Des arbres pas des pubs : l’histoire du collectif plein la vue
Entretien retranscrit par Chloé Rousset
En décembre 2019, la métropole de Lyon renonce à l’installation d’écrans vidéo publicitaires dans l’espace public. Quelques mois plus tard, une coalition écologiste gagne les élections municipales face à Gérard Collomb, véritable baron local qui tenait la ville depuis près de 19 ans. Derrière ces deux victoires se lit en filigrane l’impressionnant travail structuration du mouvement climat dans la métropole lyonnaise, au sein duquel le collectif antipub « Plein la Vue » a joué un rôle important.
Pour explorer et mieux comprendre une partie du travail militant qui a pu accompagner ces victoires, nous sommes allé·e·s à la rencontre de Benjamin Badouard, fondateur de ce collectif et aujourd’hui élu à la Métropole de Lyon. En acceptant de décrire les coulisses de son combat contre la publicité, il nous a offert un regard original et inspirant sur la pratique de l’organisation collective.
Bonjour Benjamin ! Pour commencer, pourrais-tu nous en dire un peu plus sur toi et ton parcours ?
Bonjour ! Alors je suis ardéchois et voici 15 ans maintenant que j’habite à Lyon. J’ai d’abord fait des études en géographie, puis je me suis spécialisé avec un master en aménagement du territoire. En quittant l’université, j’ai commencé par travailler dans des domaines très différents : la gestion de crise auprès des communes de la banlieue lyonnaise, l’événementiel chez GL Events et enfin le conseil en énergies. Puis, à mes 28 ans, après plusieurs années très intenses du point de vue professionnel, j’ai décidé de faire un tour du monde. En 13 mois, j’ai fait le trajet de Lyon à Bali, uniquement par voie terrestre : autostop, moto, bus… Ça a été une expérience très marquante, et grâce à elle j’ai rencontré des personnes extraordinaires.
Cela a dû remettre beaucoup de choses en perspectives !
Oui, complètement. À mon retour à Lyon il y a eu toute une période où je me suis questionné sur ce que je voulais vraiment faire. Et il se trouve que, par hasard, un poste salarié s’est trouvé vacant à la section Rhône-Alpes d’Europe Écologie Les Verts où je militais déjà depuis quelque temps. Ayant grandi dans la ruralité, au contact de la nature et avec des parents déjà sensibilisé·e·s aux enjeux écologiques, ces questions me parlaient beaucoup. Et puis en 2010 un ami m’a fait rencontrer d’autres personnes actives dans les réseaux écologistes de la métropole lyonnaise. C’est comme ça que j’ai commencé à militer chez les Verts (coller des affiches, faire des réunions… les débuts !). Ce poste me permettait d’approfondir ces expériences et de me professionnaliser. D’ailleurs, j’y suis resté près de 6 ans ! Aujourd’hui, je continue à travailler sur les enjeux écologistes, mais en tant que chargé de programme pour une association lyonnaise.
À quoi ressemblait ton quotidien chez EELV ?
Un poste de chargé de mission comme celui-là, local et proche du terrain, ressemble beaucoup à la gestion quotidienne d’une association. Sur toute la région Rhône-Alpes, nous étions 2 à 3 salarié·e·s (en fonction des années), et nos tâches étaient extrêmement diverses : administration, communication, actions diverses… J’ai notamment beaucoup travaillé sur le suivi d’élections.
Est-ce que tu as suivi des formations en interne pour te préparer à toutes ces missions ?
Pas vraiment. J’ai surtout appris sur le tas. Par exemple, on accompagnait des campagnes électorales tous les ans, et c’était très formateur. Pour chaque élection, le Conseil d’Administration de la section s’accordait sur une stratégie, et c’était ensuite à moi et mes collègues de la mettre en œuvre sur le terrain. J’ai beaucoup appris en évoluant dans ce contexte-là, notamment au contact des élu·e·s de haut niveau, et aussi en touchant un peu à tout dans mon travail quotidien.
Comment t’est venue l’idée de créer un collectif autour de la question publicitaire ?
