Méthodes de travail de base et organisation populaire

Chapitre 3 Comment faire le travail de base

Par Ranulfo Peloso

Mise en page : Secrétariat National MST
Commandes : Secrétariat national – secteur de la formation secgeral@mst.org.br
1ère édition – octobre 2009

Traduction finalisée en français en février 2023
par A l i c e  G r i n a n d  et  Y a n n  L e  B o u l a i r e

La base est celle qui produit la richesse et qui est exploitée et manipulée par les élites dominantes à tous les niveaux. C’est le début, la fondation, quelque chose d’indispensable. Il s’agit avant tout de la partie de la classe opprimée qui est prête à soutenir un processus de changement. Celles et ceux qui travaillent constituent la base du monde et, en découvrant leur force, iels mettent à bas la vieille pyramide et organisent une société sans oppression.

Le travail de base est l’action politique transformatrice menée par les militant-e-s d’une organisation populaire qui, connaissant la réalité d’un territoire, éveillent, organisent et accompagnent sa population dans la résolution des problèmes quotidiens et relient cette lutte à la lutte générale contre l’oppression.

Tout-e militant-e qui est prêt-e à s’engager dans un processus de lutte pour la transformation sociale peut et doit faire du travail de base. Pour cela, il n’y a pas de « recettes ». Mais en examinant diverses expériences, il est possible de découvrir plusieurs points communs. Certaines tâches, par exemple, apparaissent comme indispensables et permanentes :

 

1. Apprendre à connaître les quatre coins du territoire

La connaissance est plus que le fait de disposer d’informations, bien que cela soit nécessaire. La connaissance, c’est la proximité, par un contact direct et quotidien. Dans cette connaissance de la réalité, les informations proviennent de l’observation, des conversations, des visites, des recherches et du vivre-ensemble. Connaître et être connu-e, c’est ne pas être un-e étranger-e – c’est un exercice qui nécessite une complicité et un apprentissage du langage, afin de favoriser l’intégration, l’échange et la confiance. Certaines informations sont indispensables :

  • Celles qui concernent le territoire : la géographie, les manières, la culture, les coutumes, les savoirs, la population, etc.
  • Celles qui concernent l’économie : le nombre de travailleuses et travailleurs, le type de travail, le volume de la production, les revenus, etc.
  • Celles qui montrent le social et le politique : leurs dirigeant-e-s, personnalités, entités et organisations qui sont pour et contre le peuple, etc.
  • Celles qui indiquent les besoins et les potentiels : la situation sociale, les valeurs culturelles et artistiques, etc.
  • Celles qui révèlent des fantasmes, comme les sentiments et les désirs, même s’ils semblent naïfs ou copiés.
  • Celles qui parlent de résistance individuelle, de groupe, spontanée, organisée, pacifique, violente, etc.

 

2. Découvrir les graines de militant-e-s

Plus important que la tenue de grandes réunions, la mission du militantisme consiste à découvrir des personnes insatisfaites, qui sont prêtes à changer, qui pensent au-delà de la situation de leur famille, qui sont cohérentes entre ce qu’elles promettent et ce qu’elles font, et qui sont discrètes. Les personnes qui se distinguent sur ces critères peuvent devenir des références par la suite.

 

3. Faire des actions concrètes

Les données de la réalité peuvent suggérer des propositions d’action concrètes. Le militantisme doit « voir » ce que le peuple est capable de faire pour réaliser ses désirs. L’action à entreprendre est celle à laquelle le groupe participe, qui s’inscrit dans la compréhension, le moment et le rythme que le groupe soutient – jeu, fête, célébration, protestation, effort commun, débat politique… Le peuple se mobilise lorsqu’il sent qu’il va perdre ou lorsqu’il pense qu’il peut gagner.

Le militantisme a l’obligation de présenter des propositions. Il ne peut pas imposer, car les actions qui ne sont pas soutenues par ceux et celles qui les réalisent génèrent des accommodements et des frustrations. Il est décisif que les premières actions fonctionnent ; pour cela, une bonne analyse des possibilités de victoire est nécessaire. Dans la lutte, on gagne ou on perd. Mais c’est la victoire qui encourage la volonté de continuer. La défaite qui a lieu dès le début augmente le sentiment de faiblesse et d’impuissance. Une action en entraîne une autre lorsqu’elle est préparée, et après son exécution, elle est évaluée pour voir les avancées et les reculs. Agir et réfléchir sur cette action est l' »école » de militantisme et le peuple prennent leur sens.

