Dans tous les cas, pour constituer un club CiBal , il vous faut :
a) Etre au nombre d’au moins 6 personnes.
b) Trouver un nom spécifique mais chaque club devra garder l’appellation « club cibal » en ajoutant le nom spécifique de son choix.
Par exemple : Club Cibal zone 1- rue 27 ; ou Club Cibal ISIG-bobo; Club Cibal Dioulassoba-Est ; Club Cibal Airtel-Fada ; etc.
c) Vous organiser et mettre en place un bureau de club comprenant :
- 1délégué principal du Club chargé de la gestion activités du club et de la coordination du mouvement balai citoyen au niveau du club et de sa zone d’envergure.
- 1 délégué à la mobilisation, au recrutement et à l’organisation de nouveaux cibals.
- 1 délégué aux finances et à l’autonomisation du club
- 1 délégué aux initiatives ou actions citoyennes pour le changement social au niveau local
- 1 délégué à la formation et à l’éducation populaire
- 1 délégué à la collecte des propositions citoyennes pour un Burkina nouveau post 2015 (projet de société d’origine citoyenne
d) Contacter ensuite (par mail ou téléphone) la structure central du mouvement (dénommé « gouvernement cibal ») à l’email indiqué plus haut ou au numéro de téléphone ci- dessous pour faire votre demande d’adhésion et joindre la liste du bureau et le contact des membres (délégués)
e) le gouvernement cibal (à travers le ministre cibal de l’intérieur chargé de l’organisation et de l’administration du mouvement), vous donnera les orientations nécessaires sur vos missions et procédera à votre reconnaissance et vous intégrant dans sa base de données (REGISTRE ou REPERTOIRE CIBAL).
Vous recevrez notamment au cours d’un cérémonial initiatique au cibalisme (ou « le baptême du balai ») :
- La charte des valeurs du mouvement
- Une Lettre de mission et de reconnaissance
- Le manuel ou guide du CIBal
- L’arsenal cibal (Logo, balai et autres attributs utiles) «
Est-ce que ce maillage territorial s’est fait spontanément ? Ou est-ce que vous avez procédé à une cartographie avant de lancer les clubs ?
On a fait une vraie cartographie, par quartier, en se disant simplement : « Dans tel quartier ou telle ville il nous faut un club. ». Après, quand le mouvement s’est répandu, certains clubs sont nés plus spontanément. Par exemple, à Ouagadougou, on a parfois pu voir plusieurs Clubs Cibal se créer dans le même quartier. Un point d’honneur était donné à l’inauguration des Clubs Cibal.
Cet article de l'Université Populaire des Luttes
Comment est-ce que vous recrutiez pour créer ces clubs ?
Souvent c’était quelqu’un du quartier qui allait recruter autour de chez lui, en premier lieu dans son cercle social, notamment auprès des « grins », qui sont des groupes de jeunes qui se retrouvent, pour boire du thé, échanger, discuter…Et puis une fois qu’ils étaient assez nombreux pour créer un club (au minimum 6), ils nous envoyaient un mail ou nous contactaient par la page Facebook en disant : « On est intéressés, on veut rejoindre le mouvement. » De notre côté, nous avions quelqu’un qui était chargé spécifiquement de prendre contact avec eux, de faire le lien, et de les accompagner dans la création de leur club.
C’est génial ! Et du coup, ton Ambassade Cibal à Paris, c’était un Club ?
Oui et Non…Nous avions le statut d’une « Ambassade Cibale » ! Notre principale mission, c’était de représenter le mouvement à l’extérieur, ce qui fait que même si on avait à peu près le même fonctionnement qu’un club, nous n’avions pas les mêmes statuts, nous portions une voix dans la coordination nationale et nous avions la responsabilité de porter la parole du mouvement sur des médias internationaux. Nous devions faire en sorte d’être une caisse de résonance pour l’extérieur et la diaspora afin de dénoncer ce qui se passait au pays.
Et toi tu es installé où à ce moment-là ? A Paris ?