En 2015, à Grenoble, la nouvelle mairie écologiste a décidé de supprimer plus de 300 panneaux publicitaires. Ce geste politique m’a interpellé. Comme beaucoup de gens, la publicité était déjà quelque chose qui m’exaspérait depuis un certain temps. Tous les matins, en sortant de chez moi, j’étais obligé de passer devant deux grands panneaux publicitaires déroulants de 8m2. La journée commençait à peine que j’étais déjà agressé par une double dose de contenu publicitaire, et cela en grand format ! C’est pour cela que la décision des élu·e·s grenoblois·e·s a tout de suite fait sens pour moi. Car c’était la preuve qu’une municipalité était capable de vraiment se passer de la publicité dans l’espace public. Face à cet exemple concret, je me suis alors dit que c’était possible de se mobiliser autour de cette question dans la métropole de Lyon.
À quel moment est-ce que tu as mis cette idée en application ?
À l’été 2017, pendant les Journées d’été des écologistes, il y a eu un débat marquant entre Eric Piolle (maire de Grenoble) et Khaled Gaiji (à l’époque président de Résistance à l’Agression Publicitaire – RAP). C’était passionnant de découvrir leurs regards croisés, l’un avec une perspective institutionnelle, l’autre avec une perspective plus militante, centré sur l’effort de mobilisation. J’ai eu un déclic et, dans la foulée, j’ai contacté RAP et Paysages de France, pour savoir si ces associations avaient des sections locales sur Lyon. À l’époque, je n’avais pas envie de monter un collectif, je voulais rejoindre des actions déjà en place.
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Toutefois, après plusieurs échanges avec ces deux associations, je me suis aperçu qu’en dehors d’actions juridiques ponctuelles il n’y avait pas, à Lyon, de stratégie de plaidoyer ou de mobilisation autour des questions de publicité. J’avais aussi l’envie depuis un moment de lancer une pétition sur le sujet. J’avais même déjà commencé à la rédiger ! Mais je savais aussi que je ne pouvais pas y arriver tout seul. J’avais entendu parler d’une pétition équivalente qui avait déjà été tentée sur Lyon cinq ans plus tôt, et je savais qu’elle n’avait pas abouti.
Qu’est-ce qui t’a donné la force d’aller plus loin ?
J’ai appris que le Grand Lyon lançait son Règlement Local de Publicités Intercommunal (RLPI). Nous en avons discuté avec Paysages de France, et ses membres m’ont confirmé que c’était une véritable opportunité pour nous. Mais comment la saisir ? En novembre 2017, j’ai rencontré un militant écologiste qui m’a mis en contact avec le vidéaste Vincent Verzat (de la chaîne Youtube « Partager c’est Sympa »). J’ai pu partager avec lui mes réflexions sur ce projet. Son équipe et lui-même ont été très enthousiasmés à l’idée de tourner une vidéo sur le thème de la publicité. Et ils ont proposé d’y joindre la pétition sur laquelle je travaillais. À partir de ce moment-là, les choses se sont enchaînées très vite : en quelques jours à peine, la nouvelle vidéo était prête ! Il a alors fallu très rapidement y joindre la fameuse pétition, ainsi que le nom du collectif qui la lançait. Avec l’aide de quelques ami·e·s, nous avons trouvé le nom du collectif (« Plein la vue ») et un logo qui nous plaisait. J’ai fini de rédiger la pétition, je l’ai mise en ligne sur Change.org, et puis j’ai créé une page Facebook et un compte Twitter.
Dans le même temps, je me suis questionné sur les façons de relayer la pétition autour de moi, pour tout de suite lancer une dynamique afin d’obtenir des signatures. J’ai alors contacté des associations locales pour les encourager à signer, et puis j’ai demandé à mes différents contacts de partager la vidéo et la pétition dès leur publication.
Comment as-tu ciblé ces associations ?
La publicité à des conséquences néfastes dans plusieurs domaines. Lister ces conséquences m’a permis de cibler les associations auxquelles je souhaitais m’adresser. C’est ainsi que, sans avoir de liens très forts avec le monde associatif lyonnais, j’ai pu obtenir en deux jours des réponses positives de 12 associations locales, qui ont accepté de formellement soutenir et relayer la pétition. Parmi elles on trouvait notamment :
- Des associations environnementales, concernées par les enjeux de surconsommation énergétique liés à la publicité ;
- Des associations de défense du patrimoine, concernées par la pollution visuelle provoquée par la publicité
Mais aussi par la suite des associations de parentalité, d’aménagement, des associations religieuses ou encore étudiantes.
