Agir syndicalement pour contrer les mensonges de l’extrême droite

par | 28/03/22

En 1996 naît l’association intersyndicale VISA, Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes. Elle regroupe aujourd’hui 120 structures syndicales en France. VISA recense, analyse et dénonce les incursions de l’extrême droite sur le terrain social. Depuis 2013, l’association propose en particulier des formations à destination des équipes syndicales qui en font la demande. L’idée est de les aider à s’outiller afin d’identifier et de contrer les discours mensongers et dangereux de l’extrême-droite au sein de leur administration ou entreprise. Sébastien, cheminot syndiqué à Sud Rail, est mandaté par sa fédération pour faire partie de VISA. Il revient avec nous sur le travail réalisé par l’association : le contexte de sa création, ses objectifs, ses modalités d’action. Dans une période où les idées et mensonges de l’extrême-droite occupent une grande place médiatique et dans l’opinion publique, l’organisation collective et l’éducation populaire, notamment via le monde syndical, est cruciale.

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En 1996 naît l’association intersyndicale VISA, Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes. Elle regroupe aujourd’hui 120 structures syndicales en France. VISA recense, analyse et dénonce les incursions de l’extrême droite sur le terrain social. Depuis 2013, l’association propose en particulier des formations à destination des équipes syndicales qui en font la demande. L’idée est de les aider à s’outiller afin d’identifier et de contrer les discours mensongers et dangereux de l’extrême-droite au sein de leur administration ou entreprise. Sébastien, cheminot syndiqué à Sud Raid, est mandaté par sa fédération pour faire partie de VISA. Il revient avec nous sur le travail réalisé par l’association : le contexte de sa création, ses objectifs, ses modalités d’action. Dans une période où les idées et mensonges de l’extrême-droite occupent une grande place médiatique et dans l’opinion publique, l’organisation collective et l’éducation populaire, notamment via le monde syndical, est cruciale.

Bonjour Sébastien, est-ce que tu peux commencer par te présenter et nous expliquer comment tu comprends le thème « s’organiser face aux mensonges » ?

Bonjour, je m’appelle Sébastien, je suis cheminot syndiqué à Sud Rail 1 et à ce titre, je suis mandaté par la Fédération 2 pour participer à VISA (Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes).

Ce thème me parle car l’extrême-droite se répand en mensonges afin d’élargir son électorat. Elle cherche notamment à étendre ses idées aux classes populaires, parmi lesquelles des ouvrier·es, des employé·es. Le recours à la rhétorique du bouc-émissaire de l’immigration, supposée responsable de tous nos maux, est ainsi courant et utilisé aujourd’hui de manière violente. Ces mensonges peuvent aussi parfois séduire certain·es syndicalistes.

Je précise que ce n’est d’ailleurs pas un fait nouveau. Prenons les débuts du syndicalisme de lutte et notamment le syndicalisme révolutionnaire à la fin du 19ème siècle, avec la création de la CGT en 1895. A cette époque,  « le syndicat jaune » a été créé, il a duré jusqu’à la Première guerre mondiale. Il s’agissait d’un pseudo-syndicalisme s’opposant aux grèves et à la luttes des classes. D’ailleurs, l’expression « les jaunes » fait référence aux briseur·ses de grève, financé·es par le grand patronat et les mouvements réactionnaires. Les années 1930 ont aussi été marquées par des tentatives de création de syndicats d’extrême-droite, liés aux Ligues. 3

Comment cette incursion de l’extrême-droite dans le syndicalisme s’est-elle manifestée sur le plan des idées? 

Cela s’est notamment manifesté par la défense d’un des projets phare de l’extrême droite, qui est « la préférence nationale ». Théorisé en 1985 par Jean-Yves Le Gallou (ancien cadre du Front National ayant récemment rejoint Eric Zemmour), ce projet dessine une société complètement discriminatoire. Leur objectif est d’inscrire ces discriminations dans la Constitution Française et de créer une société totalement discriminante, notamment envers les personnes ne disposant pas de papiers français.

