Méthodes de travail de base et organisation populaire

Chapitre 9 La méthode de planification

Mise en page : Secrétariat National MST
Commandes : Secrétariat national – secteur de la formation secgeral@mst.org.br
1ère édition – octobre 2009

Traduction finalisée en français en février 2023
par A l i c e  G r i n a n d  et  Y a n n  L e  B o u l a i r e

Texte d’Ademar Bogo écrit en 1999 pour faciliter la planification du travail de base.

 

 

Pour simplifier la définition de la méthode, nous pouvons dire que c’est le chemin qui nous mène à une fin prédéterminée. Cette fin établie, nous pouvons l’appeler la fin stratégique, c’est-à-dire l’objectif final à atteindre à long terme.

Il n’existe pas de méthodes permanentes pouvant être utilisées sans modification, de nouveaux éléments apparaissent sans cesse, étant donné que la réalité est dialectique, et les méthodes ne peuvent donc pas être transplantées mécaniquement. La réalité est dialectique et dynamique. De nombreux éléments que nous utilisons à un moment donné ne conviennent pas au moment suivant. C’est pourquoi l’une des principales qualités d’un-e leader-euse est de savoir formuler des méthodes en fonction de la réalité concrète afin de la transformer. Plus on est capable de formuler des méthodes de travail, plus on est capable d’intervenir dans la transformation de la réalité.

Nous pouvons souligner certains éléments, qui sont fondamentaux dans la formulation des méthodes de planification, et passer à des exercices concrets pour illustrer notre discussion. Ces éléments indiquent seulement la feuille de route de base que nous devrions suivre.

 

1. Identification du problème ou du défi

Le point de départ est toujours l’identification du problème d’une manière très générale. Par exemple : nous sommes en réunion et à un moment donné quelqu’un-e dit : « Les familles de l’acapamento[1] veulent occuper ». Le problème a été identifié. Mais il l’a été de façon générale, car on n’a pas évalué s’il y avait des conditions, ni même établi quand l’occupation devrait avoir lieu.

2. Analyse du problème

Après avoir présenté le problème, il faut procéder à une analyse approfondie, tant des aspects internes qui motivent l’occupation, que des aspects externes qui impliqueront d’autres éléments qui entreront en contradiction avec d’autres forces. Tout cela déterminera s’il est possible d’avancer ou de reculer. Souvent, une simple occupation nous oblige à faire une analyse de la conjoncture nationale, afin de savoir clairement si cette action est appropriée à ce moment-là.

3. La décision

Après avoir analysé en profondeur le problème et la réalité qui l’entoure, en tenant compte de toutes les forces favorables et défavorables, vient la prise de décision, qui vise à résoudre le problème par une action spécifique. Le problème ne peut pas rester ainsi et le fait spécifique doit être vu à travers son mouvement historique, tant du point de vue du passé que du point de vue de l’avenir. Il est nécessaire d’intervenir afin de ne pas laisser les [solutions NdT] alternatives apparaître spontanément et se faire sans direction.

En voyant les choses à travers leur mouvement interne, nous pouvons intervenir sur la réalité pour diriger ce même mouvement. Par exemple, un fruit mûr a son mouvement interne parce qu’il s’est développé et a mûri, maintenant le mouvement interne sera naturellement la détérioration pour libérer les graines. Mais si nous le voulons, nous pouvons intervenir et diriger ce mouvement, en ouvrant le fruit et en libérant les graines par la force ou en congelant le fruit, retardant ainsi sa détérioration. Il en va de même pour les actions sociales. Nous devons interpréter quel est le mouvement interne qui existe dans chaque situation.

4. Planification de l’action

À partir de l’analyse, en observant le mouvement de la réalité et la direction qu’elle entend prendre, il est obligatoire de planifier cette intervention.

Cette intervention ne peut pas se faire de manière isolée, car, comme nous l’avons vu précédemment, les choses se développent à partir de leur mouvement interne, c’est pourquoi elles n’atteignent jamais le point final. Nous devons donc toujours commencer par définir l’objectif que nous devons atteindre, qui se place devant nous, une fois établi, comme un but. En même temps que l’objectif politique, nous devons quantifier le but, afin que les deux soient concrets.

 

Pour que la planification soit efficace, il est important de suivre les étapes suivantes :

1º) Définition des objectifs

Après avoir posé le problème, l’avoir analysé et avoir décidé que nous devons intervenir dans la réalité en faisant une action déterminée, pour que la planification soit parfaite, nous devons établir un ou plusieurs objectifs que nous voulons atteindre, car ces objectifs nécessiteront des moyens ou des exigences pour leur réalisation.