Pourquoi ne pas avoir simplement contacté le réseau associatif proche d’EELV ?
Je ne voulais pas me cantonner aux cercles écologistes que je connaissais déjà, parce que je craignais que la campagne soit d’emblée étiquetée « écolo ». Au contraire, j’avais en tête l’idée d’élargir notre base à des gens de tous horizons et de tous milieux, et cela dès le départ. Stratégiquement, cela nous permettait ensuite d’aller voir les élu·e·s en leur disant : « Regardez, c’est un enjeu qui touche toutes les couches de la société, et donc tous/toutes vos électeur·trices. ». J’ai aussi essayé de m’appuyer sur des personnalités locales mais pour la plupart, je n’ai malheureusement reçu que des réponses négatives.
À quel moment est-ce que « Plein la vue » est devenu un vrai collectif ?
Lors de notre première réunion, à l’Alternatibar de Lyon, le 14 décembre 2017, deux semaines après le lancement de la pétition. Avant cela, Sylvine, une militante d’Alternatiba (spécialiste en mobilisations), et Thomas, un militant EELV (spécialiste en communication), m’ont donné des conseils pour rédiger un premier un communiqué de presse, qui a ensuite été publié sur le site d’Alternatiba Rhône. Il n’y a pas eu de réaction immédiate des médias, mais cela nous a donné suffisamment de visibilité pour organiser une première réunion publique. Par ailleurs, la pétition a rapidement pris de l’ampleur, en étant signée par plusieurs milliers de personnes. Face à ce succès, qui se traduisait aussi par un grand nombre de partages et commentaires sur les réseaux sociaux, beaucoup de militant·e·s de Lyon ont décidé de nous rejoindre pour se faire entendre sur le sujet.
Comment s’est passée cette première réunion ?
Très bien ! Nous avions créé un évènement sur Facebook pour faire circuler l’information, et au final 35 à 40 personnes sont venues. J’avais préparé l’ordre du jour suivant :
- L’accueil des personnes
- Le visionnage de la vidéo de Vincent, pour se redonner de l’énergie
- Un tour de table, pour permettre à chacun·e de se présenter et de partager les raisons de son engagement sur ce sujet
- Un état des lieux de la pétition, avec l’accent mis sur les organisations signataires
- Rappel de l’argumentaire contre la publicité dans l’espace public
- Un éclairage technique sur la législation et les règlements locaux de publicité et quelques éléments sur le contexte de la publicité dans la métropole
- Des pistes stratégiques (plaidoyer, pétition, actions de terrain) et tactiques (recouvrements de panneaux, happenings, soirées débat…)
- La constitution de 3 groupes de travail (avec en particulier un groupe actions de rue, un groupe communication et un groupe stratégie/plaidoyer)
- Un temps de travail en groupe pour avancer sur les pistes d’actions
Est-ce que cette mise en place des groupes a fonctionné ?
Pour être très honnête, non, pas au départ. Nous avions prévu de nous retrouver au bout de trois semaines, avec l’idée qu’entre-temps, chacun des groupes de travail se réunisse de son côté pour avancer. Malheureusement, ça ne s’est pas passé comme prévu. Les gens n’étaient pas réactifs aux mails, ce qui fait que, dans le temps qui nous était imparti, cela n’avait même pas été possible de caler des dates pour le travail en groupe.
Un classique !
Face à ce constat, nous avons proposé de planifier une nouvelle plénière pour le 11 janvier.. Pour un peu plus guider les choses, les plus motivé·e·s avaient rédigé une feuille de route du collectif, qui résumait :
- Le but du collectif (« diminuer la pression publicitaire dans le Grand Lyon en influençant les décisions prises par les élus, lors de l’élaboration du Règlement Local de Publicité Intercommunal (RLPI) de la Métropole de Lyon. »)
- Une première phase stratégique, déclinée sur toute l’année (entretiens avec des acteurs·trices clés, actions de rue, montée en puissance de la pétition, participation à la journée mondiale contre la pub…)
- Un rappel sur le cadre de nos actions (« toutes les actions du collectif sont strictement non violentes, légales et a-partisanes »)
- Une proposition d’organisation du travail au sein du collectif (fréquence des réunions, rôle des groupes, distribution des tâches…)
Quel était l’ordre du jour de la seconde réunion plénière ?
