Chapitre 4 La lutte et l'organisation populaire
Mise en page : Secrétariat National MST
Commandes : Secrétariat national – secteur de la formation secgeral@mst.org.br
1ère édition – octobre 2009
Traduction finalisée en français en février 2023
par A l i c e G r i n a n d et Y a n n L e B o u l a i r e
Quel est le but de notre combat aujourd’hui ? Pourquoi rallier la classe opprimée ?
La lutte - Être, Avoir, et Pouvoir
1. Les gens sont animés par le désir de s’améliorer, de se perfectionner, de progresser, d’avancer dans la vie. C’est le rêve de la prospérité, du progrès, du développement. «Il faut aller de l’avant ».
2. Lutter, c’est déployer tous les efforts pour produire, distribuer et jouir des richesses matérielles et spirituelles. La lutte est une exigence de la condition humaine pour survivre – Vivre, c’est lutter. La lutte entre la graine et sa pourriture est un conflit qui produit le mouvement, la naissance et la croissance.
3. Les hommes et les femmes, au cours de leur existence, luttent pour disposer des richesses, matérielles et culturelles, produites par la nature et le travail humain. L’être humain fait la culture : il domine la nature et les lois du développement humain et social. C’est la possession de biens qui garantit sa survie dans le présent et celle de ses enfants dans le futur, avec la conscience que l’univers est fini.
4. Les gens cherchent également à apparaître, à être respectés en tant que personnes et à voir leur contribution individuelle reconnue. Tout le monde veut être u-en protagoniste et se sent heureux de l’éclat de son étoile. Celle ou celui qui agit et pense, qui n’accepte pas d’être inférieur-e et conserve sa dignité est un-e protagoniste.
5. Il y a dans chaque personne le désir d’avoir du pouvoir, d’être responsable, d’être consultée, de participer aux décisions, de ne pas être chosifiée. Ce désir est si fort que de nombreuses personnes ont le fantasme de vouloir être omnipotentes, d’être des déesses.
6. La curiosité fait partie intégrante de l’être humain. Les gens aspirent à savoir, à avoir des connaissances sur elleux-mêmes et à maîtriser le fonctionnement de la nature, des êtres humains et de la société. Connaître, c’est savourer, apprécier la vie et le vivre-ensemble. Le Savoir permet de démonter et d’assembler la réalité afin de la mettre au service des intérêts de personnes ou de groupes. Savoir, c’est savourer, apprécier la vie et le vivre-ensemble.
7. La lutte des humains pour la prospérité est indispensable pour transformer et développer le monde. Le développement de la technologie et de la conscience est la condition d’une vie digne pour les habitants de la planète. La science n’est vraie que lorsqu’elle sert la vie et la liberté. La justesse d’une lutte se mesure aux résultats économiques, sociaux et politiques qu’elle obtient et au degré de dignité qu’elle apporte aux personnes impliquées dans le processus.
La lutte populaire - "Ni charité, ni vengeance, BATAILLE".
1. La lutte se déroule dans un monde divisé en classes. La classe dirigeante a historiquement établi un système d’oppression. Grâce à ce système, l’élite continue de s’emparer de toutes les richesses et de concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. Pour maintenir sa prospérité, la minorité exclut des personnes, des peuples et des continents.
2. L’oppression prend la forme d’une exploitation économique par le propriétaire de la terre, de l’usine, de la banque, du commerce et de la technologie. Le propriétaire des moyens de production achète la force de travail et l’utilise pour multiplier ses richesses. Sans les moyens de production, le-a travailleur-euse est dépendant-e d’un patron et reçoit un salaire qui lui permet à peine de reconstituer sa force de travail.
3. L’oppression des riches sur les pauvres se fait par l’exploitation économique et est maintenue par la domination politique et idéologique. Dominer, c’est devenir le maître d’une autre personne, prendre possession de ses biens et de son esprit. Pour la classe patronale, la classe ouvrière n’est rien de plus qu’une chose ou une marchandise qui sert tant qu’elle fait du profit. Ensuite, elle peut être jetée à la poubelle.
4. Le pouvoir politique est exercé par la force des armes et l’imposition de lois, selon les intérêts du dictateur en fonction. Le gouvernement, chargé de maintenir l’ordre, est au service des propriétaires du capital. Les pays pauvres et colonisés obéissent aux ordres des pays impérialistes. Face aux différentes luttes de libération, les seigneurs ont commencé à utiliser les tactiques de séduction et de cooptation. Dans les crises, afin de dégonfler les résistances, les maîtres du monde encouragent l’aumône, l’assistanat et la philanthropie officielle.
