Méthodes de travail de base et organisation populaire

Chapitre 12 LES ERREURS ET ERREMENTS POLITIQUES ET ORGANISATIONNELS : LEURS ORIGINES, LEURS CONSÉQUENCES, ET LES MÉCANISMES POUR LES COMBATTRE

Adelar João Pizetta

Mise en page : Secrétariat National MST
Commandes : Secrétariat national – secteur de la formation secgeral@mst.org.br
1ère édition – octobre 2009

Traduction finalisée en français en février 2023
par A l i c e  G r i n a n d  et  Y a n n  L e  B o u l a i r e

Chapitre préparé par Adelar João Pizetta pour le Cours pour les Coordinateurs du Programme National de Formation et Multiplication des Militants, en septembre 2000.

Introduction

Certains militants et militantes pourraient se dire : « on parle encore les vices » ? J’ai déjà étudié cela il y a longtemps. Eh bien oui, « encore les vices » car, comme le disait Mao Zedong, « il faut balayer le sol et se laver le visage tous les jours, car si on ne le fait pas, la poussière s’accumule ».

Cette réflexion est extrêmement valable et actuelle car elle est liée au processus d’évaluation critique et à l’amélioration organisationnelle que le MST a démarré. Il s’agit donc d’une nécessité historique, car il est toujours temps de s’atteler à la correction des défauts, à l’identification des erreurs individuelles et collectives, à l’observation de dérives dans la pratique des militant-e-s et des dirigeant-e-s, et à la recherche de l’élaboration et de la mise en œuvre de méthodes de travail et de direction qui permettent de surmonter ces déficiences et qui se traduisent par des avancées politiques pour l’organisation.

Le but de ce chapitre est de réveiller la préoccupation permanente que nous devons avoir quant aux vices et aux dérives politiques et organisationnelles. Il s’agit de réfléchir à notre pratique et, à notre comportement dans l’organisation, en essayant de comprendre ce que signifie diriger et être dirigé-e. Comprendre la complexité du contexte politique actuel et de la confrontation dans la lutte des classes, afin de pouvoir construire des méthodes et des luttes qui permettent d’accumuler des forces pour surmonter les grands défis posés au MST et à la classe ouvrière dans son ensemble. Il est temps de donner de la qualité à l’organisation, d’élargir la participation de la base, d’innover dans les luttes et les méthodes de travail, et de former des sujets ayant une conscience de classe.

Il est important de chercher à comprendre ce que sont les vices, quelles sont leurs origines, comment et quand ils se manifestent et, surtout, de discuter des mécanismes permettant de les surmonter.

1. Que sont les vices et les dérives

Il existe de nombreuses façons d’expliquer et de comprendre cette question, même si le sujet n’est pas nouveau pour la grande majorité des militant-e-s du Mouvement, puisqu’il a fait l’objet d’études dans différents espaces de formation. Cependant, les vices et les dérives continuent à se manifester dans notre pratique politique et organisationnelle, donnant l’impression que nous avons peu évolué pour les dépasser. C’est pourquoi il est toujours bon de revenir sur le sujet, d’approfondir, de réfléchir, et d’analyser afin de les identifier et de les surmonter, nous permettant de devenir meilleur-e-s et plus performant-e-s, et de nous qualifier ainsi d’organisation politique.

De manière générale, nous pouvons dire que le vice est une posture, une pratique, un comportement idéologique et politique qui s’oppose à la vertu. C’est une déficience que nous possédons ou que nous développons, un défaut dont nous héritons, que nous reproduisons et que nous transmettons, un aspect négatif (limite) qui entrave, qui freine l’avancement de l’organisation collective. C’est une déficience qui nuit au bon fonctionnement de l’organisation, qui mine, détruit et corrompt la vie de l’organisation si on ne sait pas comment la combattre.

En opposition aux vices, il y a les vertus. Ce sont les qualités positives qu’une personne possède, acquiert et développe en tant que force ou puissance qui anime et profite à un groupe, une organisation collective.

Dans un collectif, lorsque les vices sont plus forts que les vertus, la conséquence naturelle sera un changement de direction, de nombreux problèmes internes, des limites dans l’action politique, au point de se détruire soi-même, avec une influence extérieure. Malheureusement, l’histoire elle-même nous l’a déjà démontré avec les destins tragiques de certaines organisations prétendument révolutionnaires, combatives et de lutte.

On peut donc dire que les vices sont des dérives, des déficiences politico-organisationnelles et de conduite morale, qui se forment dans la conscience sociale et qui se manifestent par nos actions et notre corps. Ils sont présents dans notre façon d’agir, de penser, d’entrer en relation, dans la façon de diriger un collectif, d’agir dans une organisation, ce qui affecte principalement l’Unité et la Discipline de cette organisation.

Les vices sont comme la « termite » qui s’installe dans un bois. Au début, on ne la remarque pas, mais elle corrode peu à peu l’intérieur du bois, et avant qu’on le sache, la pièce est corrodée, inutilisable et risque de s’effondrer sur nos têtes. Cela provoque des dégâts, alors que si l’action des termites avait été détectée, nous aurions eu le temps de les éliminer dès le début et de conserver le bois, ou de le remplacer.

Il en va de même pour les vices. Si nous ne prenons pas soin de les identifier, de les comprendre et si nous ne sommes pas disposé-e-s à les supprimer, ils s’accumuleront, se développeront et causeront d’énormes dommages à l’individu, aux autres et à l’organisation, jusqu’au point où il sera nécessaire d’exclure le-a militant-e, le-a leader-euse, et de le-a remplacer par un-e autre pour « sauver » l’organisation.