Les choses avaient avancé du point de vue du Règlement Local de Publicité à Lyon. On a donc commencé la réunion par un point sur ce sujet. Par ailleurs, fin décembre était sorti un décret autorisant l’expérimentation de la publicité au sol dans les villes de Bordeaux, Nantes et Lyon. Les médias locaux et nationaux avaient beaucoup couvert ce sujet, ce qui avait alors aidé à sensibiliser un peu plus l’opinion publique sur la question de la publicité. C’est pourquoi on a mentionné également cette actualité-là, en s’interrogeant sur les façons de bien s’en emparer.
Ensuite, nous avons présenté la feuille de route pour obtenir l’approbation du groupe, puis un premier jet d’une lettre adressée aux élu·e·s. Enfin, deux personnes se sont proposées pour créer le site du collectif. Elles ont fait un super boulot, parce que c’est toujours le même aujourd’hui !
Cet article de l'Université Populaire des Luttes
Extrait de la lettre aux élu·e·s
« Madame/Monsieur le Maire/CM/VP,
Ce lundi 22 janvier débutera la concertation publique du règlement local de publicité intercommunal (RLPI) de la Métropole de Lyon. S’en suivront deux à trois ans de travaux avant l’application de ce nouveau règlement. En tant que maire, vous êtes partie prenante du projet à l’échelle de votre commune, et vous avez le pouvoir de faire entendre votre voix auprès du conseil métropolitain.
De l’autre côté, nous, citoyens préoccupés face à la pression qu’exercent les annonceurs et publicitaires dans nos villes, nous sommes réunis en collectif. Le collectif Plein La Vue regroupe des habitants de la Métropole, diverses organisations citoyennes ainsi que, pour le moment, une dizaine d’associations. Nous avons également mis en ligne une pétition qui compte à ce jour 9 000 signatures. […]
Face à la pression publicitaire, il revient au politique de mettre des limites claires, de protéger les citoyens, et de s’assurer que l’espace public reste un espace d’épanouissement. Dans une volonté de transparence, nous souhaitons donc tenir les habitants de votre commune et du Grand Lyon informés de la position de leur élu.
Nous souhaiterions donc savoir :
– Si vous souhaitez, ou non, une diminution de la pression publicitaire.
Et votre position, plus précisément, sur les points suivants :
– Si vous êtes pour, ou non, l’interdiction des panneaux numériques dans l’espace public.
– Si vous êtes pour, ou non, la limitation du format des panneaux à 2m2, avec des publicités faisant 50 à 70cm (possibilité de mettre plusieurs annonces dans un panneau)
– Si vous êtes pour, ou non, une diminution du nombre de panneaux. Comprenant toute les publicités : dont mobiliers urbains d’informations, et publicités dans le parc privé (dans les jardins ou sur les murs des habitations privés)
– Si vous êtes pour, ou non, la réduction de la surface des publicités sur bâches à 8m2,
– Si vous êtes pour, ou non, l’allongement des heures d’extinction des enseignes (actuellement de 1 h à 6 h du matin), à savoir à la fermeture de l’activité.
– Si vous êtes pour, ou non, l’interdiction des publicités sur le sol (eau pulvérisée ou craie)
Nous vous informons que votre réponse sera communiquée aux habitants de la Métropole et affichée sur notre site internet. Nous vous remercions donc par avance très chaleureusement de bien vouloir, avec nous, jouer le jeu de la transparence pour, ensemble, rendre le processus de décision le plus démocratique possible.
Notre seul souhait est en définitive celui-ci : retrouver des villes et campagnes plus belles, plus apaisées, plus accueillantes.
Dans l’attente de votre réponse, veuillez recevoir, M./Mme le/la Maire, nos salutations distinguées.