Sur ce sujet, je précise qu’en 2011, un appel intersyndical des confédérations CGT, CFDT, UNSA, FSU et Solidaires a été diffusé, indiquant que la préférence nationale4 est incompatible avec les valeurs du syndicalisme. Le syndicalisme dont on se revendique lutte contre toute forme de discrimination, racistes, sexistes et autres.

 

Peux-tu présenter VISA ?

C’est une association loi 1901 qui existe depuis 1996. A l’époque elle faisait partie de l’association antifasciste Ras l’Front (association née au début des années 1990 et luttant contre le Front national et l’extrême-droite). VISA vise à lutter syndicalement et unitairement contre le développement de l’extrême droite et de ses idées, en développant des informations, réflexions et outils pour lutter collectivement.  L’association recense, analyse et dénonce les incursions de l’extrême droite sur le terrain social.

En 2022, VISA compte plus de 120 structures syndicales. On y retrouve par exemple Solidaires, la FSU, des fédérations de la CGT, deux syndicats de la CFDT, le syndicat CNT SO et le syndicat de la magistrature. Ce qui montre que la dimension unitaire est très large au niveau syndical.

Son financement repose exclusivement sur des cotisations de structures syndicales et sur les ventes de livres et de brochures, même si elles sont quasiment au prix coûtant. L’activité est entièrement bénévole, elle se fait soit sur le temps syndical soit sur le temps personnel. La cotisation est forfaitaire 80€/an/syndicat, ensuite les syndicats peuvent donner plus en fonction de leurs moyens financiers.

 

retour sur le Contexte de création de VISA

Pour comprendre la création de VISA, il faut reprendre le contexte de l’époque. Né en 1972, le Front national permettait de faire la synthèse de différents courants politiques de l’extrême-droite, marginalisés depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. En 1983, coup de tonnerre : une alliance électorale est faite à Dreux, entre le Rassemblement pour la République et le FN. L’extrême droite continue sa percée électorale avec les élections européennes de 1984 puis en 1986, à l’Assemblée nationale. En 1995, plusieurs villes en France sont conquises électoralement par l’extrême-droite. Elles constituent des villes laboratoires dans le sud-est de la France. Parallèlement, des crimes racistes directement liés à l’extrême-droite et au Front national ont lieu (meurtre de Ibrahim Ali Abdallah et Brahim Bouharam notamment).

Le paysage antifasciste de l’époque était composé d’associations telles que la LDH 5, le MRAP 6 ou la LICRA 7. En 1990, deux mouvements se structurent : Ras l’Front 8 et le mouvement SCALP9. Ras l’Front était un mouvement assez large et unitaire, qui a perduré jusqu’en 1998, avec des sections locales. Un de ses objectifs est que pas un seul meeting du FN ne se passe sans qu’il y ait une riposte antifasciste la plus large possible.

En 1996, le Front nationale continue son offensive en investissant les espaces syndicaux : le parti crée plusieurs syndicats étiquetés FN (Force nationale police, FN pénitentiaire, FN transports en communs Lyonnais, FN transports en commun et FN RATP). Ces syndicats étiquetés FN ont été invalidés en Cour de Cassation10 grâce à une contre-offensive syndicale.

Pour faire face à ces attaques, des syndicalistes actif·ves au sein de Rasl’Front créent une commission syndicale de riposte afin de se battre sur le plan juridique et sur le terrain, lors des manifestions. En 2000, ce mouvement syndical s’est autonomisé de Ras l’Front, par volonté de nombre de personnes de continuer la lutte de manière plus autonome. VISA a donc été créé, regroupant des structures syndicales avec des personnes mandatées par leur syndicat.11.

Cet article de l'Université Populaire des Luttes
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Quelles étaient les modalités d’action de VISA au moment de sa création et comment est-ce que ça a a évolué ?