Mao Zedong avait l’habitude de dire : « La bataille la plus difficile est celle que nous devons mener contre nous-mêmes », parce qu’il savait combien il était difficile de contrôler les « tentations », les vices de l’ancienne société qui se nichent dans la conscience, et ils sont là, attendant le moment opportun pour se manifester, ils ne manquent pas l’occasion. Nous ne pouvons pas leur donner cette chance.

En outre, la bataille est difficile. Nous devons développer la volonté de contrôler les vices, d’y renoncer chaque fois qu’ils se manifestent, et développer de nouvelles vertus à la place. Il s’agit d’un processus simultané de déconstruction et de construction.

Nous ne sommes pas coupables d’avoir ces vices et dérives. Parfois ils se manifestent inconsciemment, et nous avons déjà commis l’erreur lorsque nous nous rendons compte, ou nous pouvons même ne pas nous en rendre compte. Nous sommes les produits d’un ordre social prédéterminé, nous sommes le résultat du système capitaliste et nous amenons avec nous tout le poids des valeurs négatives dans notre conscience. Cependant, nous sommes responsables de les identifier et de les éliminer de notre environnement, de notre conscience et de nos actions, car nous avons des vertus et des qualités à développer.

2. Quelques origines

Nous devons chercher l’origine de ces vices dans les interactions sociales, dans la manière dont nous produisons et reproduisons nos moyens d’existence et dans la vision que nous construisons du fonctionnement de la société dans laquelle nous vivons. Les vices sont conditionnés par la manière dont nous participons aux processus de production, par le niveau de division technique du travail et par son degré de développement, car la manière dont nous produisons nos moyens d’existence détermine, dans une large mesure, notre façon de penser et d’agir dans une certaine organisation.

Pour mieux élucider cette question, examinons quelques explications que Marx a formulé à ce sujet :

   » On ne part pas de ce que les hommes disent, s’imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu’ils sont dans les paroles, la pensée, l’imagination et la représentation d’autrui, pour aboutir ensuite aux hommes en chair et en os; non, on part des hommes dans leur activité réelle, c’est à partir de leur processus de vie réel que l’on représente aussi le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital.  […] Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de la vie sociale, politique et intellectuelle en général « . Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience.  […] La façon dont les individus manifestent leur vie reflète très exactement ce qu’ils sont. Ce qu’ils sont coïncide donc avec leur production, aussi bien avec ce qu’ils produisent qu’avec la façon dont ils le produisent. Ce que sont les individus dépend donc des conditions matérielles de leur production. [1] » (Marx).

Pour nous comprendre nous-mêmes et comprendre les personnes qui participent à notre organisation, nous devons nécessairement examiner leur trajectoire de vie, ou plutôt les conditions de production matérielle de leur existence, car ces conditions déterminent et développent les réflexes idéologiques, le niveau intellectuel et la conscience sociale en général.

Prenons comme point de départ l’individu réel, en chair et en os. Cette personne est un être à double existence : c’est-à-dire, le porte une charge individuelle (en tant qu’être unique, résultat d’une expérience qu’elle seule a vécu) et un bagage en tant que membre d’une communauté, partie intégrante d’un processus productif déterminé, et donc fruit d’un environnement social.

En ce sens, l’individu est quelque chose d’inachevé, iel est en constante réalisation, dans un processus permanent de construction socio-historique (passé, présent et futur). L’individu se produit ellui-même à travers les relations qu’iel établit avec la nature et les relations qui s’établissent dans la société, aussi bien celles qu’iel a déjà rencontrées, que celles qu’iel va lui-même créer. Produit, donc, d’un ordre social déterminé.

Celui-ci, à son tour, est le produit de l’action humaine développée historiquement, c’est-à-dire de nos ancêtres et de nous-mêmes, comme résultat d’une action humaine progressive.

Par conséquent, si nous sommes produit-e-s historiquement, nous sommes le résultat d’un ordre social prédéterminé. Celui-ci, à son tour, est le produit de l’action humaine. Nous avons nécessairement la faculté, la potentialité et les possibilités de forger de nouvelles personnes et un nouvel ordre social, de manière dialectique en ayant comme point de départ la base matérielle.

En résumé, nous pouvons dire que les dérives et les vices du passé se reproduisent dans la conscience individuelle, incarnant un certain Comportement Idéologique (un complexe de valeurs culturelles, morales et politiques qui conditionnent une vision de la société, de la nature, des humains et du monde, etc.), qui se manifestent dans nos actions concrètes, tant individuelles que collectives, lorsque nous participons à une organisation.

De nombreux et nombreuses militant-e-s ne parviennent pas à les mettre en œuvre efficacement en raison des dérives et des vices hérités du processus de production et de reproduction de leurs moyens d’existence. Jusqu’ici, cela est naturel, mais si ces contradictions ne sont pas résolues pour permettre aux individus d’évoluer pour dépasser et mettre en œuvre les vertus, l’organisation s’affaiblit, stagne ou peut dévier de la voie et des objectifs qu’elle s’est fixés. Voyons donc combien il est important et urgent de changer notre praxis, tant qu’il est encore temps. Il en découle que des contradictions apparaissent entre le comportement des individus et les structures organisationnelles proposées, ce qui entrave la progression de l’organisation. Je m’explique : par définition, nous avons la mise en œuvre des principes organisationnels (division du travail, centralisme démocratique, critique et autocritique, planification, discipline, direction collective, étude, professionnalisme, etc.) mais dans la pratique,en pratique, de nombreux et nombreuses militant-e-s ne parviennent pas à les mettre en œuvre efficacement en raison des dérives et des vices hérités du processus de production et de reproduction de leurs moyens d’existence. Jusqu’ici, cela est naturel, mais si ces contradictions ne sont pas résolues pour permettre aux individus d’évoluer pour dépasser et mettre en œuvre les vertus, l’organisation s’affaiblit, stagne ou peut dévier de la voie et des objectifs qu’elle s’est fixés. Voyons donc combien il est important et urgent de changer notre praxis, tant qu’il est encore temps.