A ce moment-là je suis installé à Cergy, je file ma vie d’artiste et de jeune Papa. Je fais des concerts, je viens de sortir mon 1er album et j’anime des ateliers d’écriture avec mon association. J’organise mes journées entre cette vie et mon engagement au Balai Citoyen. Pour monter l’Ambassade Cibal à Paris, Smockey me mets en contact avec une personne qui va être déterminante pour la suite : Bruno Jaffré, biographe de Thomas Sankara, animateur du collectif « Réseau Justice pour Sankara ». Son collectif fait également un gros travail de recherche et d’archivage autour du capitaine Sankara disponible sur le site internet.
Comment se passe votre rencontre ?
D’abord on échange au téléphone. Bruno voit bien que je n’ai pas beaucoup d’expérience militante, mais comme je suis plein de bonne volonté, il m’encourage et me donne des conseils. Lui-même est très engagé, il sait comment la machine fonctionne en France et connait les bonnes adresses des réseaux militants. Il me dit « Ecoute, j’organise un événement le 31 décembre 2013 pour la commémoration de la mort de Sankara, dans une salle à Villejuif. On peut en profiter pour que tu rencontres des sympathisants et tu pourrais y lancer un appel. » J’accepte. Et je me retrouve quelques mois plus tard à Villejuif, dans une petite salle, avec des membres de la diaspora, des amis et sympathisants de Thomas Sankara…Bruno s’adresse aux personnes présentes et dit « Je vous présente Humanist, un artiste qui revient du pays et qui a des choses à vous dire sur la situation là-bas. » Je lance alors mon appel et je demande au groupe « si vous voulez me rejoindre pour monter une antenne du Balai, ici à Paris, venez me voir à la fin. » On fait comme ça, et je me retrouve à la fin avec quelques personnes motivées, dont je récupère les adresses mail et les numéros de téléphone sur un simple bout de papier.
Comment est-ce que le petit groupe s’organise après ça ?
Je fixe un rendez-vous à tout le monde à Châtelet-Les Halles, et on se retrouve là, dans la rue, pour échanger.
Vous vous retrouvez dans la rue ?
Oui ! Moi au départ je n’y connais rien du tout en organisation militante, je ne pouvais qu’être spontané dans ma démarche ! J’ai juste pris le mail de tout le monde et proposé une date, un lieu, et c’est tout. Pas d’ordre du jour, rien du tout ! Rendez-vous devant chez Foot Locker, à Chatelet-Les Halles, et on verra bien ! Et finalement ça se passe bien. Même s’il fait froid – on est en janvier 2014 – les gens viennent, et on se retrouve à 7 ou 8 personnes comme ça. On discute et on finit par aller boire un café quelque part. On parle de la situation au pays, on parle politique, puis chacun rentre chez soi. Deuxième rendez-vous, pareil. Troisième rendez-vous, pareil. Et là je me dis qu’il faut qu’on commence à se structurer un peu. Je commence à me poser des questions d’organisation : quels sont nos besoins ? Comment est-ce qu’on peut se répartir les rôles ? Est-ce qu’on crée une association ? Est-ce qu’on prépare un ordre du jour et comment ? Et petit à petit, à partir de Février-Mars, des « casquettes » sont dispachées aux personnes qui s’engagent dans le groupe, en fonction des compétences de chacun.
Manifestation à Paris, crédit : le Balai Citoyen
Est-ce qu’il y a d’autres personnes qui t’aident dans ce travail de structuration ?
J’échange beaucoup avec un petit cercle. On est vraiment sur la même longueur d’onde, on communique régulièrement sur tous ces enjeux-là, et de fait on se retrouve à impulser les actions avec tout le groupe, c’était dans un esprit assez free et avec des décisions toujours prises collectivement…
Comment se passe la répartition des rôles ?