La commission syndicale a organisé dès 1996 des rencontres de syndicalistes, avec la volonté de développer une riposte syndicale unitaire. Un appel de syndicalistes unitaires « tous ensemble contre le fascisme et contre le racisme » a aussi été diffusé dès mars 1996, suivi de plusieurs rencontres pour lutter contre les syndicats étiquetés FN. C’est important parce que FN Police avait recueilli pas mal de voix aux élections interprofessionnelles en 1995 (c’était alors le premier syndicat étiqueté Front National, les quatre autres datent de 1996). A ce titre il bénéficiait de 25 permanent·es, 500 000 francs à l’époque de subventions et un siège au comité technique paritaire. Il fallait stopper à tout prix cette implantation syndicale. Nous nous sommes aussi aperçu·es que des militant·es FN cherchaient à s’infiltrer dans les structures syndicales existantes, à faire ce qu’on appelle de l’entrisme.

Très vite ces rencontres de syndicalistes ont permis de réaliser un maillage territorial sur toute la France et de faire le point sur ce qui se passait vis-à-vis de cette offensive sociale du Front National. Si la plupart des syndicats (tel que la CGT, CFDT, UNSA) ont exclu les personnes infiltrées dans les syndicats, ça n’a pas été le cas partout.

VISA organisait à l’époque des rencontres de syndicalistes ainsi qu’un bulletin, ISA « Information syndicale antifasciste ». C’était important à l’époque d’informer de manière régulière sur les offensives de l’extrême-droite dans le monde du travail et vis-à-vis des syndicats.

Le réseau s’est progressivement étendu et a développé de nouveaux outils, notamment lors de son autonomisation. En 2000 a été créé son site internet et en 2002, VISA a publié aux éditions Syllepse le livre « Le Front National au travail ». Ce livre met en avant les faits, analyses et ripostes syndicales face à l’extrême droite.

 

Crédits : Syllepse.net

Une décision juridique majeure

En avril 1998, les confédérations CGT et CFDT déposent un recours devant la Cour de Cassation contre FN Police et FN pénitentiaire. Aujourd’hui, Cet arrêt de la Cour de Cassation fait jurisprudence. Il aborde le lien des dirigeant·es de ces syndicats avec un parti politique puisqu’ils étaient également des cadres du Front national. Cet appel précise également que la préférence nationale est anticonstitutionnelle et contraire aux textes européens sur le sujet. C’est la raison d’être des syndicats de lutter contre toute forme de discrimination et notamment les discrimination racistes et sexistes. Le racisme, sous différentes formes, est un invariant de l’extrême droite ainsi que l’ordre moral (les attaques contre le droit des femmes, minorités de genre et minorités sexuelles).

120 structures adhérentes au niveau national, ça fait beaucoup de monde ! Comment fonctionne VISA en termes d’organisation générale ?

Depuis 2014 et les victoires électorales du FN (mairies de Hénin Beaumont et Hayange 12, mairie du 13/14e arrondissement de Marseille, Fréjus par exemple), nous développons des VISA au niveau local.

VISA 13 est créé en février 2014, c’est la première déclinaison départementale de VISA, toujours sur une base unitaire (qui rassemble plusieurs syndicats). Les VISA locaux se créent forcément avec des structures unitaires, c’est-à-dire des fédérations, locales. Ainsi VISA 13 rassemblait des militants de la CGT, SOLIDAIRES, FSU, CNT SO qui ont choisi de s’organiser au niveau local.

Depuis il y d’autres VISA locaux qui se sont créés. Par exemple VISA 34 à Béziers contre Robert Ménard ou encore VISA 66 à Perpignan dès que Louis Aliot a conquis la municipalité en 2020. D’autres encore sont en cours de constitution, en Bretagne, en Isère etc.

 

Donc l’évolution se situe surtout dans la création de VISA locaux pour s’adapter au contexte local et être proche du terrain ?

Il y a ça effectivement, car les extrêmes droites sont variées. Il y a évidemment le Front national devenue Rassemblement national, Zemmour et des groupuscules. Les syndicats subissent des attaques sur des locaux syndicaux, des militant·es, lors des manifestations mais on considère qu’il faut construire des forces au niveau local adaptées aux contextes particuliers.

Une autre évolution de VISA depuis 2013, c’est au niveau de ses outils de lutte, puisque l’association, à la demande des syndicats, propose des actions de formation.