 

[1] Opposition de la conception matérialiste et idéaliste, K. Marx, F. Engels

3. Quelques exemples de vices organisationnels et comment ils se manifestent

1. Nous percevons de nombreux vices de caractère opportuniste, ce qui n’est rien d’autre que le reflet d’une sous-idéologie causée par la propriété privée des moyens de production :

a) L’individualisme : c’est un ennemi puissant s’il n’est pas contrôlé, combattu et supprimé. Nous avons beau donner l’impression de surmonter cette dérive, elle est toujours prête à se manifester, attendant le bon moment pour entrer en scène et se développer. Pour rassurer certain-e-s, supprimer l’individualisme ne signifie pas détruire l' »individu » ou les intérêts, les capacités et les angoisses personnelles, car chacun-e a une personnalité, des qualités, des défauts, une vie de famille, etc. qui, s’ils ne vont pas à l’encontre des intérêts collectifs, doivent être respectés. Mais il est toujours bon de se rappeler et de mettre en pratique la leçon du Maître : « L’intérêt personnel de chacun-e ne peut être satisfait que lorsque l’intérêt collectif est assuré ». L’individualiste a du mal à comprendre le fonctionnement de l’organisation, iel agit seul-e et place la personne (l’individu) au-dessus du collectif. Iel déteste également la planification, car cela inclut la répartition des tâches et l’individualiste aime agir seul-e, donc iel met difficilement en œuvre la planification et la formation de nouveau-elle-s militant-e-s.

b) La spontanéité : la personne spontanée n’aime pas planifier ; lorsqu’elle le fait, c’est uniquement par obligation et pour cocher une case, car elle est ensuite guidée par la conjoncture et par ses intérêts et non par ce qui avait été prévu. Iel est courant que nous établissions des plans sectoriels lors des réunions régionales, par exemple à la fin ou au début de l’année ; au fur et à mesure que le temps passe et que des changements se produisent dans la conjoncture et dans les luttes que le mouvement développe, ces plans sont oubliés et

c) Personnalisme : Même si les conquêtes sont le fruit d’une lutte collective, le-a personnaliste s’attribue les résultats – « c’est moi qui l’ai fait ». Iel se considère comme le détenteur de la vérité, cellui qui sait tout. Iel aime paraître et être important-e, iel veut faire l’actualité, iel veut que les autres parlent de d’ellui, donc iel aime être dans tout, être consulté-e sur tous les aspects. D’où sa nécessité d’utiliser un téléphone portable, une voiture, de donner des interviews, etc. Iel aime faire ce qui lui apporte popularité, statut, satisfaction personnelle. Sa personne est plus importante que l’organisation à laquelle iel Elle s’occupe davantage de sa propre personne que du travail qu’iel doit réaliser dans l’organisation. Iel centralise les tâches, les responsabilités et les informations, c’est-à-dire le pouvoir, quitte à exclure les compagnon-ne-s. Cette pratique ne forme pas de nouveaux et nouvelles militant-e-s, ne donne ni ne crée d’opportunités pour les autres, quand il y a un problème et que cette personne doit partir, l’organisation est « sans tête ». Mais, au fur et à mesure que le mouvement se développe, d’autres personnes, leader-euse-s et dirigeant-e-s émergent, et le-a personnaliste est laissé-e de côté. Alors, pour ne pas perdre sa position, son prestige, iel fait souvent appel au « groupisme ».

d) Anarchisme : L’anarchiste est un-e militant-e désorganisé-e, iel se plaint quand iel voit des activités et des lieux bien organisés, iel pense que c’est bureaucratique. Lorsqu’iel gère de l’argent, iel ne sait pas où iel l’a dépensé, iel perd les factures et lorsqu’il s’agit de rendre des comptes, iel a toujours des problèmes et s’irrite contre les personnes qui lui demandent de payer. Lorsqu’iel utilise un véhicule, celui-ci peut finir à deux doigts de tomber en morceaux, mais iel la laissera telle quelle. Lorsqu’iel coordonne une réunion, cela devient un fouillis, iel ne peut rien mettre en route, iel n’organise pas les prises de parole, iel ne sait pas gérer la réunion. Lorsqu’iel dirige un secteur ou un bureau régional, chaque militant-e le fait à sa manière, car iel ne veut pas établir et suivre un plan de travail. Iel satisfait son opportunisme au milieu de la confusion. Cette pratique est extrêmement nuisible, car elle dénature l’organisation, elle ne forme pas, elle ne construit pas.

e) Sectarisme : Il s’agit d’une manifestation de subjectivisme/opportunisme dans le domaine de l’organisation. Cela se produit lorsque les militant-e-s ne voient que la partie et non le tout, accentuent l’importance du secteur dans lequel iels travaillent au détriment des intérêts et des besoins de l’ensemble de l’organisation. Iels ne comprennent pas et ne mettent pas en œuvre le principe du Centralisme Démocratique, où la minorité doit se soumettre à la majorité, les rangs inférieurs aux rangs supérieurs, et les parties au tout. Iels pensent que les choses doivent être faites immédiatement, que les conditions soient réunies ou non pour le faire. Il leur est difficile de discuter leurs positions, car iels pensent que les leurs sont toujours les meilleures, les plus correctes, infaillibles.

