Méthodes de travail de base et organisation populaire

Chapitre 5 La lutte populaire

Par Ranulfo Peloso

Mise en page : Secrétariat National MST
Commandes : Secrétariat national – secteur de la formation secgeral@mst.org.br
1ère édition – octobre 2009

Traduction finalisée en français en février 2023
par A l i c e  G r i n a n d  et  Y a n n  L e  B o u l a i r e

- SCÉNARIO À DEBATTRE -

Lors des périodes de crise d’horizon et de projet, on ne peut pas croiser les bras, ni rester dans la nostalgie, et encore moins répéter d’interminables phases de lamentation. En cette période d’angoisse certaine, la mission principale est de chercher de nouvelles voies qui répondent aux préoccupations de notre temps. Le défi et l’attention doivent être de ne pas tomber dans la tentation des vagues ou des impasses qui se présentent en vendant des solutions faciles.

Parmi ces solutions faciles, il y a : a) la recherche désespérée d’attirer la classe opprimée par un discours radicalisé ; b) le pragmatisme qui vendrait même les idéaux pour un plat de lentilles en recherchant des résultats immédiats et en prêchant que le gain concret est ce qui compte ; c) la promotion d’événements et de campagnes après campagnes, sans continuité ; d) la conclusion d’engagements multiples pour noyer le manque de qualité des activités par leur quantité ; e) le refuge dans l’académie, pour un diplôme, justifié comme connaissance et « préparation » ; f) la réduction de la complexité des réponses à une méthode, vue comme une technique ou « recette » qui, appliquée, fait des miracles.

Il serait insensé : a) de nier la nécessité de l’agitation et de la propagande ; b) de ne pas réaliser des conquêtes économiques ; c) d’abandonner la promotion d’événements significatifs ; d) de condamner la recherche d’une étude permanente ; e) ou de négliger l’application de moyens qui contribuent à l’appréhension des contenus et à leur application dans la réalité. Mais tout cela n’a de sens que lorsqu’il est imbriqué dans un projet.

Bien que de nombreux processus aient été vécus dans d’autres contextes et à d’autres moments historiques, il est possible de tirer de ces expériences de nombreux enseignements qui, appliqués de manière créative, peuvent être utiles à l’heure actuelle. C’est à partir du sauvetage de cette pratique sociale accumulée que le scénario suivant a été élaboré, en sachant que la séquence des « étapes » varie, se mélange, se complète… sans ordre préétabli :

 