 

Le travail de recherche mené par VISA

Sur le plan de l’information et des analyses, en plus de la publication de livres, VISA réalise des dossiers thématiques. En 2021, il y en a eu 3 :  sur l’appel des généraux, sur l’extrême-droite et ses tentatives d’implantation dans les mouvements anti-pass sanitaire et sur l’extrême-droite et la division des tâches notamment la sous-traitance de la violence politique avec des groupuscules.

Depuis 2014, l’association réalise des chroniques régulières qui s’appellent « Lumière sur mairies brunes ». Ce travail est rendu possible grâce au maillage territorial et au travail de syndicalistes dans des villes tenues par l’extrême-droite, avec des syndicalistes qui ont parfois comme employeur des maires d’extrême-droite.

Dossier n°8 de VISA : Contre les virus de l’extrême-droite, VISA développe son vaccin AntiRN | Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes (visa-isa.org)

Peux-tu nous en dire plus sur la place de la formation dans la stratégie de lutte de VISA ?

On l’a surtout développée en réponse à des structures syndicales qui voulaient outiller leurs équipes militantes face au discours de l’extrême-droite. L’extrême-droite est très diverse et les discours sur le racisme et les questions d’ordre moral se diffusent dans le monde du travail, qu’il s’agisse du secteur public ou privé, parmi les salarié·es, les usager·es, les client·es.

En 2013 on a répondu aux premières demandes de structures syndicales, notamment dans l’Ariège à Foix et en Isère à Grenoble avec des contextes locaux très différents. C’était à l’appel d’unions départementales qui regroupaient CGT, FSU, Solidaires mais aussi CFDT et donc avec des demandes unitaires de formations. Depuis on a fait plus de 170 formations sur 60 départements. L’aspect unitaire n’est pas sytématique, mais il nous semble important car il permet aux équipes de se rencontrer et d’agir ensemble sur le terrain de la lutte antifasciste. Les syndicats nous semblent être un rempart extrêmement important car ils représentent des centaines de milliers d’adhérent·es. On touche un public assez massif et pour nous le syndicalisme est à la pointe de cette riposte.

La formation comprend toujours un aspect historique pour se réapproprier notre histoire syndicale. L’autre partie des formations expose la diversité de l’extrême droite, ses capacités à s’adapter au contexte politique, social, économique de chaque époque. Cette capacité à la fois de s’adapter à différents publics, on l’observe entre Marine Le Pen et Zemmour par exemple. Ce n’est pas tout à fait le même discours mais c’est évidemment un projet politique d’extrême-droite qu’il sous-tend. Il faut décortiquer et comprendre comment cela se traduit dans la réalité du monde syndical, du monde du travail et au niveau local, en partant de la réalité des participant·es.

 

Se réapproprier l’histoire syndicale et l’origine de ses valeurs

Au 19ème siècle le syndicalisme a été confronté au développement du capitalisme ainsi qu’à l’utilisation par le patronat de travailleur·ses migrant·es italien·nes contre les travailleur·ses français·es, afin de faire baisser les salaires. En 1893 ont lieu les tueries d’Aigues Mortes, avec les massacres d’ouvrier·es Italien·es, incarnation d’une xénophobie meutrière. Le contexte est aussi marqué par l’affaire Dreyfus, avec un antisémitisme assez répandu dans toute la société, milieu syndical et milieu de gauche y compris. C’est à cette époque que le mouvement ouvrier se positionne contre la xénophobie et l’antisémitisme, qui cherche à les diviser.

La tradition antifasciste est forte depuis les années 1930 dans le monde syndical. Ainsi, le mouvement syndicaliste est héritier de ces luttes contre le racisme et l’antisémitisme, s’incrivant dans une tradition de lutte des classes internationaliste.

Quels sont selon toi l’intérêt et la force de ces formations ?

Je pense que même si le monde syndical s’est affaibli, il a encore cette force qui est de rassembler des milliers de personnes dans la rue. Les syndicats portent un projet de transformation sociale, ayant un vrai ancrage dans les réalités du terrain. Le volet formation s’ancre dans ces réalités, puisque les formateur·ices amènent des cas pratiques basés sur ces réalités de terrain vécues par les équipes syndicales.