f) Commodisme : Il semble qu’il existe une tendance naturelle à l’accommodation. Certain-e-s, parce qu’iels pensent avoir déjà donné leur quota au collectif, d’autres, prétextant la fatigue, le stress, etc. Pour celleux-là, le mouvement est fait d’une telle manière qu’il n’est pas nécessaire de s’inquiéter, de faire face aux problèmes et aux défauts. Précisément parce que, comme le disait Rosa Luxemburg : « La personne qui ne bouge pas ne sent pas les chaînes qui le lient ». Iels sont toujours d’accord et évitent d’être en désaccord afin de ne pas se compromettre. Iels ne parlent pas des problèmes pendant les réunions, mais en parlent après. Iels ne montrent pas et ne critiquent pas les erreurs de leurs compagnon-ne-s afin qu’on ne critique pas les leurs. Iels se sentent bien lorsque dans le même groupe iels rencontrent un-e personnaliste, de sorte que l’un-e nourrit l’autre.

 

2. D’autres vices ont un caractère subjectiviste, c’est-à-dire qu’ils sont le reflet d’une sous-idéologie générée par la vision idéaliste des formes de travail artisanal :

a) Amateurisme : Ce-tte militant-e se caractérise par le fait d’agir sans prendre en compte la réalité, et sans être capable de mesurer les conséquences et les résultats que certaines actions peuvent provoquer. Iel agit selon ses idées, ne planifie jamais sur la base d’une analyse de la réalité et des conditions objectives, mais sur la base de ce qu’iel pense et croit être correct. Iel pense faire une grande action radicale, révolutionnaire, alors qu’en fait c’est une action sans conséquence, c’est-à-dire sans amélioration politique ou organisationnelle. Nous payons parfois très cher ces attitudes. Iel finit généralement par agir de manière isolée et brise facilement l’unité de l’organisation. C’est contraire à l’étude scientifique et à la réflexion.

b) L’autosuffisance : il s’agit d’une puissante dérive pour détruire l’organisation, car la personne qui l’incarne pense détenir le savoir, la force qu’elle n’a pas. Elle se considère satisfaite de ses réalisations, des résultats obtenus dans les actions qu’elle coordonne (cours, acampamento[1], mobilisations, etc.). C’est le genre de militant-e qui a déjà suivi un cursus important et qui pense ensuite qu’iel n’a plus besoin d’étudier. Iels se contentent d’utiliser quelques mots-clés et se considèrent comme les meilleur-e-s. La personne auto-suffisante ne cherche pas à approfondir, à comprendre les enjeux de son époque et quand elle appuiera sur la gâchette, elle ratera la cible, finira par tirer au hasard, gaspillant des munitions et elle sera récompensée par la défaite. Sachez que l’autosatisfaction est l’ennemi de l’étude et donc l’ennemi de l’organisation. C’est le genre de personne qui a réponse à tout, qui n’ignore rien, qui ne doute jamais, même si elle n’a aucune connaissance. Quand elle participe à une discussion, elle n’écoute personne, elle ne prend pas de notes en classe ou en réunion, elle pense tout enregistrer dans sa tête. Comme elle n’arrive pas à tout retenir, elle finit par tout faire selon ce qui lui passe par la tête. Elle ne s’inquiète jamais de l’exactitude des données, elle fait ses calculs en fonction de sa propre intuition et de l’opportunité.

3. Il y a également des dérives de nature plus interne, créées par la situation de l’organisation elle-même, et motivées par la pratique de ce qui précède :

Voyons voir :

a) Il est important d’observer nos positions sur l’utilisation du patrimoine, surtout en ce qui concerne les véhicules. Il y a des militant-e-s qui, s’iels ne vont pas à telle ou telle activité en voiture ou en moto, n’y vont pas, tout simplement parce qu’iels passent trop de temps en bus, ou parce qu’y aller en voiture est moins cher. Ce sont des justifications pour utiliser la commodité. Mais l’aspect le plus grave de tout cela réside dans l’imprudence que l’on constate sur les routes. Il suffirait d’observer le nombre de militant-e-s qui ont déjà été victimes d’incidents sur les routes. Les accidents, les décès continuent à se produire et nous ne parvenons pas à changer notre attitude. L’observation de Bogo est pertinente lorsqu’il dit : « Normalement, lorsque le corps résiste à quitter certains conforts ou à réclamer certains privilèges, la tête cherche immédiatement des explications et des justifications pour ne pas y aller ; pour remettre à plus tard ; je ne peux pas y aller parce que j’ai une autre tâche, etc. » C’est le « nid » des vices.

b) L’utilisation du téléphone portable, bien sûr, est importante et a été utile dans de nombreuses situations. Tout comme les voyages en avion ou en voiture sont parfois nécessaires. Mais cela ne doit pas devenir des statuts, des privilèges et des arrangements. Ils ne peuvent pas changer la façon dont l’organisation fonctionne et est gérée. Il y a des dirigeant-e-s qui, pour diriger le MST, disent qu’il leur suffit d’avoir une voiture et un téléphone portable, car iels peuvent être présent-e-s à toutes les activités dans les assentamentos, les acampamentos, les négociations, etc. et communiquer avec les militant-e-s par téléphone, en donnant des orientations. Mais en même temps, iels ne participent effectivement à rien, ni ne dirigent aucune organisation, car iels pensent qu’il suffit de « commander ».