5. La domination idéologique se fait par la prédication des oppresseurs, relayée par le système scolaire et religieux et par la culture et diffusée par les médias de masse. La domination idéologique manipule l’information dans le but d’anesthésier la conscience du peuple et de perpétuer l’oppression. Celui qui dirige la région, dirige la religion.
6. Aujourd’hui, toute lutte est une lutte de classe – même pour avoir les minimums vitaux comme la nourriture ou la garantie des droits qui sont déjà dans la loi. Par conséquent, l’organisation d’une société sans oppression n’est possible qu’en éliminant la classe dominante. Ce n’est pas une question de vouloir ou d’aimer : c’est une question de vie ou de mort pour l’humanité. La lutte de libération est la réaction légitime des opprimé-e-s comme alternative pour construire un monde sans exclusion.
7. La lutte pour la prospérité, pour être efficace, s’organise comme un projet politique, alternatif au projet de l’élite. Un tel projet doit éveiller l’estime de soi du peuple et chercher à surmonter la mentalité coloniale et les traits culturels de soumission et de dépendance. Seul un peuple autodéterminé peut penser à la satisfaction de ses membres et avoir des relations avec les autres peuples sans infériorité ni arrogance. Le projet populaire ne peut être guidé par le modèle consumériste des nations impérialistes. Les ressources sont limitées et il n’est pas dans l’intérêt des pauvres de reproduire un monde divisé en classes, mais bien d’adopter un modèle d’austérité visant à garantir le minimum vital pour l’ensemble de la population.
Les formes de lutte - "La liberté, même si elle coûte".
1. La lutte pour la vie et la liberté est un travail long et difficile. En général, le peuple a été domestiqué dans une mentalité d’esclave. Sans estime de soi, il s’accomode et se prosterne. Beaucoup de personnes pauvres font même de leur tête un hôtel du patron – un lambari[1] avec une tête de requin. Sur le lieu de travail, dans la famille et dans le mouvement populaire, iels reproduisent les idées de l’élite. Iels pensent à concentrer la richesse et le pouvoir et traitent leurs compagnon-ne-s de classe et de lutte avec autoritarisme et mépris.
2. Tout le monde se bat pour se débarrasser de l’oppression car personne ne s’habitue à l’esclavage. Même s’il n’en a pas conscience, le peuple nourrit une indignation refoulée. La lutte commence là où l’exploitation et la domination ont lieu. Personne ne se bat parce qu’il aime ça, on se bat parce qu’on y est contraint par la nécessité. On se bat pour continuer à vivre et pour être reconnu-e-s comme des personnes.
3. Le peuple n’a jamais cessé de se battre pour son mieux-être, pour sortir du gouffre. On dit parfois que le peuple ne veut rien. Ouvrez les yeux et voyez les gens qui se battent pour la santé, pour la nourriture, pour la beauté, pour la terre, pour le logement. Même lorsqu’on court après des illusions (cadeaux, promesses), c’est le désir d’être libéré de l’oppression. Ce n’est qu’en cours de route que la classe opprimée comprendra que se libérer, c’est ne pas être esclave, c’est surmonter la mentalité d’esclave (aliénation) qui lui fait reproduire, dans la vie, le monde des maîtres et des esclaves.
4. Il existe de nombreuses formes de lutte : individuelle ou collective, spontanée ou organisée, légale ou clandestine, pacifique ou violente. La manière de combattre varie également : on crie ou on se tait, on participe ou on croise les bras, on chante, on pleure, on prie, on affronte, on se retire – mais c’est une lutte qui ne s’arrête jamais. Elle devient respectée lorsqu’elle atteint un plus grand degré de force, de conscience et d’organisation.
5. On parle de la lutte économique – syndicats, coopératives, associations (pour les salaires, la terre, les prix), de la lutte politique – partis politiques (pour le pouvoir de décision) et de la lutte sociale – mouvements populaires (pour les conditions de vie). Mais cette lutte s’exprime dans toutes les dimensions de la personne : économique, politique, sociale, culturelle, religieuse, récréative, ethnique, raciale, sexuelle, écologique, de l’âge, etc. Les dimensions de classe, de genre, d’ethnicité, de génération ne s’annulent pas mutuellement, elles s’intersectent.
6. L’oppression tente de faire taire tout signe de résistance. Pour dégonfler la réaction populaire, l’élite utilise de nombreux moyens – sans pitié, elle bat, effraie, trompe, achète, calomnie, torture et tue. Son intention est de laisser le peuple à genoux, obéissant et en accord avec la situation. La plupart des livres, journaux et romans tentent d’effacer la mémoire subversive en semant l’idée que le peuple brésilien est un peuple pacifique.