Prenons l’exemple d’un assentamento où des dizaines d’enfants ne sont pas scolarisés. Lors de la réunion, le problème se présente probablement comme suit :

a) Problème : dans l’assentamento Paulo Freire, 100 enfants ne sont pas scolarisés.

b) Analyse du problème : l’INCRA[2] et la municipalité n’ont jusqu’à présent rien fait pour résoudre le problème. Il semble que cette année ils n’en feront pas plus et, à cause d’eux, les enfants ne seront pas scolarisés, l’éducation n’étant pas une de leurs priorités.

L’analyse indiquera les raisons pour lesquelles il n’y a pas d’école et aussi la voie à suivre pour obtenir la scolarisation.

Imaginons alors que l’une des raisons que l’analyse indiquera comme centrale est qu’il n’y a pas d’école parce que les parents agissent de la même manière que l’État : ils ne considèrent pas l’éducation comme une priorité, ils sont complètement désorganisés et divisés.

c) Décision : la direction elle-même décide de construire l’école et d’envoyer les enfants étudier (vous voyez : le mouvement interne naturel est que les enfants restent non scolarisés. La décision vise à intervenir dans la réalité en orientant ce mouvement vers les directions que nos objectifs indiquent. Si nous n’avons pas cet objectif principal, nous devons l’établir afin de savoir où nous voulons aller). C’est pourquoi la décision établit déjà ce qui va être fait comme intervention principale et définit même l’objectif : nous allons construire une école pour 100 enfants en 60 jours et la mettre en service.

d) Établir les objectifs que nous voulons atteindre avec cette action

Comme l’analyse a déjà présenté les différentes raisons pour lesquelles nous n’avons pas d’école dans l’assentamento et que la décision a été de construire l’école pour que les enfants ne manquent pas l’année, il devient nécessaire d’établir quelques objectifs pour que l’action (la construction de l’école) ne soit pas isolée.

Quels sont ces objectifs ?

Cela dépendra de la capacité de cellui qui planifie, car ces objectifs peuvent déjà être systématisés lors de l’analyse précédente.

Il est important de souligner que plus les objectifs sont nombreux, plus le nombre de tâches à accomplir est important.

À titre d’exemple, nous pouvons souligner quelques objectifs à atteindre :

a) Fournir des conditions d’étude à 100 enfants de l’assentamento ;

b) Organiser les parents en une association.

Ces objectifs doivent être atteints pour le jour fixé comme but (nous avons déjà défini le but, le temps et la quantité). Supposons que nous soyons au mois de janvier, il reste donc deux mois avant la rentrée des classes.

Il est donc important de se rendre compte que chaque élément mentionné dans les objectifs dépend pour sa réalisation de certaines tâches à accomplir. C’est pourquoi les objectifs doivent toujours être concrets.

 

 

2 º) Exigences de base pour garantir que les objectifs sont atteints

Les exigences concernent tout ce que nous devons avoir accompli avant le 30 mars pour que les objectifs de l’action puissent se concrétiser. Dans le cas spécifique décrit par les objectifs précédents, nous devons avoir : a) l’école construite et prête à fonctionner ; b) l’association des parents réunie pour la première assemblée. Le jour J, tout doit être en place comme prévu.

En ce sens, il est important de comprendre la portée des objectifs, ils détermineront ce qui doit être fait.

Les objectifs doivent être pris séparément et les exigences de chacun d’entre eux doivent être énumérées afin qu’ils puissent être atteints à la date fixée.

Objectif a : Offrir des conditions d’étude à 100 enfants de l’assentamento.

(De quoi devons-nous nous assurer à l’avance pour que le 30 mars, cet objectif soit réalisé ?)

Pour le 30 mars, nous devons avoir :

    • Une école construite ;
    • Des chaises et tables sur place ;
    • Un tableau noir et craie sur place ;
    • Un filtre à eau fonctionnel ;
    • Des toilettes fonctionnelles ;
    • Une cuisine installée et fonctionnelle, avec de la nourriture ;
    • Du matériel pédagogique disponible ;
    • Des enseignant-e-s recruté-e-s;
    • Un plan de cours élaboré ;
    • Une cérémonie d’ouverture préparée ;
    • Travail de diffusion et de coordination effectuées ;
    • Des invitations distribuées ;
    • Des élèves inscrit-e-s ;
    • Les drapeaux brésilien et du MST sur le site avec mât de drapeau ;
    • Une sonnette fonctionnelle ;
    • Des salles et des rues décorées ;
    • Des évaluations effectuées.