c) L’ordinateur est un outil extrêmement important, agile, et, grâce à internet, on peut communiquer et envoyer des nouvelles simultanément dans les parties les plus diverses du monde. Cependant, dans certains endroits, au lieu d’être un outil de travail permettant d’élever le niveau et l’efficacité de notre organisation, il s’est transformé en un moyen de divertissement et de loisir grâce auquel de nombreux-se-s militant-e-s passent des heures à surfer sur des sites érotiques, des jeux, MSN et d’autres sujets qui n’apportent aucun bénéfice ni pour elleux-mêmes ni pour l’organisation, si ce n’est de dépenser de l’argent.

d) Une autre tentation et dérive est la lumière des projecteurs, vers laquelle beaucoup aiment se tourner, aimant apparaître dans le journal, à la radio, à la télévision, parce qu’iels pensent être important-e-s, célèbres et connu-e-s. Au lieu d’être au service de l’organisation, iels cherchent à satisfaire leur ego personnel, encourageant et développant les vices du personnalisme, du « vedettariat » et de l’opportunisme, très nuisibles à l’organisation, car l’organisation est plus importante que les personnes.

e) La consommation de boissons alcoolisées. Il y a des militant-e-s qui disent même que boire est culturel. La cachaça fait peut-être partie de notre culture, mais sa consommation excessive est un vice qui nuit au corps et à l’organisation, et qui ne cultive pas. Toute boisson qui contient de l’alcool, si elle est consommée en excès, nuit à la personne, aux autres et à l’organisation. Peut-être ne nous en rendons-nous pas compte, mais cela ralentit notre raisonnement, réduit nos réflexes et devient parfois un motif de désaccords et d’intrigues dans les acampamentos et les assentamentos. Le préjudice causé à la santé est dommageable, car nous ne ferons pas une révolution avec des personnes déséquilibrées, dépendantes et malades. Il serait bon de prêter également attention au tabagisme, car les poumons sont des organes fondamentaux pour notre organisme et guérir du cancer reste un défi.

f) Un autre comportement nuisible à l’organisation est le « commérage ». Il y a des personnes qui prennent plaisir à monter les uns contre les autres ; à rabaisser certaines personnes qui excellent dans la posture correcte, dans la discipline, dans l’efficacité, pour garder leur place. Les critiques, les calomnies, etc. sont des pratiques qui parviennent à détruire un collectif, permettant à certain-e-s de rester au pouvoir et occuper les espaces qui devraient être partagés. Normalement, les commères sont des personnes qui ne se préoccupent pas de l’évolution, de la grandeur des propositions et de l’ampleur des défis de l’organisation. Il existe certainement d’autres exemples de comportements nuisibles à l’organisation. Il est bon de les identifier afin de les combattre.

Il est parfois plus facile et moins exigeant de se débarrasser de biens matériels comme les maisons, les terrains, les allocations, etc., que de se débarrasser de ces choses qui satisfont les intérêts personnels, comme le statut, le pouvoir lié à un poste, la connaissance et l’accès à l’information, alors qu’en fait tout ce que nous avons et sommes devrait être au service du collectif, de l’organisation.

 

[1]NdT : Les termes assentamentos et acampamentos, utilisés ici dans la langue d’origine (portugais), désignent les territoires agricoles distribués au Mouvement des Sans Terre lors de la réforme agraire, et occupés par des familles paysannes, expropriées. Ces familles occupent ces espaces afin de mettre en œuvre les dispositions légales de la réforme agraire. Alors que les acampamentos sont des terres occupées en attente de mesures officielles, les assentamentos sont des lieux de vie régularisés.

4. Mécanismes permettant de surmonter les vices

Nous savons qu’aucun changement ne se produit automatiquement dans la conscience des individus, pas plus qu’il ne se produit mécaniquement. Tout changement est le résultat d’un processus, d’une interaction sociale prolongée, de l’analyse, de l’étude et de la connaissance du problème que l’on entend affronter et, fondamentalement, des mécanismes et des actions conscientes mis en œuvre pour le dépasser.

Le point de départ de ce processus est la base matérielle, c’est-à-dire l’environnement social dans lequel les personnes sont immergées. C’est l’organisation qui peut continuer à façonner, à rééduquer ses membres, dans une relation dialectique où, si d’un côté les individus font l’organisation, de l’autre, iels sont les produits de cette même organisation, c’est-à-dire qu’en même temps que nous construisons l’organisation, nous sommes construit-e-s par elle.

Voici quelques mécanismes qui, s’ils sont mis en œuvre, peuvent contribuer à la croissance des militant-e-s dans l’organisation, en surmontant les vices et les dérives qui entravent leur développement et celui de l’organisation elle-même.

 

1°) Il faut admettre que nous avons des déficiences et des vices organisationnels logés dans notre conscience individuelle et, à certains moments, ils utilisent nos actions, notre discours, notre posture de militant-e-s pour se manifester. Cette humilité et cette prédisposition sont une condition sine qua non pour tout processus de changement, car le-a militant-e qui se croit parfait-e, sans aucun vice, continuera à s' »enliser » de plus en plus dans son autosuffisance, causant des dommages à la progression de l’organisation.