Le collectif Plein La Vue. »
En fait, dès janvier, beaucoup de pièces du puzzle étaient déjà en place
Il faut aussi reconnaître qu’on a démarré avec des circonstances particulièrement favorables. Il y a peu de collectifs qui naissent avec une vidéo de plus de 800 000 vues ! Certes, on avait mis des choses en place en amont pour structurer le collectif sur la durée, mais cette vidéo nous a donné un vrai coup de pouce pour décoller.
Mais est-ce que vous n’avez pas aussi accompli un vrai travail de fond pour fédérer des associations autour de vous ?
Là-dessus il faut remercier Marjorie, une militante qui a rejoint le collectif avec une idée forte : prendre le temps d’aller rencontrer les associations signataires de la pétition pour discuter avec elle en face à face, apprendre à connaître ces personnes. Cette démarche nous a permis de mettre de l’humain dans les relations, d’instaurer de la confiance. Je me suis rendu compte que certains préjugés que je pouvais avoir sur des associations n’étaient pas fondés et nous avons créé de la camaraderie. Si toutes les associations n’ont pas répondu, le simple fait d’avoir envoyé un mail ou essayé de téléphoner montrait qu’on voulait vraiment créer du lien. Après quelques rencontres, les contacts avec les allié·e·s du collectif ont été plus solides, plus fluides et plus constructifs.
Comment fonctionnait le collectif en interne ?
Dans ces premiers mois, nous étions quatre ou cinq personnes à gérer le collectif et sa stratégie ainsi qu’une dizaine en plus à être très impliquées dans son bon fonctionnement. Les personnes les plus impliquées participaient aux décisions, qui étaient prises par consensus. Pas d’élection donc. Quand une personne arrivait, plus elle prenait en charge de tâches, plus elle s’impliquait et faisait preuve d’initiative, plus elle était impliquée dans les décisions. Quant à la feuille de route stratégique initiale, nous l’avons adaptée au fil des réalités que nous avons pu rencontrer sur le terrain, des réalités institutionnelles et des réalités militantes.
Avais-tu déjà une idée des portes auxquelles il fallait frapper pour se faire entendre ? Une vision de vos potentiel·le·s allié·e·s et adversaires ?
Le Règlement Publicitaire que nous souhaitions influencer allait être débattu localement, à l’échelle de toute la métropole lyonnaise (soit 59 communes en tout). C’est pourquoi notre priorité a été d’approcher et de convaincre une partie des 150 élu·e·s siégeant au Conseil de la Métropole de Lyon. Nous souhaitions à la fois nous assurer le soutien des maires qui étaient déjà proches de nos idées, tenter de convaincre ceux/celles qui pouvaient être sensibles à nos arguments, et aussi peser dans le débat public (à la fois par un travail de terrain et un travail de recherche/publication) pour mieux nous adresser à ceux/celles qui a priori étaient contre nos propositions. Cette approche s’est construite petit à petit, sans vraiment être théorisée. Les membres du collectif ont ainsi bâti cela ensemble, en s’appuyant sur l’expérience et l’expertise des un·e·s et des autres, notamment en termes de communication et de stratégie.
Listes (non exhaustives) des actions
menées depuis la création du collectif, fin 2017
- Activités de sensibilisation : vidéos, stands, formations, communiqués de presse, micro-trottoir…
- Activités de plaidoyer : pétition, rencontres avec les élu·e·s, participation à la concertation officielle du Grand Lyon, rencontre avec une trentaine de mairies et groupes politiques de la Métropole, rédaction d’une note scientifique, rencontre avec les petit·e·s commerçant·e·s et analyse, rédaction d’une note juridique, rédaction d’une contribution pour la Convention citoyenne…
- Activités de mobilisation : actions de rue pour être visible dans l’espace public et médiatiquement, kit militant
- Travail sur la stratégie
Comment avez-vous mis tout cela en place, afin que la stratégie reste cohérente et efficace ?
Il y avait deux phases dans notre stratégie. Tout d’abord, l’interpellation. Nous voulions avoir un impact médiatique pour que les élu·e·s soient obligé·e·s de prendre position publiquement sur la question de la publicité. Et pour en arriver là, nous savions que nous pourrions avoir l’attention des médias en organisant des actions de rue, ni violentes ni dégradantes. Nous avons ainsi mené une première action « recouvrement de panneaux » à l’occasion du lancement de la Concertation publique sur le Règlement Publicitaire, appuyée par un important travail de prise de contact avec les médias locaux pour les sensibiliser sur ce sujet. Cette première action a eu lieu fin janvier, moins de deux mois après le lancement officiel du collectif. Et c’est grâce à elle que nous avons commencé à occuper l’agenda médiatique puis politique.