    Ainsi, en fonction de l’endroit où l’on se trouve, on peut beaucoup d’autres choses, mais il est nécessaire de prêter attention à tous les besoins, afin qu’au moment de l’inauguration, il ne manque rien qui puisse compromettre la réalisation de l’objectif. Ces exigences sont donc tout ce qui doit être garanti le jour de l’évaluation finale.

    Une fois ces besoins répertoriés, leur réalisation dépendra nécessairement de la répartition des tâches.

     

    3º) Répartition des tâches

    Pour chaque exigence, que nous devons avoir réalisée le jour de la réalisation de l’objectif, il doit y avoir des personnes spécifiques responsables de sa mise en œuvre. Une coordination générale devra être mise en place pour contrôler la situation générale, mais nous devrions chercher à distribuer le plus de tâches possibles afin d’impliquer le plus grand nombre de personnes ayant une liberté d’action dans chaque domaine.

    Examinons donc quelques exemples concernant les exigences :

    – École construite

    Pour accomplir cette tâche, il faut maintenant dresser la liste de tout ce qui est nécessaire pour construire l’école, ce qui dépendra à nouveau de la subdivision des tâches au sein de la tâche spécifique.

    Que faut-il garantir pour construire l’école ?

      • Faire un plan ;
      • Préparer le terrain ;
      • Se procurer les matériaux (briques, sable, ciment, clous, bois, toiture, etc.) ;
      • Faire les portes et les fenêtres ;
      • Trouver des maçons, des charpentiers, etc ;
      • Prévoir un budget pour l’achat de tout le matériel et le paiement des prestataires.

    Pour chacun de ces points, qui ne concernent que la construction de l’école, l’implication d’autres personnes pouvant contribuer à la réalisation des objectifs est requise. Par conséquent, des sous-comités doivent être créés en fonction des besoins présentés. Ensuite, il faut planifier les exigences une par une et confier à des personnes la responsabilité de les réaliser.

    Une fois cela fait, on passe au deuxième objectif (organiser une association avec les parents d’élèves) et on suit les mêmes étapes en distribuant les tâches à d’autres personnes.

     

     

    4º) Evaluations générales et de chaque équipe

    Le groupe de coordination doit établir un calendrier d’évaluation et de suivi périodique afin qu’il soit possible d’évaluer la progression de l’ensemble des activités, de déterminer où est-ce qu’un renfort supplémentaire est nécessaire, ou d’orienter les nouvelles activités qui apparaissent pendant la période d’exécution des objectifs spécifiques.

    Chaque équipe qui a pris en charge une des exigences doit établir une planification spécifique, avec des échéances et des objectifs, et établir son propre calendrier d’évaluation pour savoir si chacun-e accomplit ses tâches.

    C’est en cela que consiste la Méthode de Direction[3]. L’augmentation du nombre de militant-e-s se fera en fonction de la capacité des dirigeant-e-s à répartir les tâches. Celles et ceux qui aiment centraliser essaieront de travailler seuls et n’atteindront certainement pas les objectifs fixés, car il manquera toujours quelque chose, compte tenu de la surcharge de travail, mais comme iels ne feront pas d’évaluation non plus, iels ne se rendront pas compte des améliorations possibles.

    Donc l’important ici n’est pas de comprendre la méthode, et se pavaner à la fin de l’étude en montrant que l’on sait tout faire ; l’important est de se rendre compte qu’il faut modifier la pratique concrète, pour arriver à une pratique efficace, et pour augmenter énormément le nombre de militant-e-s.

    Pour revenir à ce que disait Mao Zedong : « Les qualités fondamentales d’un-e dirigeant-e sont d’élaborer des méthodes de travail et de savoir comment placer les cadres ».

    Que cela soit notre but, de modifier non seulement les méthodes de direction, mais de progresser dans l’amélioration de la structure organisationnelle de notre Mouvement.

     

    [1]NdT : Les termes acampamento et assentamento, utilisés ici dans la langue d’origine (portugais), désignent les territoires agricoles distribués au Mouvement des Sans Terre lors de la réforme agraire, et occupés par des familles paysannes, expropriées. Ces familles occupent ces espaces afin de mettre en œuvre les dispositions légales de la réforme agraire. Alors que les acampamentos sont des terres occupées en attente de mesures officielles, les assentamentos sont des lieux de vie régularisés.

    [2] Institut national de la colonisation et de la réforme agraire. La colonisation fait actuellement référence au front pionnier qui avance par la déforestation dans le Nord du pays (NdT).

    [3]NdT : Les majuscules sont présentes dans le texte original, et ne l’étaient pas dans les occurrences précédentes.

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