2º) Nous devons étudier les vices et les dérives pour les connaître en profondeur, ce n’est qu’alors que nous serons en mesure d’établir un ensemble de procédures qui permettent de les dépasser. L’enseignement de Mao Zedong est pertinent lorsqu’il dit : « Nous devons traiter la maladie pour sauver le patient ». En d’autres termes, nous devons toujours croire aux possibilités d’amélioration des personnes, à leur capacité à se rétablir et à surmonter les vices, à leur « sauvetage ». Pour cela, il faut un diagnostic (étude) profond et correct, mais, plus que cela, la disposition et le désir du « malade » à être traité est fondamental. Sinon, les maux s’étendront, jusqu’à atteindre un état irréversible qu’est la « mort » – la mort du-de la militant-e pour l’organisation. Étudier pour aller à la racine des problèmes, toujours demander le « pourquoi » des choses ? Ne pas se laisser enfermer dans les apparences, car il est toujours bon de se rappeler que le phénomène montre l’essence et, en même temps, la cache. Étudier, donc, la science, la philosophie, s’approprier l’instrument marxiste d’analyse et d’interprétation de la réalité pour développer une praxis qui vise la transformation de cette réalité.

3º) Adopter consciemment le mécanisme de vigilance. La vigilance consiste à être attentif-ve et à veiller au strict respect des principes organisationnels dans notre pratique quotidienne. Il s’agit d’assurer la mise en œuvre des orientations politiques qui guident la pratique de l’organisation à tous les niveaux.

La vigilance évite les erreurs. Elle ne laisse personne dans l’incertitude quant aux procédures politiques à adopter, car elle analyse les situations et prend des positions guidées non pas par les idées de quelques-un-e-s, mais par la ligne politique de l’organisation. Il est donc fondamental d’être attentif-ve et de percevoir à quel moment les vices et les dérives veulent se manifester, puis de réagir immédiatement à leur encontre.

La vigilance doit être exercée sous les aspects suivants, pris dans leur ensemble : idéologique, politique, organisationnel, éthique/moral, etc. En d’autres termes, il ne sert à rien d’être radical-e du point de vue politique et anarchique, personnaliste du point de vue organisationnel. Il est nécessaire de rechercher une cohérence dans les différents aspects précités.

) Il est fondamental d’établir correctement un processus de Critique et d’Autocritique. Il existe des instances qui passent plus d’un an sans évaluer leurs membres et leurs actions en tant que groupe. Nous devons nous méfier des dirigeant-e-s qui ont peur de l’évaluation, c’est-à-dire qu’ils ne prévoient jamais de temps consacré à l’évaluation dans leur ordre du jour. Ensuite, les problèmes s’accumulent, se propagent et quand on s’en rend compte, il est déjà trop tard. Par conséquent, l’évaluation doit être systématique, régulière et bien réalisée, à temps pour corriger et éviter les erreurs, car une erreur de la taille d’un pouce peut entraîner un écart de plusieurs mètres.

La critique et l’autocritique sont deux moments du même processus évaluatif, qui nous permettent d’analyser et d’identifier les déficiences individuelles et collectives et, plus encore, aident les compagnon-ne-s à chercher des alternatives et à présenter des pistes pour surmonter ces déficiences. Il s’agit donc d’un mécanisme efficace d’éducation et de rééducation de la praxis, à condition qu’il y ait une posture d’humilité, d’engagement et de responsabilité de part et d’autre.

Mao Zedong, en insistant et en expliquant ce principe d’organisation, rappelle un proverbe chinois : « L’eau courante ne croupit pas et les charnières de porte ne sont pas rongées par les vers », ce qui signifie que le mouvement constant empêche l’action désintégratrice des microbes et de tous les parasites. Vérifier constamment notre travail et, au cours de ce processus d’évaluation, développer un style démocratique, ne craindre ni la critique ni l’autocritique et appliquer ces précieuses maximes populaires chinoises qui disent : « Ne tais pas ce que tu sais et ne garde pas pour toi ce que tu as à dire », « Personne n’est à blâmer du fait qu’il (ou elle) a parlé, et c’est à celui qui écoute d’en tirer le meilleur parti» et « Si tu as fait des erreurs, corrige-les, mais si tu n’en as pas fait, garde-toi de les refaire. » C’est le seul moyen efficace d’empêcher la poussière et les microbes politiques d’infecter l’esprit des militant-e-s et l’ensemble du corps de notre organisation.

Par conséquent, la critique doit s’attacher à exposer objectivement les erreurs et les dérives politiques, organisationnelles et comportementales. Il faut éviter le subjectivisme, l’arbitraire, les observations sans fondement et la banalisation du principe de critique et d’autocritique. Toutes les affirmations doivent être fondées sur des faits réels et construites d’un point de vue politique, sinon elles perdent leur sens et leur efficacité.

Toute organisation, toute instance, tout-e militant-e, bref, toute personne, est susceptible de faire des erreurs et d’échouer. Après tout, nous sommes humains. Mais nous devons faire le moins d’erreurs possible, et lorsque nous en faisons, nous devons nous corriger immédiatement et minutieusement, car le combat le plus difficile est celui que nous devons mener contre nous-mêmes.

5º) Continuer à forger l’expérience de nouvelles valeurs. À la place des vices, nous devons développer des vertus. Le temps de construction de l’humain nouveau a déjà commencé, car celui-ci, ainsi que les nouvelles relations sociales, naît et se développe dans les entrailles de l’ancienne société.

Il y a une lutte entre l’ancien qui cherche à se maintenir et le nouveau qui cherche à naître. Pendant longtemps, ces deux réalités coexistent et se font concurrence, jusqu’à ce que le nouveau soit suffisamment développé et fort pour supplanter l’ancien.