 

Ainsi l’objectif est que les participant·es repartent avec des moyens d’action concrets?

Oui tout à fait. On va travailler sur la mobilisation des outils conventionnels du syndicat du type CSE13 ou encore les outils juridiques (les lois antiracistes Pleven de 1972, Gayssot de 1990, Taubira de 2001, des lois d’ailleurs fortement combattues par l’extrême-droite au nom de la liberté d’expression). Mais on travaille aussi sur des formes de mobilisation plus concrètes.

On commence en général par faire des jeux de rôle autour de cas concrets de lutte syndicale contre l’extrême-droite ou contre le racisme dans les entreprises. Puis on échange et on se partage des pistes d’action. Ensuite les participant·es sont invité·es à construire leurs propres argumentaires syndicaux.

Je vous donne deux exemples. Nous sommes intervenu·es à plusieurs reprises auprès de syndicats de l’Education Nationale.  Très récemment a été rendue publique une campagne unitaire avec un site internet contre l’extrême-droite 14, ce qui est un signe très fort !). Cette action découle d’une intervention au sein de conseil syndicaux qui perçoivent les menaces et les offensives sur l’éducation dans les programmes de l’extrême-droite.

Un autre exemple : à l’automne 2021, Solidaires RATP a organisé une mobilisation pour faire face à un manager qui tenait des propos racistes et islamophobes sur les réseaux sociaux. Les camarades de la RATP ont écrit des tracts, ont organisé des rassemblements et ont offert leur soutien aux collègues qui étaient stigmatisé·es et choqué·es. Elles et ils avaient la volonté de proposer lors de cette mobilisation des espaces de parole aux salarié·es de la RATP sur ce qu’ils et elles avaient pu vivre, et ont témoigné du racisme au sein de l’entreprise . Cette mobilisation est devenue un « cas d’école » et est depuis utilisé dans le cadre des formations de VISA : « un manager de votre entreprise ou de votre administration se répand sur les réseaux sociaux en propos racistes, que faites-vous syndicalement. Cela a permis de faire sortir la parole d’autres syndicalistes sur ces sujets. Des salarié·es de la RATP mais aussi de la CGT transport logistique par exemple, ont ainsi pu témoigné du racisme au sein de l’entreprise et réfléchir à comment lutter concrètement contre le racisme et toute forme de discrimination au sein de la structure.

Tu as parlé de l’utilisation de jeux de rôle, est-ce que tu peux nous en dire plus sur la manière dont vous les utilisez? 

On constitue une petite équipe avec les participant·es, qui ne se connaissent pas forcément au départ. Ensemble elles et ils doivent réfléchir à comment agir syndicalement face à telle ou telle situation. Les situations sont toujours inspirées de faits réels. A la fin on dévoile, on met en lumière comment les équipes syndicales ont agi et réagi face à la situation présentée. Il n’y a pas une solution mais des solutions. Et parfois il faut tirer les partis des échecs, erreurs etc. et on avance comme ça.

On s’inspire aussi de plus en plus de techniques d’éducation populaire comme le photo langage, qu’on a expérimenté récemment. Cela  fonctionne bien pour faire s’exprimer les participant·es de manière très personnelle sur ce qu’évoque pour elles et eux l’extrême-droite, puis on la définit collectivement. Car il n’y pas une seule définition de l’extrême-droite, c’est mouvant. L’extrême-droite d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier mais il y a quand même des filiations, des invariants.

 

Quels résultats observes-tu après les avoir animées? 

J’observe que ces formations permettent aux gens de se rencontrer et de passer à l’action sur le terrain, de s’organiser contre l’extrême droite. Cela permet de créer des initiatives car les gens se connaissent, ont fait des stages ensemble, sont intervenus ensemble. C’est l’exemple de l‘initiative des personnels de l’Education « toutes et tous contre l’extrême-droite ». Les personnes vont aussi aller manifester, par exemple contre des meetings d’extrême-droite dans le cadre des présidentielles. Cela apporte de l’action concrète grâce à ces rencontres unitaires.