D’abord j’ai beaucoup réfléchi sur les rôles eux-mêmes : de quoi on a besoin ? Et ensuite j’ai progressivement proposé aux gens de se positionner où ils se sentaient le plus à l’aise. Après, tout n’a pas été évident. Il y avait des personnes qui ne se sentaient pas forcément à l’aise dans leur rôle, ou qui ne pouvait pas tenir la charge de travail…Et donc il fallait qu’on garde une vraie souplesse dans la répartition des tâches et des rôles.
Vous organisez des réunions souvent ?
Une fois tous les 15 jours. Le moins que l’on ait fait, c’était une par mois. Et dans les moments chauds, c’était toutes les semaines, voire plusieurs fois dans la semaine. A cette période on communique tous les jours, on s’échange des nouvelles du QG de la coordination nationale grâce à un groupe Messenger où le mouvement est très actif. A partir de tout ça, commencent à naître des idées d’actions : on réfléchit à mettre en place des mobilisations, des sit-ins… Au bout d’un moment, on fait le choix de participer à des conférences, des tables rondes autour d’action panafricaines, des réunions d’information publiques, c’est en partie comme ça que nous avons pu élargir notre cercle…
Et en parallèle, le mouvement se lance au pays ?
Oui, les portes paroles et artistes du mouvement font des interviews, ils prennent la parole dans leurs concerts. Les clubs se créent et la mobilisation démarre. De notre côté, on organise quelques manifestations à Paris. Et au fur et à mesure que le mouvement prend de l’ampleur, des chaînes de TV internationales commencent à nous solliciter pour commenter ce qui se passe au pays. Avec le temps, certaines personnes s’aperçoivent qu’elles ne sont finalement pas à l’aise en tant que porte-paroles, et au final l’Ambassade Cibal de Paris finira par un nombre restreint de porte-paroles qui interviennent dans les médias à tours de rôle. De mon côté, je suis assez vite identifié comme représentant du mouvement à Paris. Le dernier single que je viens de sortir est en téléchargement libre, prémonitoire de ce qui allait se passer les 30 et 31 octobre 2014…. Mais compliqué à diffuser pour les radios au pays avec ce contexte : « Pays des hommes intègres ».
En Mars 2014, l’Ambassade Cibal de Paris accueille combien de membres actifs ?
Environ une quinzaine de personnes avec un petit noyau dur. Au début, on participait à des manifestations organisées par divers collectifs, j’ai en tête la mobilisation pour des militants de la RDC. Comme c’était le cas au pays, on s’est mobilisé aux côtés du CFOP qui rassemblait des partis politiques et des mouvements de la société civile afin de s’opposer au tripatouillage de la constitution. Au début on se greffait aux initiatives existantes pour rencontrer et soutenir de nouvelles personnes. On est resté informel pendant un certain temps, puis pour déclarer nos propres actions, on a créé une association.
Quand est-ce que tu t’es dit « Ca y est, on a de l’impact, on est entendus au pays » ?
Dès que les chaînes de TV ou les radios ont commencé à nous tendre les micros et à nous inviter sur les plateaux, ça a changé beaucoup de choses. A ce moment-là, je me suis rappelé de ce que m’avaient dit les membres de Y’en a marre, sur le rôle stratégique de la diaspora dans les médias : France 24, RFI, Africa N°1… Parce que ces chaînes-là, tout le monde est connecté dessus au pays. Ce qui fait que quand on faisait un passage, c’était tout de suite remarqué, on en ressentait les impacts, notamment sur les réseaux sociaux.
À quel moment est-ce que Compaoré s’enfuit ?
Les 30 et 31 Octobre 2014, Il y a eu un grand soulèvement populaire dans tout le pays. L’armée française l’exfiltre en Côte-d’Ivoire, une transition se met en place, qui durera jusqu’à la réélection d’un nouveau président. Les 30 et 31 octobre 2014 ont été une surprise pour tout le monde dans le pays. Personne ne s’est levé ce matin-là en se disant : « Aujourd’hui, c’est l’insurrection ». On avait pas imaginé ça, il faut reconnaitre que les évènements nous ont vraiment pris de court !