Pour cela, il faut développer intensément les vertus, l’expérience des valeurs humanistes et socialistes (solidarité, compagnonnage, indignation, attention à la personne humaine, etc.) ; il faut se remodeler, remodeler les personnes, les développer, car celles et ceux qui ne progressent pas seront vaincu-e-s par le mouvement de l’histoire et de l’organisation.

L’humain nouveau commence à exister lorsque nous avons la capacité de moins penser à nous-mêmes et de penser et vivre pour les autres. Ce qui importe, c’est la vie de tou-te-s, il ne sert à rien de vivre mieux individuellement si la grande majorité de la population vit dans le besoin. Notre vie n’a de sens qu’en fonction de la vie du peuple. C’est pourquoi les nouvelles valeurs sont fondamentales pour la construction du nouvel ordre social et la production de nouveaux êtres humains, avec d’autres vêtements et une autre idéologie. Cela ne tombe pas du ciel, c’est le résultat d’un effort continu vécu au quotidien, des plus petites choses aux plus grandes.

6º) Mettre en œuvre la méthode de planification avec une répartition des tâches et des responsabilités. Il y a des militant-e-s et des dirigeant-e-s qui n’ont de temps pour rien. Iels vivent dans un activisme débridé, presque toujours nerveux-se-s, fatigué-e-s et souvent impatient-e-s. Iels se plaignent que tout est de leur responsabilité et que les autres n’endossent pas les tâches qui pourraient leur être utiles. Généralement, le problème ne vient pas des autres, des militant-e-s ; c’est plutôt la façon de travailler du-de la leader-euse qu’il faut rectifier.

En outre, la planification et la répartition des tâches et des responsabilités apaisent les tensions, sécurisent la conduite du processus et, plus important encore, forment de nouveau-elle-s militant-e-s et leader-euse-s pour assumer les nouvelles tâches qui se présenteront.

Dans la lutte politique, et surtout en tant que militant-e du MST, nos vies, nos actes et nos projets ne dépendent pas seulement de notre volonté, de nos désirs et de nos aspirations. L’individu, le particulier, se fait en fonction d’un collectif plus large, d’une organisation. Et, dans ce cas précis, soit nous militons de manière organisée, soit nous contribuons nous-mêmes à la spontanéité, au personnalisme et à l’anarchie, entre autres vices.

Faire un plan quelconque n’est pas une tâche difficile. Mais faire un plan conséquent et réalisable nécessite certaines compétences et procédures professionnelles, qui permettent de faire progresser l’organisation et la qualification de nouveau-elle-s militant-e-s.

La planification, c’est voir plus loin. Il s’agit d’analyser et de comprendre quelles mesures (tactiques) doivent être prises pour atteindre des objectifs déterminés. Il est toujours nécessaire de regarder vers l’avant et pas seulement son « nombril ». La personne qui regarde vers l’avenir ira plus loin.

La planification consiste à définir ce qui est prioritaire et ce qui est secondaire, ce qui permet de s’organiser et d’utiliser ses forces et ses ressources pour faire grandir le mouvement.

La planification implique le partage des tâches et des responsabilités avec d’autres compagnon-ne-s. Un-e bon-ne dirigeant-e n’est pas cellui qui peut tout faire tout seul-e. Au contraire, c’est la personne qui parvient à élaborer des plans et à s’appuyer sur les militant-e-s, créant ainsi des opportunités pour qu’iels gagnent en compétences et se politisent.

La planification consiste à établir des objectifs concrets pour une période donnée. Grâce à cela, il sera possible de mesurer les résultats de nos actions ; la planification permet d’évaluer ce qui a été planifié, puisqu’il y a une date limite d’exécution. Par conséquent, l’évaluation fait partie intégrante de la planification est essentielle car elle permet de corriger d’éventuelles dérives dans la pratique.

La planification doit devenir une habitude pour chaque militant-e. Pour ce faire, nous devons nous exercer, nous entraîner, nous y habituer.

Il est toujours bon de rappeler un autre enseignement de notre grand Maître : « Les qualités fondamentales d’un-e dirigeant-e sont d’élaborer des méthodes de travail et de savoir placer les cadres ».

7º) Progresser dans la pratique de la discipline consciente. L’histoire a montré que sans unité et sans discipline, aucune organisation ne peut triompher, aucune bataille ne peut être gagnée. Toutes les organisations établissent des règles afin de guider la pratique et le comportement de leurs membres. Beaucoup recherchent la discipline en se conformant aveuglément à ces règles pour ne pas être pénalisé-e-s ; la discipline devient une chose imposée et appliquée mécaniquement.

La discipline consciente signifie d’aller au-delà de ce que les règles et les lois établies exigent. C’est la capacité à se laisser guider par le sens des responsabilités, à comprendre l’importance de mettre en pratique les décisions, malgré leurs conséquences, pour atteindre les objectifs proposés.

La discipline recherche l’amélioration individuelle et collective, c’est-à-dire qu’ »en faisant l’organisation, l’individu se fait lui-même ». Par conséquent, la discipline ne peut jamais être un fardeau, une menace qui persécute le-a militant-e. Elle doit être considérée comme une valeur qui, à travers le comportement quotidien, se transforme en vertu, devenant un exemple à suivre, car elle est supérieure à la simple obligation de se conformer aux règles. Elle doit devenir une manière d’être et de vivre.