Crédit photo : Collectif Plein la Vue
Quand est-ce que cette stratégie a commencé à porter ses fruits ?
Assez rapidement en fait, car dès le début il y a eu de petites victoires significatives qui nous ont indiqué que nous étions sur la bonne voie et que notre message était entendu. Par exemple, seulement 6 mois après la création du collectif, 13 des 14 groupes politiques siégeant à la Métropole s’étaient exprimés publiquement et officiellement sur le Règlement Publicitaire (contre seulement 5 sur 15 quelques mois plus tôt). C’était une véritable preuve que le sujet était devenu politique : tout le monde se devait d’avoir un avis ! Ensuite, il y a eu un arrêté du ministère de la transition écologique, qui suspendait l’expérimentation de la publicité au sol dans l’agglomération lyonnaise. Dans les faits, Georges Képénékian (qui remplaçait temporairement Gérard Collomb à la mairie de Lyon) s’était déjà engagé là-dessus, mais sa décision n’avait pas été respectée par les publicitaires. C’est pourquoi cet arrêté était si important : il permettait de mettre un réel coup d’arrêt à ces pratiques.
Ce sont déjà de belles avancées !
Nous avons aussi connu des victoires d’ordre plus symbolique, mais qui ont permis d’asseoir la crédibilité et la légitimité du collectif. Par exemple, près de 8000 personnes ont participé à la concertation citoyenne de février 2019 sur la publicité dans la métropole. Cette action avait été organisée en collaboration avec l’UCIL (Union des Comités d’Intérêts de Lyon), une fédération de réseaux de quartier, avec laquelle le collectif a su créer une relation de confiance. C’était un moment important parce que cette fédération n’étant pas connu pour être « militante ». Du coup, le succès de la concertation nous permettait de compter un nouvel allié de poids dans notre effort de plaidoyer, tout en renforçant la neutralité politique de notre message.
Pour toi, quelle a été pour l’instant votre victoire la plus concrète ?
L’abandon des écrans vidéo publicitaires comme source de financement des Velo’v électriques. En effet, pour le lancement de ce nouveau service début 2020, la métropole devait faire un choix financier difficile : soit autoriser ces écrans dans le Règlement Local de Publicités Intercommunal, soit débourser 1,2 million d’euros hors-taxes par an.
Le renoncement de la Métropole à cette source de financement a montré la force de notre collectif et que notre lobby citoyen pouvait être plus puissant que le lobby publicitaire. En effet, autoriser ces écrans aurait été pour la Métropole un caillou dans sa chaussure, notamment en vue de l’élection quelques mois plus tard.
Tout cet impressionnant travail a dû causer pas mal de stress… Comment avez-vous personnellement géré la pression ?
Pendant deux ans, ce combat a occupé une très grande partie de mon temps non salarié. Étant à la coordination du collectif, je touchais à tout. Parfois, c’était vraiment difficile, j’y ai passé de longues soirées et week-ends, mais il fallait finir le travail pour mener à bien la stratégie de plaidoyer et les actions de terrain. La coordination demande beaucoup de temps de travail, mais permet d’avoir une vue globale, plus efficace pour avancer, même si parfois cela aurait pu être plus intéressant de déléguer. Mais heureusement, je n’étais pas seul ! Le collectif pouvait aussi compter sur de nombreux·euses militant·e·s mobilisé·e·s qui fournissaient énormément de travail pour produire des dossiers ou préparer les actions. Plus récemment, nous étions une petite dizaine de personnes à être impliquées plus fortement dans le collectif, avec une meilleure répartition des dossiers, des responsabilités et de la charge mentale. D’ailleurs, j’ai peu à peu quitté la place centrale que j’occupais dans l’animation du collectif pour passer le flambeau à ses deux actuel·le·s co-présiden·te·s (Gabrielle et Anthony). Comme moi auparavant, ces personnes impulsent aujourd’hui l’immense effort de mobilisation nécessaire pour arriver à faire vivre et réussir le collectif. Les gens ne viennent pas aux réunions de façon automatique, et l’intégration de nouveaux militant·e·s n’est jamais une chose facile. Mais avec des idées neuves, on y arrive !