Est-ce qu’à ce moment-là tu te dis que le Balai Citoyen a accompli sa mission ?
En partie, nous avions passé une étape, gagner une bataille, pas la guerre… ! On ne se débarrasse pas d’un régime dictateur de 27 ans d’un coup de baguette magique… D’ailleurs, un an plus tard, en septembre 2015, les militaires tentent un coup d’état contre la transition. Je me rappelle qu’à ce moment-là, je suis en plein débat sur France 24. Et qu’après coup j’apprends que le fils d’une connaissance s’est fait arrêter dans sa voiture par le RSP (Régime de sécurité présidentielle), avant d’être passé à tabac, parce qu’il me ressemblait et que des soldats du RSP l’auraient pris pour moi. Je les avais traité de « terroristes » pendant le débat, ça n’a pas dû leur plaire ! Tout le temps du coup d’état on a été sur la brèche. C’était un moment très dur. Le studio de Smockey a été attaqué par des roquettes et sa famille l’a échappé de peu. A Paris, on a mis en place des sit-ins, des manifestations devant l’ambassade à Paris. L’Ambassade Cibal de Berlin a monté une web-radio puis à Ouaga, des amis proches ont monté une radio FM pirate pour informer la population et faire passer des messages. Au final, le coup d’état qualifié au pays « de plus bête du monde » a duré 15 jours avant que le président de transition puisse reprendre sa place et dissoudre le RSP.
Pourquoi est-ce que c’était aussi gênant pour les militaires que vous passiez sur France 24 ?
Parce que nous étions libres de nous exprimer et d’être entendu par le plus grand nombre, à l’intérieur et hors de nos frontières pour dénoncer leurs agissements. Pas de censure, on pouvait faire passer des messages que les militants au pays ne pouvaient pas toujours faire passer à l’instant T.
Après cet épisode violent, est-ce que tu restes actif au Balai Citoyen ?
Avec le groupe, nous sommes restés mobilisés un certain temps. A Paris et ailleurs, on continuait à nous solliciter, beaucoup pour témoigner. Et j’ai commencé à ressentir de l’épuisement à force de faire le tour des tables rondes. Faut pas oublier que nous avons mis certaines de nos activités entre parenthèses à cette période, sans ménagement et sans avoir réellement été préparé…la musique, les studios, créer, tout cela commençait à me manquer…Comme d’autres j’imagine !
Et puis les membres du mouvement ont commencé à se poser la question : que fait-on du Balai Citoyen ? Est-ce qu’on devient un parti politique ? Restons-nous des sentinelles citoyennes ? Et puis l’ennemi qu’on avait en commun n’était plus là, ce qui a amené beaucoup de débats entre les partisans de la « veille citoyenne » et celles et ceux qui voulaient « s’engager sur le terrain politique ».
Je reste aujourd’hui très attaché à toutes les actualités en lien avec le Balai, et heureux d’avoir apporté ma pierre à l’édifice…
Sur le terrain, est-ce que les clubs restent actifs ?
Les cellules locales participent à des activités, créent des formations, des programmes pour accompagner des « Jeunes leaders ». Par ailleurs, certains ont quitté le balai pour s’engager dans l’aventure politique, une règle a été posée, les gens qui prennent des responsabilités dans un parti ne peuvent exercer des responsabilités en tant que membre du Balai.
Manifestation à Paris, crédit : le Balai Citoyen
Merci à toi Jean Michel et à toute ton équipe d’Organisez-vous pour cet entretien.
Un big up à toute la Cibale Family, toutes les personnes qui m’ont inspiré, donné de la force, avec qui j’ai partagé des moments indescriptibles dans les bons et les mauvais moments.
Mes pensées pour toutes les victimes du régime Compaoré et à leurs familles.
Sans justice, pas de paix.
Huma
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Les mouvements sociaux en Afrique de l’Ouest
Fiche de lecture de l’ouvrage dirigé par Ndongo Samba Sylla.
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