Initiation au community organizing

Module 5

Comment devenir community organizer ?

Temps de lecture estimé : 15 minutes

Après avoir présenté la méthodologie du community organizing, il est désormais temps de se pencher sur ceux qui en ont fait leur métier : les community organizers. Aujourd’hui, il sont très peu en France. Et demain ? ils pourraient être bien plus nombreux et accompagner la transformation de notre démocratie.

Vous êtes prêts ? C’est parti !

– Barack Obama a été community organizer dans le quartier de Bronzeville (Chicago) de 1985 à 1987 –

 

Organiser, c’est un métier.

Les quatre précédents modules de cette e-formation ont offert un aperçu de ce qu’organiser veut dire : à la fois bâtir des coalitions de citoyens et s’assurer que ces coalitions perdurent dans le temps. Une telle activité nécessite des compétences bien précises ainsi qu’une expérience dans de nombreux domaines (tels que l’action militante, l’éducation populaire ou encore le conseil stratégique). C’est pourquoi la pratique du community organizing nécessite la formation de community organizers qui, une fois entraînés et aguerris à la pratique de l’organisation, seront recrutés par des associations, des collectifs de citoyens ou des syndicats pour développer leur pouvoir collectif.

Dans ce dernier module, nous proposons donc un exposé concis du rôle et des compétences des organisateurs afin de poser, en guise de conclusion, la question de leur formation dans un contexte français.

LE community organizer agit comme un catalyseur du pouvoir collectif.

En 2008, les enseignants de Chicago, qui ont déjà souffert de nombreux reculs dans leurs acquis sociaux, apprennent qu’un plan municipal de redressement prévoit de nouvelles coupes budgétaires. Cela fait plus de vingt ans que le syndicat enseignant n’a pas appelé ses adhérents à la grève, et il est bien conscient que ses rangs sont trop clairsemés pour faire plier la Mairie. Pendant l’été 2010, après une levée de fond conséquente, le syndicat crée un « bureau de l’organisation collective », dont la vocation est développer le pouvoir collectif des enseignants de Chicago. Des organisateurs professionnels sont alors recrutés pour former des enseignants volontaires, qui s’engagent à leur tour à mobiliser leurs collègues.

Ce travail de formation porte rapidement ses fruits : à partir de Septembre 2010, plus de 800 enseignants de Chicago se rendent désormais aux réunions mensuelles de leur syndicat. Mais le travail d’organisation ne s’arrête pas là. Les organisateurs participent également à l’élaboration de la stratégie du syndicat, afin que chacune de ses actions concoure à mobiliser de plus en plus d’enseignants. Sans relâcher l’effort de formation, le syndicat commence à mener des actions de cartographie des enseignants mobilisés au sein des établissements scolaires, organise des actions directes symboliques pour sensibiliser l’opinion, et noue des alliances avec les associations de parents d’élèves. En Mai 2012, 7000 enseignants participent à l’assemblée générale de leur syndicat. En Juin, 23 780 enseignants se prononcent pour une grève reconductible, face à seulement 482 voix contre (pour un total de 26 502 enseignants syndiqués). Enfin, du 10 au 18 septembre 2012, 35 000 enseignants des écoles publiques de Chicago se mettent en grève, soutenus à la fois par les élèves, leurs parents, et l’ensemble des citoyens de Chicago. La Mairie finit par céder, et les enseignants obtiennent des augmentations salariales de plus de 10%.

– Manifestation des enseignants de Chicago en Septembre 2012 –
 

Le savoir-faire de l’organisateur.

Pour parvenir à impulser de telles dynamiques mobilisatrices, l’organisateur dispose d’une expertise singulière qui repose à la fois sur un savoir théorique et une expérience pratique.

Tout d’abord, il est important de reconnaître que l’organisation collective est une discipline théorique à part entière, qui explore et analyse les notions fondamentales du militantisme citoyen. Ainsi, la découverte du métier d’organisateur se fait souvent par un véritable travail académique, à travers la lecture d’ouvrages de référence et l’analyse de notions fondamentales telles que la dynamique de l’engagement, le développement du leadership collectif ou encore la structuration des mouvements sociaux. La découverte d’exemples historiques d’organisation peut être éclairante pour illustrer ces notions théoriques, mais celles-ci ne prennent vraiment sens que lorsqu’elles s’accompagnent d’une mise en pratique quotidienne.

Ainsi, dans les faits, le savoir-faire de l’organisateur s’acquiert par la répétition de certains gestes méthodiques, qui lui permettent de développer une forme de maîtrise dans la pratique de son métier.

Par exemple, chaque jour l’organisateur consacre une grande partie de son temps à dialoguer avec des citoyens d’horizons très différents, lors de discussions en tête-à-tête dont l’objectif est de construire des relations publiques de solidarité en vue de mobilisations futures. Ces conversations sont encadrées par des principes qui les empêchent de rester superficielle (bavardage, débat sans objet). Lors de ces conversations (dites « conversations intentionnelles »), les interlocuteurs peuvent partager, à travers des récits d’expérience, les raisons de leur engagement et la source de leurs valeurs. En moyenne, un organisateur pratique au minimum quinze conversations de cette sorte par semaine, ce qui peut faire près de mille conversations intentionnelles par an.

– Conversation intentionnelle au sein d’une Alliance Citoyenne –
 
Au-delà de ce travail quotidien de rencontre et d’échange, l’organisateur est également un formateur qui pratique l’éducation populaire au pouvoir. Il transmet aux citoyens des outils permettant de cartographier le pouvoir autour d’eux, mais aussi les méthodes par lesquelles ils peuvent développer leur propre pouvoir collectif.

Enfin, l’organisateur est aussi un conseiller en stratégie, qui maîtrise les ressorts de l’action sociale et peut accompagner les mouvements sociaux dans leurs décisions tactiques.

Afin que ces pratiques soient régulièrement évaluées et perfectionnées, les organisateurs sont souvent formés par des collègues plus expérimentés, dans des relations de type mentor/apprenti. Il est donc très difficile de se former à ce métier par soi-même, sans avoir le soutien et la reconnaissance d’un formateur bienveillant.

 

Où peut-on acquérir un tel savoir-faire en France ?

Le community organizing est encore une méthodologie largement inconnue dans l’hexagone, et très peu d’organisateurs y exercent actuellement ce métier.

Dans ce contexte, la création en France d’une formation générale à l’organisation collective est un enjeu important. L’association « Organisez-vous ! » souhaite  y répondre, en cherchant à encourager l’émergence d’un nouveau corps de métier, spécialisé dans le soutien aux mouvements sociaux et à la création d’Alliances Citoyennes.

Pour ce faire, nous souhaitons importer des méthodes issues du community organizing anglo-saxon, mais aussi (et surtout) étudier les mouvements sociaux français d’hier afin d’inspirer ceux de demain.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez en savoir plus sur le rôle et les compétences du community organizer, nous vous conseillons la lecture du texte de Richard Rothstein intitulé « Qu’est-ce qu’un organisateur ? ».

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