    • La lutte populaire commence avec les personnes – Entrer dans la lutte est une initiative personnelle car elle représente un choix de vie basé sur la conviction de la justesse de la lutte contre toutes les formes d’oppression. Cela exige que les gens se rendent disponibles, jusqu’aux dernières conséquences. Le travail populaire doit viser la participation de masse, mais ce n’est pas quelque chose qui naît grand. Il naît et se développe à partir de militant-e-s d’une cause qui, sans s’annihiler en tant que personnes, croisent leur projet personnel avec le projet collectif.
    • Noyau initial d’avant-garde – La constitution d’un groupe initial d’avant-garde devrait être une préoccupation fondamentale du militantisme, bien que l’on ne puisse pas prédéterminer les étapes. Ce groupe est sélectionné par des critères minimaux tels que la clarté de la direction, la fermeté idéologique, l’audace, la posture démocratique, l’enthousiasme, la volonté, etc. C’est pourquoi, au début, il est préférable d’avoir une personne de confiance dans la région plutôt qu’un grand nombre de personnes à la réunion. Ces « graines » d’avant-garde, choisies parmi des personnes insatisfaites, disponibles, solidaires et discrètes, doivent être formées.
    • Se rapprocher de la classe ouvrière – La levure n’a de sens qu’au milieu de la pâte. Le militantisme doit s’incarner dans une réalité concrète, avec des personnes impliquées dans la production. Sa mission est de découvrir, d’organiser et de former des personnes prêtes à s’engager dans un processus de transformation radicale des structures de la société capitaliste. La compétence professionnelle, la formation académique et le mode d’insertion ne sont pas une fin en soi – ils peuvent être des instruments pour créer la confiance et permettre le contact, le dialogue, le cheminement et une forme de contribution à la lutte.
    • Convaincre le plus grand nombre de travailleuses et travailleurs – La mission du militantisme est d’attirer et de mobiliser de nombreuses personnes, car le changement n’est possible qu’avec le peuple en lutte. Convaincre se fait par l’agitation (dénonciation) sur les manifestations les plus évidentes d’exploitation et à partir des signes perçus d’oppression, par des pamphlets, des rassemblements, des protestations… Mais, surtout, elle se fait par la propagande (diffusion) des propositions, des luttes, des conquêtes et des valeurs du projet socialiste pour la classe opprimée elle-même. Cela ne peut se faire qu’avec la présence, l’enracinement et la complicité.
    • Organiser les noyaux Aller vers les masses vise à contacter, rassembler et organiser les noyaux de la classe ouvrière. Ces noyaux doivent connaître les quatre coins du territoire : sa langue, son potentiel, ses besoins, sa culture, son économie, ses formes d’organisation, son histoire de résistance… C’est la condition pour agir là où l’exploitation a lieu et pour impliquer les personnes intéressées dans ce processus à partir de la « porte que le peuple offre ». Pour que les grandes masses opprimées prennent une position politique, la propagande et l’agitation ne suffisent pas. Les masses doivent faire l’expérience politique de la confrontation, elles doivent entreprendre des actions qui résolvent leurs problèmes concrets.
    • Le travail de base – Le travail de base est l’action politique des militant-e-s d’une organisation populaire qui agit sur un territoire. Sa mission est d’éveiller, de stimuler, d’organiser, d’accompagner et de promouvoir des actions qui résolvent les problèmes quotidiens de la classe ouvrière et relient cette lutte à la lutte générale contre l’oppression. Ce sont les noyaux de militant-e-s qui relient cette lutte locale à la lutte générale pour obtenir un changement radical.
    • Le travail de base et de masse – Si tout ce qui commence trop grand meurt rapidement, toute initiative populaire qui ne se développe pas meurt aussi. Par conséquent, tout travail populaire doit avoir un caractère national, qui tient compte des réalités et des cultures régionales. La base, c’est le peuple qui produit la richesse et qui est exploité par les élites dans tous les espaces. Mais, par-dessus tout, c’est la partie de la classe opprimée qui s’organise et qui nourrit un processus de changement. Le travail de base est la condition et le soutien du travail de masse ; le travail de masse est l’expression et la conséquence du travail de base. L’objectif du travail de base est d’accueillir et de qualifier les gens dans leurs luttes quotidiennes, mais il n’a de sens que s’il s’inscrit dans un vaste mouvement qui descend dans la rue pour s’attaquer aux causes des problèmes qui touchent le peuple.
    • La formation politique – L’enthousiasme et la force seuls ne suffisent pas à vaincre l’exploitation. La classe opprimée doit combiner sa force avec la réflexion et l’intelligence pour vaincre la domination. Elle doit savoir démanteler le système capitaliste et proposer des solutions aux problèmes du peuple. Étudier signifie comprendre ce qui se passe pour soi et pour les autres et être capable de découvrir des réponses aux problèmes qui affligent le peuple aujourd’hui. Il est facile de vaincre celui qui n’étudie pas ou qui ne réfléchit pas. Il est triste de voir que beaucoup de personnes instruites n’entrent pas dans la lutte, mais il est impardonnable que le militantisme n’étudie pas, ne soit pas intellectuel. Étudier, ce n’est pas suivre des cours, ni se remplir la tête d’informations à l’école. Étudier, c’est analyser sa propre expérience et connaître l’expérience historique de la classe ouvrière, en s’appropriant les connaissances accumulées.
    • Fronts de luttes – Les intérêts communs et la force d’un même ennemi doivent conduire les mouvements de la classe opprimée à former des fronts afin d’atteindre leurs objectifs. L’articulation ou l’alliance est la découverte que personne ne peut tout faire tout seul ; c’est la croyance dans le pouvoir de l’unité des efforts pour atteindre des objectifs qui vont dans la même direction. Ce front, plus que les personnes, doit articuler des pratiques de lutte qui rendent l’union entre campagne-campagne, ville-ville, ville-campagne, aussi large que possible, au niveau national et international.
    • Faire le soulèvement des masses – Une révolution éclate lorsqu’il y a une aggravation, au-delà de l’ordinaire, de la misère et du désespoir des classes opprimées – « la base ne veut plus vivre comme avant » et « le sommet ne peut plus » – et qu’il y a une intensification marquée de l’activité des masses. Le signe d’une révolution est l’augmentation rapide du nombre de personnes préparées à la lutte politique parmi les masses ouvrières et opprimées, qui affaiblit le gouvernement et rend possible son remplacement. Seules les masses peuvent apporter une transformation radicale.
    • La direction d’un Parti – L’objectif du mouvement populaire est de penser des projets pour des secteurs de la société et de produire des militant-e-s pour une organisation politique qui a un projet stratégique pour tous les secteurs de la société. Le parti politique a pour finalité la constitution de travailleuses et travailleurs en tant que classe, le renversement de la suprématie bourgeoise et la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière. Sans la direction d’un parti politique, la lutte populaire – la lutte économique et sociale – ne fait que réformer et renforcer le système de domination. Mais ce parti doit être d’un nouveau genre. Car seule une organisation politique qui connaît, accompagne et stimule les processus de lutte de mouvements autonomes pourra les diriger politiquement et avancer dans la construction d’une société socialiste.

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