 

Le 1er mai 2002, tous les syndicats avaient défilé sous les mêmes banderoles © AFP / Raymond Roig

Est-ce que toi tu vois des choses à améliorer ?

J’observe que certains secteurs sont sous-représentés dans les formations, par exemple le secteur public est sur-représenté par rapport au secteur privé. On souhaiterait toucher plus de monde. De plus, certains syndicats sont absents de VISA, tel que Force Ouvrière.

Notre force – et aussi notre limite – c’est qu’on est sur-sollicité·es. Dans le contexte des élections présidentielles et les menaces Le Pen et Zemmour, on a beaucoup de demandes des syndicats. Ça veut aussi dire qu’on ne peut pas faire face à toutes les demandes. Nous ne sommes pas suffisamment nombreux·ses, malgré le fait qu’on organise des formations internes au sein de VISA afin que plus de camarades se portent volontaires pour animer les formations.

 

D’ailleurs, peux-tu nous préciser qui donne ces formations?

Ce sont des camarades syndicalistes qui sont dégagé·es sur moyens syndicaux par leur syndicat pour animer les formations ou des camarades retraité·es. Mais au sein de VISA, on a des camarades qui viennent de toute la France. Nous avons récemment fait une formation de formateur·rices avec des camarades de VISA locaux (34, 13, 29, 66), afin de continuer à apprendre ensemble et monter en puissance.

 

As-tu une anecdote de formation à nous partager? 

Oui plein! Les formations sont toujours enrichissantes parce qu’on se rend compte des liens entre histoires personnelles et grande histoire. Par exemple un jour pendant la pause déjeuner, un camarade raconte que sa mère l’appelait à chaque fois qu’il allait dans des manifestations. Il m’explique que sa mère s’inquiète car quand elle était enfant, son père, qui était résistant, a été abattu sous ses yeux par la milice. D’un coup, son histoire personnelle est directement liée à l’antifascisme.

Une autre fois, une des personnes raconte que son père ouvrier algérien était collecteur clandestin pour le FLN 15 dans les bidonvilles de Nanterre au début des années 1960, avant l’indépendance de l’Algérie. Son père a également été victime du 17 octobre 196116 et a été matraqué par les forces de police sous l’autorité du Préfet Papon. Il arrive souvent que des histoires personnelles soient liées à la guerre d’Algérie.

Cette filiation de l’histoire avec celle de l’antifascisme se retrouve dans le symbole de VISA, qui est un triangle rouge. C’était ce que portaient les déporté·es politiques et notamment les syndicalistes dans les camps de concentration nazis dès 1933.

Quelles sont pour toi les perspectives de la lutte contre l’extrême-droite ?

On observe actuellement une remobilisation des dynamiques de lutte contre le fascisme et l’extrême droite. En 2013, l’assassinat de Clément Méric, syndicaliste à Solidaires Etudiant·es, a entrainé une reprise de conscience que oui, le fascisme et l’extrême droite tuent, et que ses réseaux sont actifs. Ainsi en 2014, une campagne intersyndicale CGT-FSU-Solidaires contre l’extrême droite a été créée. Durant l’année 2021, plusieurs mobilisations ont été organisées et ont rassemblé du monde – contre des congrès RN ou des meetings de Zemmour, contre les violences d’extrême-droite. Occuper la rue, dénoncer ces idées et actions est central pour nous. Le combat se joue aussi avec les médias. C’est pour ça qu’en février 2022, nous avons organisé une rencontre avec Acrimed (Action critique média), des médias indépendants et des syndicats de journalisme (SNJ et SNJ-CGT) dans le cadre d’une journée contre la banalisation de l’extrême-droite dans les médias. Cette journée a réuni plus de 700 personnes. Ce travail est difficile et s’inscrit dans un contexte d’approche des élections présidentielles anxiogène, dans lequel les idées de l’extrême droite gagnent de la visibilité. Je suis persuadé que les syndicats sont une force sur laquelle s’appuyer.

 

Crédits : VISA

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