J’ai découvert récemment que le collectif milite aussi au niveau national. Peux-tu nous en parler ?
Notre travail local, ainsi que les actions et plaidoyers menés par Résistance à l’Agression Publicitaire, a connu une certaine résonnance auprès des militant·e·s antipubs et écologistes partout en France. Remarquant que les décisions ne se prennent pas qu’au niveau local, mais également à Paris, « Plein la vue » s’est alors engagé, dès l’automne 2019, dans un travail parlementaire pour faire interdire les écrans numériques et diminuer la place de la pub de manière générale. Nous menons ce combat avec Résistance à l’Agression Publicitaire (qui travaille sur le sujet depuis près de trente ans) et en travaillant avec certain·e·s député·e·s déjà sensibilisé·e·s sur ce sujet. C’est ainsi que, le 1er mars 2020, deux semaines avant le premier tour des élections municipales, nous avons pu publier une tribune contre les écrans vidéo publicitaires dans le Journal du Dimanche, co-signée par un grand nombre de député·e·s, de scientifiques et d’associations. Grâce à ce genre d’actions, et malgré les oppositions de certain·e·s (cela irait à l’encontre des principes de liberté d’expression, de la liberté de commerce etc…), la mobilisation et les débats sur la publicité prennent de l’ampleur. Et on peut constater, depuis l’été 2019, qu’au moins une dizaine de propositions de lois et d’amendements ont été soumises à l’assemblée nationale, ce qui n’était jamais arrivé avant.
Du monde militant aux institutions politiques locales
Fin 2018, les premières « Marches pour le Climat » de Lyon sont co-organisées par quelques associations écologistes et les sections locales de plusieurs partis politiques. Dans un contexte où chacun·e reconnaît appartenir à une large communauté de lutte (défense du climat et justice sociale), la confiance grandit entre les organisateurs·trices et la convergence des luttes se fait par le bas. C’est en partie pour cette raison que, lorsque les élections locales approchent, de nombreu·seuse·s militant·e·s du monde associatif se sentent suffisamment en confiance pour s’engager sur les listes écologistes aux élections municipales et métropolitaines.
C’est dans ce paysage politique renouvelé que, quelques mois plus tard, une coalition, constituée de trois listes regroupant plusieurs partis (dont Europe Ecologie les Verts – liste arrivée en tête du premier tour – le PS, la FI, le PC, Génération-s… et plusieurs partis locaux), créé la surprise en remportant la mairie de Lyon et sa métropole. Les militant·e·s écologistes issu·e·s du monde associatif ont désormais plus de poids pour inscrire leur agenda militant au programme des collectivités territoriales. Et c’est par exemple ainsi que, rapidement, la Métropole de Lyon se donne comme objectif d’interdire les panneaux numériques de publicité et de réduire plus généralement la présence publicitaire dans l’espace public.
Benjamin Badouard, lui-même élu à la Métropole depuis ces récentes élections, participe à ce travail de fond, notamment en tant que co-président du groupe écologiste de la métropole.
De toute cette aventure, si tu devais retenir une leçon en termes militants, ce serait quoi ?
Je pense avoir appris qu’il est important de trouver un équilibre entre efficacité et participation. Il faut d’un côté des décisions prises en petits groupes, pour garder le rythme, mais il est aussi nécessaire qu’il y ait un respect de la voix de tous et toutes, basé sur la confiance et un vrai effort d’intégration des personnes. Il est important que chacun·e puisse pleinement prendre part au combat. Si les militant·e·s se sentent reconnu·e·s, et que l’ambiance est chaleureuse (ne pas oublier les temps conviviaux !), ils/elles s’impliqueront d’autant plus !
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On a bien réfléchi et on vous propose de lire celui-ci, qui est très complémentaire.
Comment réussir une mobilisation ?
Réussir une mobilisation implique de la préparation, et de la méthode, et un véritable travail de structuration.
Comment réussir une mobilisation ?
Réussir une mobilisation implique de la préparation, et de la méthode, et un véritable travail de structuration.