 

 

 

4. Organiser la base

L’organisation est un outil pour rassembler les gens, encourager le processus de lutte permanente et préparer de nouvelles et nouveaux camarades. La base doit être organisée en noyaux. En soi, l’organisation ne peut jamais devenir le centre de la lutte. Le centre de la lutte est le mouvement réel de la classe opprimée, dans la lutte contre l’oppression et dans la construction d’une société avec de nouveaux hommes et de nouvelles femmes. Lorsqu’une personne ou une organisation pense être plus importante que la lutte ou s’accroche à des positions et à la gloire, il n’est pas rare qu’elle trouve un « acheteur ». Pour éviter la corruption politique, financière et morale, par-delà le fait de cultiver des principes, le renouvellement du militantisme est nécessaire. Un autre « vaccin » consiste à faire en sorte que chaque militant-e assume une tâche dans la lutte directe.

5. Formation politique

La formation est une nécessité de la lutte pour la vie. On ne forme pas les gens à se battre, on forme celles et ceux qui se battent déjà. L’enthousiasme et la force sont insuffisants pour vaincre le pouvoir de l’oppression. La classe opprimée doit unir sa force et sa pensée pour vaincre la domination. Elle doit savoir comment démanteler le système capitaliste, découvrir les racines de l’exploitation et créer des réponses aux problèmes du peuple. Sans formation, la lutte la plus acharnée ne dépasse pas le stade d’une lutte spontanée contre les effets de l’exploitation. Chaque mouvement doit avoir un programme de formation qui répond aux différents niveaux de conscience de sa base, de son militantisme et de sa direction.

 

6. « Sortir » du territoire

Partout, il y a des gens, organisés ou non, qui luttent contre l’injustice. Le travail de base est renforcé lorsqu’il unit la lutte immédiate sur son territoire à la lutte régionale, nationale et internationale. Dans cette « sortie », le ou la militant-e acquiert de l’expérience et des compétences ; iel élargit son horizon et ses connaissances ; iel observe d’autres personnes et des pratiques dans d’autres lieux. Elle ou il est mis-e au défi d’élever son niveau de conscience et l’ardeur de sa foi socialiste.

Plan stratégique

En termes simples, on peut dire qu’une stratégie est une voie qui canalise, donne un sens et coordonne les différentes batailles qui constituent une guerre pour une cause. Ainsi, une stratégie doit avoir un objectif spécifique et un objectif général qui lui donnent un sens. Les méthodes d’organisation sont l’instrument qui permet de réaliser cette stratégie.

 

Objectifs du mouvement populaire

  1. Construire un mouvement de masse national fort, avec des réalités et des visages régionaux, qui réponde aux besoins concrets et spécifiques d’une catégorie professionnelle, d’un secteur, etc.
  2. Produire des cadres militant-e-s prêt-e-s à diriger le mouvement de masse et à lier la lutte économique à la lutte politique pour transformer, à partir de la racine, les structures de la société capitaliste.

 

Tâches prioritaires de la stratégie

    • Définition d’une direction qui assume la mission de diriger le mouvement de masse et de définir les militant-e-s qui feront partie d’un instrument politique stratégique de la classe ouvrière.

    • Élaboration du message politique du Mouvement, spécifique et stratégique, qui va au-delà de la conquête ou de la défense des droits ;

    • Formulation d’un plan de luttes de résistance qui met en évidence la nature anticapitaliste et socialiste de la confrontation, sur la base des besoins ressentis et avec la pleine participation des personnes et en prêtant attention à leur propre base sociale et organisée, au gouvernement, aux entreprises et à l’opinion publique,

    • Élaboration du plan de construction national qui assure la cohésion organisationnelle et politique du mouvement avec :

1. La garantie de la présence du Mouvement dans les régions prioritaires en raison de la forte présence de la classe ouvrière et du capital, de leur histoire de lutte, de la densité de population, de la géographie, etc.

2. La construction d’un modèle organisationnel qui mobilise les masses, organise les groupes de base, structure la militance pour agir dans la lutte de classe, dans l’espace institutionnel ou dans les offensives de rupture.

3. L’élaboration d’un plan audacieux de formation politique, technique et culturelle qui définit le militantisme dans une stratégie latino-américaine – formation de base, militant-e-s, leaderships et formation de formateurs,

4. L’établissement d’un plan d’autosuffisance (organisation interne, finances, structures) qui garantit la vie, les activités et la pérennité du mouvement, avec la participation directe de la base et sans dépendre de projets centralisés ;

5. La préparation idéologique et technique, dans les manières d’agir et de se comporter pour défendre le militantisme et les masses, en évitant leur dispersion, leur reprise ou leur démoralisation ;

6. La construction d’une politique d’alliances cohérentes avec les organisations populaires, les entités et les personnes, de la campagne et de la ville, au niveau national et international – alliances, partenariats et soutiens.

7. La mise en place d’un système de communication agile et efficace, avec la production de sa propre analyse régulière pour guider l’action militante à tous les niveaux.

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