Voici ce que dit le Che : « Le jeune communiste doit toujours se proposer d’être le premier […] Bien sûr, tou-te-s ne peuvent pas être les premier-e-s, mais iels peuvent être parmi les premier-e-s, dans le groupe d’avant-garde. Être l’exemple vivant, être le miroir dans lequel les jeunes se regardent… » Des exemples, dans notre cas, dans lesquels les autres militant-e-s et les dirigeant-e-s de base des assentamentos et des acampamentos et de la société en général peuvent se retrouver, et à travers notre exemple nous pouvons entraîner des centaines et des milliers de personnes sans espoir, en leur donnant une raison et un sens à la vie.

Dans ce sens, Bogo précise également : « La discipline est la conscience elle-même en action, matérialisée par les attitudes individuelles de celleux qui croient en un projet parce qu’iels le connaissent et ont donc la responsabilité de convaincre celleux qui les entourent, que c’est le meilleur et le plus révolutionnaire ». En fin de compte, la discipline consciente est une conquête à accomplir.

8º) Être tolérant-e avec celleux qui se trompent, mais intolérant-e envers l’erreur. C’est en cela que consiste à « traiter la maladie pour sauver le malade ». Nous devons toujours rechercher la cohérence avec les principes politico-organisationnels et les principes de conduite et observer leur strict respect.

De nombreux-se-s militant-e-s n’ont pas encore eu l’occasion d’assimiler les connaissances scientifiques, de comprendre le fonctionnement d’une organisation qui cherche à transformer la réalité et les personnes, et iels font donc des erreurs. Mais iels peuvent se reprendre et se corriger à temps pour éviter de causer de graves dommages à l’organisation, et en améliorant leurs pratiques, iels peuvent être utiles et contribuer à la croissance de l’organisation.

Le fait est que les erreurs, les dérives ne peuvent pas passer inaperçues à cause des affinités et/ou parce que nous commettons aussi des erreurs, et donc nous choisissons de fermer les yeux. L’erreur ne peut être tolérée, elle doit être éradiquée afin qu’elle ne se répète pas, aussi insignifiante soit-elle.

Maintenant, nous devons être très attentifs aux militant-e-s, en aidant, réfléchissant, analysant et en encourageant la correction des dérives. C’est un processus pédagogique et formateur qui fait grandir les gens.

Chaque erreur ou dérive surmontée est une avancée importante dans la qualification individuelle et collective de notre organisation, nous devons la célébrer comme une victoire du nouveau sur l’ancien. Chaque dépassement de l’erreur doit être récompensée, et à travers cette pratique, encourager la vie de nouvelles valeurs, le développement des vertus que chacun-e porte en soi, réveiller l’esprit de « l’aigle » que l’environnement a transformé en « poulet », qui ne fait que gratter le sol au lieu de voler vers la construction de l’homme nouveau/la femme nouvelle et de la société nouvelle.

Par conséquent, il est nécessaire d’établir un système de punitions (mesures correctives) et d’émulation (stimuli moraux) adaptés à la correction des vices et des dérives qui affectent l’organisation.

9º) Appliquer les principes d’organisation, parmi lesquels la direction collective, la planification avec la division des tâches et des responsabilités, l’évaluation, l’étude. Pour ce faire, il est nécessaire de comprendre leur fonctionnement et d’y veiller, en garantissant leur mise en œuvre – lorsque nous tenons une réunion, coordonnons une assemblée, une section ou une instance au niveau national et/ou régional, lorsque nous élaborons un plan de travail, etc., afin que ces principes deviennent une manière d’agir dans l’organisation, car le-a militant-e n’est pas seulement identifié-e par ce qu’iel fait mais aussi par la manière dont iel milite dans l’organisation. Si nous n’agissons pas de manière organisée, les idées et les propositions, après l’impulsion du premier instant, vont perdre de leur importance et de leur efficacité, et tomber dans l’oubli, se perdant dans la routine, sombrant dans le conformisme et finissent par n’être qu’un souvenir de plus. C’est pourquoi il est impératif qu’il y ait une organisation.

Conclusion

Ce chapitre reste un exercice incomplet. C’est la sensation que l’on éprouve lorsqu’on doit interrompre, non pas la réflexion, mais l’écriture à cet instant. Certes, d’autres aspects font partie de cette approche, tant par rapport aux vices que par rapport aux mécanismes pour les surmonter, y compris à partir de l’expérience de chaque militant-e qui pense et réfléchit l’organisation. C’est pourquoi la réflexion et l’élaboration doivent se poursuivre, afin d’éclairer la pratique, afin qu’à travers elle, nous puissions élever le niveau d’organisation et la qualité de notre mouvement.

Il est impératif de corriger les dérives et les vices qui se reproduisent dans l’organisation afin qu’elle ne change pas le cap. La révolution culturelle est déjà en marche, nous devons l’amplifier pour contribuer, notamment, au processus de révolution politique que nous entendons susciter dans notre pays.

Développons nos vertus, nos qualités, notre estime personnelle, parfois réprimées par la société excluante dans laquelle nous avons été élevé-e-s ; forgeons le nouveau dans chaque action quotidienne ; ayons beaucoup d’espoir dans l’avenir que nous sommes déterminé-e-s à construire, car  » La révolution se fait par l’homme, mais l’homme doit forger son esprit révolutionnaire jour après jour « , c’est en cela que consiste le dépassement de nos dérives et de nos déficiences. Car « le chemin est long et en partie inconnu : nous connaissons nos limites. Nous ferons l’homme du 21ème siècle : nous-mêmes », croyons et soyons les architectes bâtisseur-euse-s de cet homme nouveau, de cette femme nouvelle, et de la société socialiste, car l’Histoire nous récompensera.

Soyons les chefs d’orchestre de ce grand orchestre d’êtres humains qui rêvent et donc se battent pour construire une société de personnes libres.

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