7. Comme la faim a un drôle de visage et que les mensonges ont des jambes courtes, le travail de dénonciation et de propagande montre qu’il est possible de surmonter l’anesthésie qui aliène la classe opprimée. Normalement, par peur, les opprimé-e-s préfèrent ne pas entrer dans un processus de lutte organisée. Le moyen de les éveiller est le contact direct, la mobilisation, la clarification, l’organisation et l’articulation avec les autres. Ce travail canalise les initiatives de rébellion populaire contre l’oppression et pointe vers un ordre solidaire, sans discrimination et sans exclusion.
[1]Petit poisson brésilien, NdT.
L'organisation du peuple – "Soit le peuple se bat, soit il meurt".
1. Le militantisme n’invente pas la lutte. Sa tâche est de percevoir le mouvement social, de participer aux initiatives populaires et d’indiquer la direction de la rupture et de la transformation de la société capitaliste. Le militantisme contribue à ce que la lutte populaire puisse aboutir à des solutions concrètes et permanentes. Mais il sait que la lutte transformatrice ne se fera que par des actions conscientes et organisées visant à vaincre l’oppression. L’étude et les réunions servent à évaluer ce qui a déjà été fait et à préparer le peuple à des actions plus importantes.
2. Se plaindre de la situation est peut-être le moyen le plus simple pour les opprimé-e-s d’exprimer leur mécontentement. La mendicité, la supplication sont les signes de quelqu’un qui ressent l’exploitation, mais n’en identifie pas les racines. Il ou elle croit même à la bonté de l‘oppresseur, confond droit et faveur et demande de la compassion. Quand le peuple perd l’espoir, il se rebelle. Il désespère car il pense qu’il en a toujours été ainsi et que rien ne changera. Se sentant impuissant face aux problèmes de la vie réelle (faim, humiliation, misère), il part pour une révolte sans cause ou se réfugie dans une forme d’illusion ou de consolation.
3. La Résistance est déjà une étape dans la lutte consciente et organisée. Le peuple résiste parce qu’il se rend compte que c’est le seul moyen de continuer à vivre. Lorsqu’on résiste, on est en contact avec des personnes ayant les mêmes intérêts que nous et des personnes ayant des intérêts opposés. On commence à comprendre qu’une seule hirondelle ne fait pas l’été et que l’union fait la force. On découvre que l’injustice a une cause et des coupables. La résistance brise le sentiment d’impuissance et commence à surmonter la conscience naïve qui ne s’attaque qu’aux effets des problèmes.
4. Revendiquer, faire pression est l’attitude des personnes qui se reconnaissent comme une classe opprimée, enrichissant la classe des patrons. Ce sentiment est une graine qui peut devenir une conscience de classe. Pour lutter en permanence contre l’exploitation, cette classe s’organise en mouvements. Cette organisation aide la lutte lorsqu’elle augmente le nombre de combattant-e-s, lorsqu’elle favorise l’éveil de sa base, lorsqu’elle implique ses participant-e-s dans les prises de décisions et dans les tâches, et lorsqu’elle remporte des victoires.
5. La mobilisation sert à accumuler des forces, à affronter un ennemi, à défendre la position gagnée et à former des militant-e-s. Selon le processus éducatif, le Mouvement peut être coopté par le système dominant et ne rechercher qu’une réforme de l’exploitation ou réaliser que la solution durable consiste à rompre avec la logique de l’exploitation et à rechercher une forme de solidarité pour partager le pain et le pouvoir.
6. La construction et la conquête du pouvoir politique est la condition pour organiser la société sans domination. La part qui devient consciente s’organise en un parti (légalisé ou non) qui est responsable de l’élaboration du projet stratégique d’intérêt populaire. Un parti populaire est différent des partis de l’ordre car, même s’il lutte dans le cadre institutionnel (où il obtient quelques réformes), il est clair que sa tâche est de renforcer l’organisation populaire afin de rompre avec le système capitaliste et de construire le socialisme.
7. Chaque forme de lutte est importante. Les différentes formes de lutte ne forment pas une échelle où l’une serait plus stratégique que l’autre. Leur valeur est mesurée par les résultats quantitatifs (économiques) et qualitatifs (conscience) qu’elle produit. Le militantisme, en respectant le niveau de conscience populaire, aide dans la lecture critique de la réalité sociale à dépasser la naïveté des acteurs et articule les embryons présents dans la lutte immédiate avec le projet stratégique de construction du nouveau.
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